samedi 24 avril 2010

01-02-2010 : San Ignacio, province écologique

(mise à jour le 24 avril 2010)
1-De Jaen à San Ignacio : du sable au verre….

Autant Jaen est une ville supposément dangereuse, poussiéreuse, tristounette, autant San Ignacio, capitale de la province voisine, située elle aussi dans le département de Cajamarca, respire la quiétude. Le chemin que nous empruntons pour y accéder n’est asphalté que sur la moitié du trajet, ce qui ne dérange pas le taxi collectif qui nous y amène, qui, pied sur l’accélérateur quoi qu’il arrive, file à toute allure. Le bon côté des choses, c’est que le paysage un peu monotone n’a pas le temps de nous ennuyer, vue la vitesse de son défilement devant nos yeux. Le vert liquide des rizières et le vert jaune des champs d’ananas se mélangent pendant les deux premières heures de trajet dans une ambiance un peu asiatisante. Un peu plus loin, alors que la terre remplace le bitume, la route, plus sinueuse, surplombe le rio Chinchipe qui vient de l’Equateur tout proche. Parfois, quelques zébus, résistants mieux que les vaches aux climats tropicaux, posés nonchalamment sur la route, bloquent le passage et nous offrent quelques minutes de répit et de silence. C’est fou ce que cela peut faire du bruit, une voiture sur des chemins de terre. Surprenant aussi comment change la perception et comme la route parait plus étroite qu’elle ne l’est dans les virages bordant le précipice. Moi, je les aime bien, ces zébus qui nous ralentissent un peu. En plus, ils ont l’air de savoir ce qu’ils veulent, vous ne trouvez pas ?


2 – Bienvenue, à San Ignacio, province écologique

Nous voici donc dans la fameuse province de San Ignacio, située à la frontière avec l’Equateur, raison pour laquelle elle est visitée de temps à autre par quelques touristes en transit. Les coordinatrices de la table de concertation de Cajamarca n’avaient pas tari d’éloges sur leur équivalent d’ici, et la municipalité écolo de la ville nous a souvent été citée en exemple : un maire écolo au Pérou, c’est rare. Du coup, entre café écologique et commerce équitable, programme de recyclage des déchets et la gestion de projets concertée, c’est une ville qui, semble-t-il, cumule les alternatives. En tous cas, la cité dans laquelle nous arrivons en fin de journée, perchée sur un flanc de vallée face à un relief verdoyant et nuageux, semble se porter plutôt bien. Ici, comme l’annonce la statue d’une femme, panier de grains rouges à la main, on cultive du café. En fait, je ne crois pas en avoir déjà parlé, mais les photos l’ont parfois illustré : souvent, dans les villes que nous avons traversées, une statue met en scène la principale caractéristique ou l’activité prédominante de la cité. On trouve ainsi, par exemple, une statue d’Inca à Banos del Inca, une statue de mineur à Potosi, une statue de zombie à Jaen … Non, je plaisante…

Un peu plus loin, à l’intérieur de la ville, sur les murs, les slogans affichent la couleur. Ici, le café est organique. Ici, on protège l’environnement. Quelques fois, c’est même un peu démagogique : «sois intelligent, protège ton environnement» ou « San Ignacio, on te veut propre, c’est la responsabilité de tous ». Mais bon, il faut savoir ce qu’on veut, non ? Et pour clouer le tout, sur la plaza de armas, face aux locaux de la table de concertation, nous accueille la colombe de la paix avec, en arrière plan, la permanence de « Tierra y Libertad ».


3 – Une table de concertation qui concerte …

Chose promise, chose due. La table de concertation de San Ignacio sait ce qu’est la concertation. Déjà, alors qu’il est 18h00 passées, nous sommes reçus par le secrétaire technique qui ne se trouvait pas dans les locaux, mais qui nous y a rejoint en moins de 5 minutes sur l’appel de sa secrétaire. « Kri kri ». Comme les Awajuns nous ont fait attendre et que le café équitable de Jaen n’était pas tout à fait équitable , on n’est pas mécontents d’être accueillis ainsi, d’autant plus que, selon la description qu’il nous en fait, la table de concertation parait exemplaire. Forcément, difficile d’imaginer qu’il nous en dise du mal depuis la position qu’il y occupe. Mais comme il s’agit d’une structure dont le but est d’être un espace de dialogue et de décisions concertées, la savoir encadrée par quelqu’un qui la défend la rend d’autant plus crédible. Et les photos que je peux admirer du fond de la poche depuis laquelle j’assiste à l’entretien sont là pour prouver que les ateliers et les réunions – où sont abordés les thèmes divers, comme la santé, l’éducation, le développement, l’écologie, le traitement des déchets, la nutrition, etc. - se font bel et bien…
Bien. Mais la table de concertation et la gestion alternative qu’elle promeut ont-elles du poids au point de pouvoir freiner les projets miniers encouragés par le gouvernement ?, - nous demandons-nous, un peu perplexes quand, en sortant, on se retrouve nez-à-nez avec un poster vantant les bienfaits de la prochaine signature de l’accord d’association avec l’Union Européenne.
A cette interrogation, les données sur les exportations du café de la province de San Ignacio fournissent une piste de réponse. En termes purement financiers, la café de San Ignacio n'a rien à envier à une hypothétique mine (il faut dire que jusqu’à là les rondas campesinas de la province se sont toujours opposées aux projets miniers). En plus, la filière du café emploie plus de gens et respecte l'environnement puisque en plus d'être équitable (commerco justo) et écologique (bio), la culture du café cultivé à l’ombre favorise la reforestation....
J’oubliais : la dernière question que nous avons posé au secretario de la table était : « Il y a-t-il un endroit emblématique des résultats de votre travail ? ». « Oui », nous répondit-il. L’endroit s’appelle San José de Lourdes. Un nom miraculeux, non ? Alors, c’est parti pour voir !

--
Kri kri
Irkita

mardi 20 avril 2010

Bolivie : petit retour en vidéo (2)

 5-12-2009, Poto-si belle
Pour sûr, Potosi est une très belle ville et mérite son classement au patrimoine de l’humanité. Ici, un 360° dans la ville coloniale aux rythmes des Guns 'n Roses, très, très populaires en Bolivie.


Bolivie : Potosi, ville impériale (1) Cargado por irkita.


Bolivie : Potosi, ville impériale (2) Cargado por irkita..

28-12-2009 : De Potosi y Uyuni
Les ingrédients d’un trajet angoissant : ciel d’encre, éclairs gigantesques zébrant le ciel avant de taper la terre autour de nous, route de nuit et chemin en terre. La route Potosi-Uyuni fût pleine d’émotions.


Bolivie - Trajet Potosi Salar d'Uyuni Cargado por irkita


30-12-2009 : Le Salar d'Uyuni, pur de vrai
On râle quand même un peu, pour ne pas oublier qu’on est Français, à l’idée de passer par une agence de tourisme. Pour la suite, la beauté du Salar (c’est tellement vrai que s’en est presque un pléonasme) nous a fermé bouches et museau !

Salar d'Uyuni : C'est beau, mais c'est un peu l'autoroute Cargado por irkita

Et nous y voilà. On en parle depuis presqu’un mois et enfin on le voit. Pas le temps de faire le grand tour de 4 jours, 3 nuits, c'est-à-dire Salar d’Uyuni et Sur Lipez, mais ce n’est pas grave.

Bolivie, Salar d'Uyuni Cargado por irkita


Bolivie - Salar d'Uyuni (2) Cargado por irkita.


Bolivie - Salar d'Uyuni (3) Cargado por irkita.


Bolivie - Salar d'Uyuni (4) Cargado por irkita


Bolivie - Salar d'Uyuni (6) Cargado por irkita


Bolivie - 02-01-2010 Coroico, c'est quoi, le cri du coq ?
Après un premier jour de l’année passé à nous reposer, nous voici sur le départ de « bonne heure de bonne humeur » pour Coroïco. En plus de ressembler au cri du coq, Coroïco est une sorte d’Ibiza ou de Saint-Tropez bolivienne, petit village touristique entouré de végétation tropicale, niché sur une colline à moins de 2000 mètres d’altitude dans la région des Yungas. Un petit paradis.


Bolivie - Coroico, c'est quoi, le cri du coq ? Cargado por irkita

Les Yungas, c’est l’une des deux régions officielles (parce qu’il y en a d’autres, officieuses mais connues de tous) de production de la feuille de coca. C’est aussi la seule région de production légale où la feuille de coca est cultivée « pour la mastication ». C’est celle qu’on trouve sur tous les marchés de Bolivie. Les connaisseurs la reconnaissent à sa taille : la feuille des Yungas est plus petite. L’autre région officielle de production de la coca est le Chapare, où, malgré une production plus abondante, sa culture n’est pas reconnue « légalement ». Officielle mais pas légale, coca(sse) (facile), non ?


Bolivie - Coroico, c'est quoi, le cri du coq ? (2) Cargado por irkita.

Et aussi incroyable que cela puisse paraître à priori (parce qu’à posteriori quand on pense au petit village qu’est en réalité Saint-Tropez, il n’y a pas vraiment de quoi être surpris) la place du village se transforme en boite de nuit « hyper tendance » les soirées de jours chômés. On y retrouve toute la jeunesse branchée de la capitale, accompagnée de touristes « cyclistes de la mort » dansant sur une musique néo-traditionnelle à tendance reaggeton. Imaginez le spectacle !
http://el-viaje-de-irkita.blogspot.com/2010/01/02-01-2009-coroico-cest-quoi-le-cri-du.html

Bolivie - Coroico, c'est quoi, le cri du coq ? (3) Cargado por irkita.

06-01-2010 : Corocoro, Chapeau melon des champs contre casque de mineur de ville.
Et on les comprend, les habitants de la ville de Corocoro. Enfin, les habitants de l’ancienne ville, parce qu’aujourd’hui elle ressemble plus à une cité fantôme dont les trois-quarts des constructions tombent en ruine. Comme on comprend le peu d’enthousiasme qu’ont les communautés rurales qui vivent à une trentaine de kilomètres de là, en aval. L’idée de se retrouver avec une eau polluée par l’exploitation minière n’est pas pour les ravir. En effet, pour eux, plus encore que plus les autres, l’eau c’est la vie : la vie de leurs bêtes, la vie de leurs récoltes, leur vie à eux.

Bolivie - Corocoro, Chapeau melon des champs contre casque Cargado por irkita.

Bolivie - De Corocoro à El Alto , retour en musique...

Bolivie - De Corocoro à El Alto , retour en musique... Cargado por irkita

Bolivie - 06-01-2009, El Alto, tout là haut...
Finalement, il fallait quand même qu’on s’y arrête dans cette ville jumelle de La Paz. Sous la surveillance des pics enneigés de plus de 6000 mètres, on y retrouve, comme à La Paz, les embouteillages des minis-bus plus nombreux que les passagers. On y fait la rencontre de la viande séchée et de la viande pas encore séchée. Je frémis devant les fétus de lamas qu’on enterre sous les fondations des nouvelles maisons, il paraît que ça porte bonheur. Mais la véritable découverte, c’est la vue qu’on a de là-haut, del Alto, sur la Paz, tout en bas. Je reste museau bé devant le spectacle magnifique de cette ville tentaculaire.
Et oui, qui dit frontière, dit au revoir la Bolivie. On finit quand même en beauté. D’abord, on passe par une agence pour faire le trajet la Paz – Arequipa. « Ce sera direct », nous dit-on. Tu parles. Pour commencer, on s’est coltiné les postes frontières sacs sur le dos. Sans parler de la galère avec la compagnie péruvienne pour faire le trajet Desaguadero-Arequipa qui était prévu dans le billet que nous avons acheté, mais qu’on a obtenu avec peine et de justesse, en devant au final et pour tout faire deux changements. La consolation, c’est qu’on a payé moins que les autres compagnons d’infortune boliviens et étrangers qui ont fait appel à des agences de bus de la Paz.

Bolivie, Desaguadero, frontière avec le Pérou Cargado por irkita.

dimanche 11 avril 2010

31-01-2010 : Jaen, Café (plus ou moins) équitable

(mise à jour le 11 avril 2101)Il est midi et on arrive enfin à voir notre ami « spécialiste du café », ancien gérant d’une grande coopérative, rencontré à Bagua deux jours avant. Comme d’habitude, le premier coup de fil s’est conclu par un « je te rappelle dans une demi heure ». Comme d’habitude, c’est nous qui avons rappelé. On commence à le savoir : le « je te rappelle dans une demi heure » veut en fait dire « rappelle-moi dans une demi heure si tu veux qu’on parle ». Voire, « dans une heure ou deux ». Du moins avec cet ami là … et avec quelques autres, il faut bien l’avouer.

C’est parti pour la balade. Nous allons le plus proche possible de la ville, puisqu’il est déjà tard. Sur le chemin, nous nous acquittons, un peu moins frileux que la première fois, de la « taxe » des rondas campesinas et arrivons dans le village des producteurs de café après moins d’une heure de route. C’est un beau village en adobe et en bois, niché dans une vallée verdoyante et fraiche. La nature est resplendissante, et nous n’y passons pas une après-midi dominicale désagréable.

Niveau alternatives - et plus proche de la raison de notre visite -, on nous explique que le village possède sa propre mini-centrale hydroélectrique, un système très simple, qui produit suffisamment pour tout le monde. Quant au producteur de café qui accepte de nous guider dans les plantations d’un voisin (absent), il ne travaille pas vraiment dans les circuits du commerce équitable. Le plus souvent, il subit la loi du marché, qui, certaines années, lui rend la monnaie de son effort, et, d’autres, lui permet simplement de continuer à s’adonner à ce qui est plus une passion qu’autre chose. En réalité, impossible de compter sur sa culture de café pour vivre.

Ce n’est un scoop pour personne, les lois des marchés internationaux des matières premières sont dures pour les paysans du Sud. Le café que nous payons 3€ les 250 grammes torréfiés, moulus et emballés (dont le prix ne change pas ou très peu !), peut être acheté à 110$ le quintal (c'est-à-dire 46 kg), ou encore à 2,4$ le kg. Parfois, c’est moins. Parfois, c’est plus, comme par exemple l’année dernière, lorsque, en raison de mauvaises récoltes au Brésil et d’un renouvellement des cultures en Colombie, les prix avaient monté en flèche  et les revendeurs des pays voisins sont venus se servir en café au Pérou. C’était une bonne année pour les caféiculteurs, un peu moins pour les coopératives qui ont du acheter cher pour pouvoir honorer leurs contrats déjà conclus.

Quid du commerce équitable ? Il se matérialise, pour les paysans de Jaén, par une prime de 10$ par quintal par rapport au prix du marché. On y ajoute 20$ de plus si la culture du café est bio (et si le producteur bénéficie de certification correspondante). Il existe aussi un prix minimum d’achat qui permet de compenser, un petit peu, la baisse des prix dans les années difficiles.

La plantation du café que nous visitons est bio (ou « organique », comme on dit ici), et notre guide du jour nous explique les différentes techniques utilisées dans la zone : cultures « à l’ombre » des arbres fruitiers (bananiers, guabas, etc.), comme quasiment partout sur le continent, utilisation des engrais naturels, etc. Il nous explique aussi que ses trois hectares à lui - sachant qu’il faut entre 6 et 11 mois pour que les grains du café murissent - ne lui fournissent qu’un petit complément de revenus. Pourquoi alors il cultive du café ? « Par passion » nous répond-il en caressant un grain ramassé un peu plus tôt…

Merci pour la visite et bonne chance à ses deux enfants qui sont à l’université ! Avant que nous ne repartions pour Jaen et repassions devant les rondas campesinas toujours en train de faire leur ronde, un policier curieux, venu converser un moment avec nous, nous pose cette question : «  Est-ce que dans votre pays les policiers sont aussi indulgents que chez nous ? ». Nous n’avons pas su quoi lui répondre. De retour en ville, nous saluons notre ami : rendez vous demain matin à 4h00 pour le grand départ vers l’Amazonie. Enfin !



--
Kri kri
Irkita

lundi 5 avril 2010

Pérou : Cartographie (complexe) de nos derniers déplacements

Kri kri,

Si je me souviens bien, la dernière carte que j'ai mise en ligne était celle du trajet de Lima à Cajamarca. Pour dire si ça date. Voici une tentative d'illustration de notre parcours depuis. La dernière carte que j'avais mise en ligne était :
Du 23 au 26 janvier 2010 - Pacours autour de Cajamarca
23-01-2010 : Cajamarca, c’est là que tout commence
23-01-2010 : Cajamarca, capitale des mouvements socio-environnementaux péruviens
24-01-2010 : Région de Cajamarca, San Marcos : Non, groin, coin-coin, cot-cot, kri kri, meuh, hi-han à la mine !
25-01-2010 : A Porcon, il n’y a pas que des cochons
26-01-2010 : Cajamarca, fenêtres et bains.
26-01-2010 : Cajamarca, la mine vue par le gouvernement régional et par la table de concertation.

Du 27 janvier au 02 février 2010 - Bagua, Jaen, San Ignacio, San Jose de Lourdes
27-01-2010 : de Chiclayo à Bagua, de la costa (côte) à la selva (forêt)
28-01-2010 : Bagua (1) : à la lisière de la forêt peuplée de chiens du jardinier mangeurs d’hommes…
28-01-2010 : Bagua (2) : la réunion, première partie, où nous déplorons de ne pas parler l’Awajun…
29-01-2010 : Bagua (3), réunion, seconde partie, où nous sommes contents de comprendre l’espagnol
31-01-2010 : Jaen, Café pas équitable
01-02-2010 : San Ignacio, province écologique
02-02-2010 : Province de San Ignacio, de Lourdes aux déchets …

Du 03 février au 07 février 2010 - Bagua, Jaen, San Ignacio, San Jose de Lourdes

03-02-2010 : Jaen à Imacita, direction l'Amazonie, la vraie...
04-02-2010 : Du Rio Marañón au Rio Cenepa
Du 04-02-2010 au 07-02-2010 : Le Cenepa, de Fitzcarraldo à Aphrodite ou en attendant l'Apu

Itinéraire Nord Péru


--
Kri kri
Irkita

dimanche 4 avril 2010

30-01-2010 Jaen, Rondas campesinas

(mise à jour le 4 avril 2010)
Quelques mots d’introduction pour planter le décor… 
Après une nuit relativement courte mais tout de même passée dans un lit et pas dans un bus, un petit déjeuner expéditif qui nous permet de découvrir, un peu, de jour, le peu de choses qu’est Jaen, nous nous présentons à la casa de las rondas campesinas à 10h00 pétantes. La maison en question est un grand bâtiment hérissé de barres métalliques qui serviront, plus tard, lorsque de l’argent aura apparu de quelque part, à construire les prochains étages. Pour l’heure, il n’y a qu’un rez-de-chaussée. La casa est située dans un quartier chaotique typique de certains coins populaires de certaines villes du pays : un mélange de ville et de campagne avec des ateliers de réparation de véhicules suintant de cambouis ça et là, bordé souvent par des décharges sauvages ou officielles d’un côté, et, parfois, de l’autre, par de petites cultures de maïs, quelques bananiers ou encore par un terrain de foot, peut-être encore utilisé, probablement à l’abandon. Ca, c’est pour la flore.

Niveau faune, on y trouve, en général, des chiens errants, souvent gentils, parfois stupides, des poules, en grand nombre, toujours en train de caqueter et accompagnées de leurs mignons poussins jaunes, des chats, inlassablement discrets (les fourbes), des cochons, généralement proches des ordures, quelques fois galopant en couinant fortement car poursuivis par des chiens, gentils quand ils croient être en train de poursuivre un de leurs frères – car certains chiens de rue ressemblent fortement à certains cochons de rue – et stupides quand ils courent pour le plaisir d’entendre le cri du cochon. Bien évidement, il y a aussi de nombreux hermanos (frères) et hermanas (sœurs) - comme diraient les indigènes - souris, toujours discrètes et (presque) jamais visibles. Sauf pour moi et pour les chats…. Ah oui, j’allais oublier les humains. Il y a quelques petits, jouant dans un des coins du décor, quelques adultes, soit sur des mototaxis, sans lesquels nous ne serions pas au Pérou, soit à vélo (bien mieux mais plus fatiguant !). Bien entendu, aucun ne marche, parce qu’ici, même pour faire 10 mètres, on utilise un véhicule, sachant qu’une marche de 15 minutes représente une grande distance. A la question « esta lejos ?» (c’est loin ?), on nous répond invariablement « si », d’autant plus quand il s’agit d’un mototaxi ! On se demande bien pourquoi.

A la découverte des rondas campesinas (rondes paysannes)
Mais approchons-nous un petit plus du bâtiment, la maison des paysans, la maison des rondas et aussi une école paysanne. Dans une de ses salles, nous trouvons une quarantaine de ronderos, dont le nombre augmentera au fur et à mesure de la matinée. Nous pénétrons dans la salle, saluons le président de la Fédération Sous-régionale des rondas des provinces de Jaen et de San Ignacio que nous avons rencontré la veille à la réunion de l’ORPIAN, à Bagua, et qui nous a gentiment invités à participer à la réunion des dirigeants des comités sectoriels et distritaux des rondas campesinas de ce jour.

Sur un des murs, on peut lire « l’anarchie [(il faut entendre « le désordre »)] est la mort de la liberté ». Cela annonce la couleur. Beaucoup de discipline et de « compañerismo ». L’ambiance est proche de ce que pourraient être des scouts de gauche. Les présents à l’assemblée du jour se font remonter les bretelles sur un certain nombre de points, histoire de se faire rappeler qu’ils sont tous dirigeants des rondas et que pour cela ils se doivent de soutenir l’organisation en respectant ses valeurs. « Dans la maison du rondero [membre d’une ronda, ndlr], n’est pas le bienvenu celui qui ne paie pas avec la sueur de son front », dit un autre écriteau. C’est clair. Etre un rondero c’est faire justice à la place de l’Etat et de sa police, incapable ou/et corrompus, à qui le peuple ne fait plus confiance. Et cette dure tâche exige des efforts. Cela dit, la reconnaissance de leur travail est telle que bien souvent la police leur remet les personnes arrêtées. Ainsi, il y a plus de chance que justice soit rendue qu’en passant par le circuit de l’Etat.

J’aurais pu dire «par le circuit légal», mais cela aurait été faux. Car tout cela fonctionne dans un cadre bien réglementé. Les rondas campesinas n’ont une structure représentative à niveau national que depuis 3 ans, c’est une organisation qui a grandi « de bas en haut » (et non pas « depuis le haut », comme c’est le cas de certaines structures). Les premiers comités de base ont commencé à se former en 1976, vers 1979 ils commencent à se regrouper en comités sectoriels et distritaux, qui, à leur tour, font aujourd’hui partie des fédérations provinciales et sous-régionales. 10 ans après leur naissance, en 1986, les rondas ont été officiellement reconnues comme organisations ayant la faculté d’administrer la justice à l’intérieur de leurs “juridictions”, en accord avec leurs us et coutumes. Cette reconnaissance leur a été accordée par le gouvernement de Fujimori qui considère alors les ronderos comme des alliés dans sa lutte contre la guérilla maoïste-andine du Sentier lumineux. On dit que les rondas ont fortement contribué à en finir avec la guérilla, voire qu’elles ont joué un rôle décisif, bien plus que l’armée et sa « guerre sale ». La loi de 1986 sera dérogée suite à l’« auto-coup d’Etat » de Fujimori en 1992. Depuis 2003, une nouvelle loi, la 27908, régit les attributions des rondas.

Cependant, les rondas ne reçoivent aucune aide du gouvernement et sont financées par les cotisations de leurs membres, qui sont de 3 soles (0,75 €) par an. Certains projets de formation sont soutenus par l’Eglise, dont la tendance progressiste de la théologie de la libération n’est pas étrangère au processus de formation et de structuration des rondas.

Et au delà des amalgames entre «anarchie » et « désordre » qu’on peut certes critiquer (en souris anarchiste que je suis !), sur le terrain, les rondas campesinas sont un espace de démocratie directe et participative assez exemplaire. Et, bien sûr, d’application de justice communautaire, leur principal rôle. Grâce à elles, en comparaison ave la ville de Jaen, la campagne est un havre de paix. Si quelqu’un commet un crime (vol, viol, meurtre…), il est généralement dénoncé aux rondas et/ou à la police (plus souvent aux rondas, car une très grande majorité de la population leur fait bien plus confiance qu’à la police, affirmation confirmée par de nombreuses enquêtes). Après avoir retrouvé (parfois, la police-même remet le suspect aux rondas) et jugé le coupable, les rondas lui appliquent la « cadena rondera », variable selon la gravité du crime commis. Après l’exécution de la cadena, le coupable est libéré (et n’est quasiment jamais remis à la police).

De même, des hommes, parfois la carabine à l’épaule (même si officiellement les ronderos n’ont pas d’armes) font le guet sur les routes. En échange de quoi, il est « bienvenu » de leur verser une compensation lorsqu’on passe à leur niveau. On peut se dire qu’ils forcent la main, mais en fait rien n’oblige personne à leur donner quoi que ce soit, même si tout le monde, ou presque, la fait avec plaisir et même avec reconnaissance. De toute façon, quasiment tous les hommes et certaines femmes font partie de l’organisation. Dans les campagnes du nord du Pérou, « paysan » et « rondero » sont presque synonymes.

Aujourd’hui, un des anciens dirigeants ronderos a décidé de sortir des champs pour entrer en politique et se présenter comme candidat aux élections régionales pour le nouveau parti dont nous avaient parlé les copines de la table de concertation de Cajamarca et dont le sigle a été « emprunté » à Evo Morales : le MAS (Mouvement vers l’Affirmation Sociale).

Alors que la matinée avait été consacrée aux sujets propres à l’organisation, le déjeuner a été suivi d’une intervention du délégué général du département (l’équivalent de la région)de Cajamarca. A l’aide d’un panneau à bulles qu’il remplissait au fur et à mesure, il a expliqué pourquoi il allait falloir voter pour l’ancien camarade dont le pseudo est Goyo. Dans le fond, le discours ressemble à celui de Marco Arana de « Tierra y Libertad » : « si on ne fait rien aujourd’hui, on en a encore pour 10 ans de la droite qui nous considère comme des ennemis et qui travaille à nous détruire ». Et pour cause, car si en Amazonie, ce sont les indigènes qui sont le premier rempart contre la politique extractiviste et ultralibérale du gouvernement, dans les campagnes andines des départements de Cajamarca et de Piura, ce sont eux, les paysans des rondas, toujours au premier plan dans la lutte contre le bradage des terres aux entreprises (en grande partie aux entreprises minières). Deux organisations avec des origines différentes défendant la même liberté de vivre comme ils l’entendent. Tous souhaitent un modèle de développement qui corresponde à leurs préoccupations. Ils ne veulent pas de ces projets miniers qu’ils savent dangereux pour la pureté de leurs sources d’eau, pour leurs terres, si importantes pour leur alimentation, pour leur subsistance. C’est une lutte pour la survie et pour la vie tout court. De notre côté, on est un peu inquiets de les voir entrer en politique et on espère que ce « monde de brutes » ne fasse pas oublier à ce MAS péruvien les valeurs des rondas campesinas : « Autonomie » et « Justice sociale ».

C’est sur un meeting politique de Goyo que se termine cette journée. Comme d’habitude, nos tympans sifflent sous la puissance sonore et c’est assommés par les décibels que nous terminons notre rencontre avec Jaen dans un bazar, qui fait aussi office de bar, en feuilletant un numéro du Reader and Digest de mars 1948 dont le premier article, rédigé par W.T.Holliday alors président de la Standard Oil et titré « Un gouvernement pour le monde », commence ainsi : « Je suis un de ses terribles personnages qui se dédient à fabriquer des produits bellicistes. Je suis président d’une entreprise pétrolière et mon commerce s’avère tout autant essentiel pour la guerre que la fabrication de tanks ou de canons. Par conséquent, il parait évident que je sympathise avec la guerre puisqu’elle favorise mes intérêts ». Incroyable de dire cela avec autant de franchise, non ?


--
Kri kri
Irkita

vendredi 2 avril 2010

Changement de paradigme ....

Kri, kri,

Changement de paradigme ? Un gros mot pour dire que je galère tellement à mettre à jour le blog depuis quelque temps que je vais changer de méthode. A partir de maintenant, je vais mettre les photos en ligne et lorsque les textes seront rédigés, je compléterai au fur et à mesure.

--
Kri kri
Irkita