9h00 du matin. Jour 4. Nous attendons toujours l’Apu des apus. Plus de nourriture. Plus de café. Plus de batterie. La pluie torrentielle de la nuit a provoqué des inondations. Notre cabane ancestrale située à une dizaine de mètres en hauteur et à une trentaine de mètres de distance du fleuve est maintenant au bord de l’eau. Le ru qui nous sépare de la maison principale de l’ODECOFROC et qu’on pouvait jadis traverser sur un rondin de bois est désormais une partie du fleuve, infranchissable, et il nous faut marcher une dizaine de minutes dans la boue et les herbes hautes pour rejoindre la cuisine. Ultime tentative radio. Toujours pas de réponse. Il est temps d’y aller. La femme du vice-président, l’autorité en l’absence du président (l’Apu des apus), insiste, elle aussi. Son bébé est malade et il n’y a plus rien à manger. Les arguments de sa femme finissent pas faire céder le vice-président : c’est décidé, nous partons pour la « grande ville », Huampami, là où il y a Internet, des restaurants, de la bière pour mes deux ivrognes de compagnons, mais surtout, là où il y a l’Apu des apus…
Oui, mais voilà. La vie est parfois faite de mystères et de situations qu’il est difficile d’interpréter. L’Apu tant attendu que nous sommes en train de rejoindre, nous allons finalement le croiser … en cours de parcours, au milieu du fleuve que nous étions en train de remonter à sa rencontre, à vive allure à bord de l’avioneta, une embarcation aux allures et à la vitesse de hors-bord. Et bien, bonne nouvelle, non ? Pas vraiment. Etait-il de mauvaise humeur, était-ce le fait que le vice-président ait pris la décision de nous ramener à la capitale sans son accord, quoi qu’il en soit, nous n’avons eu droit qu’à un regard fatigué et à aucune parole. Kri kri. Pas très contente quand même de se faire traiter de la sorte après quatre jours d’attente. Alors, nous avons poursuivi notre chemin et n’avons pas eu droit à notre entretien avec lui. Plus tard, on nous expliquera que c’était, peut être, un choc culturel lié à une conception du temps différente. Soit. Pourtant, nous tentions depuis deux jours d’avoir une réponse de sa part et il avait été informé par la radio le matin même de notre venue. Probablement que le système de communication était défaillant …
Moins d’une heure de trajet nous aura suffi pour rejoindre Huampami, une paisible petite bourgade, aux allures de grand village. Malheureusement pour nous, sans bière fraîche jusqu’au soir car les seules disponibles dans le frigo – plutôt tiède - d’une épicerie étaient à une voisine qui les avait rangées là pour les garder au frais, sans Internet, pour cause d’absence d’électricité et sans restaurant ouvert. Pour manger, nous nous contentons donc de chips et de pommes farineuses… Aaaarg, l’Amazonie, c’est bien, mais ça se mérite !
Un peu plus tard, alors qu’on se balade dans le village et que nous sommes en train d’admirer l’iconographie « new-age » de la façade de l’église, je fais connaissance avec les animaux les plus prétentieux que j’ai eu à rencontrer, les dindes. Une dinde, c’est un animal incroyable, tout en ridicule, avec des morceaux de chair rouge pendant un peu partout, ça s’enfuit, puis ça revient pour vous poursuivre, par derrière, cela va de soit, dès que la distance est suffisamment grande. Les dindons, c’est sur, ça se croit dominer le monde. D’ailleurs, ne dit-on pas « être fier comme un dindon » ou se « pavaner comme une dinde » ? Nous faisons aussi connaissance avec le fameux système de radio, une sorte de haut pilonne surmonté de hauts parleurs hygiaphones au travers desquelles des opératrices hurlent le nom de la personne qui a reçu un appel. Dur de ne pas l’entendre.
Dans la soirée, lorsque le groupe électrogène du village est enfin allumé, tout s’arrange. Les premières bières fraîches qui coulent dans nos gosiers et nous rafraichissent les museaux, nous réconcilient avec la capitale du Cenepa. Nous faisons tourner le verre de bière avec quelques Awajuns, c’est ainsi qu’on fait ici, et discutons : « Eux, ceux du gouvernement, ils disent que la forêt est vierge. Mensonges, la forêt, elle est pleine de gens. A nous, la forêt nous fait vivre. L’eau de la rivière nous sert à nous laver et à boire. C’est pour ça que nous ne voulons pas de la mine. Certes, nous aussi, nous polluons l’eau avec l’essence de nos peke-peke, mais nous n’avons pas le choix ». Nous finissons même par trouver un endroit où manger une délicieuse omelette au thon (pour que je dise que quelque chose au poisson est bon, il faut vraiment que je sois morte de faim), à la lumière de nos éternelles lampes frontales, et terminons la soirée par des séances photo dans le noir avec les multiples enfants et petits enfants du patron du resto, candidat aux prochaines éléctions municipales. Les priorités selon lui ? « Education bilingue, parce que savoir parler espagnol, c’est important, tout comme c’est important que enfants continue à parler la langue awajun ; meilleure couverture santé, car certaines communautés doivent marcher pendant six heures avant d’accéder au dispensaire de Huampami et il faut une journée de voyage en bateau et en taxi en plus pour accéder à un hopital ; Promotion d’une agriculture, organique, cela va de soit. ». «Et la mine ? » Pour lui, comme pour tous les autres, la mine, c’est non, « Ca n’apporte pas de travail et ça pollue. Ici, on vit tranquillement, personne ne vole, alors qu’en ville, il ne faut pas 10 minutes pour être agressé. Nous, tout ce que nous voulons, c’est continuer à manger nos produits de la forêt, naturels et sans chimie. Et qu’on nous laisse tranquilles », - nous lance-t-il en guise de conclusion.
Repus et heureux, Internet ne fonctionnant toujours pas, et, face à l’impossibilité de travailler sur l’ordinateur à cause des bestioles piquantes attirées par la lumière de l’écran, nous nous mettons au lit. Un lit avec un matelas. Joie et ronflements ! Demain matin, départ pour une longue journée multi-transports, qui, si tout se passe bien, devrait nous ramener jusqu’à Jaen.
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Kri kri
Irkita
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