mercredi 24 mars 2010

29-01-2010 : Bagua (3), réunion, seconde partie, où nous sommes contents de comprendre l’espagnol

Seconde journée de réunion. Celle-ci commence par le troisième point du programme de la première journée, qui en avait une dizaine. Je n’exagère pas.
La matinée est ainsi dédiée à rattraper le temps perdu, façon de parler, la veille. Niveau organisation, un secrétaire, apu, élu parmi les présents, note les points importants, un second fait la modération et un troisième, un peu plus passif, ceci explique cela, est chargé de surveiller la discipline, dont les temps de parole. Un apu, c’est un chef indigène de l’Amazonie péruvienne. Comme ailleurs, il y a des chefs de chefs et donc des apus d’apus. C’est eux qui participent à la réunion. En plus de la presse, de nous trois et du secrétaire général de l’AIDESEP, un Awajun, d’autres membres (ou employés ? on n’a pas bien compris) de l’AIDESEP, sont également présents. Ils interviennent sur des points de méthodologie, de définition de concepts, de présentation de données. Ils s’occupent de « la partie technique », comme on dit ici. Concrètement, ils synthétisent les idées issues des réflexions des différentes réunions et les transforment en documents, comme par exemple le plan de vie des Awajun de l’ORPIAN, qui correspond à peu près à la façon dont ces derniers souhaitent vivre. Rien que ça ! (enfin, ailleurs, on appelle ce genre de documents « plans stratégiques », ou encore « plans de développement », mais « plan de vie », ça sonne nettement mieux).

D’autres invités arrivent et interviennent au fur et à mesure de cette seconde journée. Un des moments forts de celle-ci est l’accueil des Andins. Si ces derniers, représentés par las rondas campesinas, avaient participé au paro de Bagua au printemps 2009, aujourd’hui semble se dessiner - pour la première fois ? – un front commun ando-amazonien anti-concessions minières. Les discours auxquels nous assistons sont clairs à ce sujet. Le message est fort. En termes symboliques … mais aussi en termes de volume. Ce n’est peut être qu’une impression, mais on dirait qu’ici (au Pérou en général), plus fort on crie lorsqu’on affirme quelque chose, plus vrai cela semble être ! Et certains, notamment parmi les Andins, manient très bien ce principe, si bien que quelques fois, mes petites oreilles de souris sont à la limite d’une explosion. Heureusement, je peux me réfugier dans un sac ou une poche. Qui n’a jamais rêvé d’être une petite souris, hein ?

En discutant, justement avec un de ces Andins - qui, par ailleurs, est un « pur » métisse, des Andes certes, et qui n’a rien d'un indigène, du moins en ce qui concerne son apparence -, nous en apprenons un peu plus sur les « rondas campesinas ». Il nous explique qu’il s’agit d’un système de justice paysanne communautaire reconnu légalement. Comment sanctionne-t-on quelqu’un responsable d’un vol par exemple ? En le condamnant à 6 mois (ou moins) de « cadena rondera » , pendant lesquels le coupable enchaine travaux d’intérêt public pour les communautés le jour et exercices physiques – par exemple, des pompes, la nuit. Ou encore, de la lecture pour s’améliorer ! Ca fait un peu boyscout, mais parait-il que cela fonctionne très bien et que le taux de récidive est très bas. La personne avec qui nous discutons s’avère être le président de la fédération interprovinciale des rondas (Jaen et San Ignacio), dont le siège est à Jaen, ville située à une heure de transport de Bagua. Il nous invite à participer à l’assemblée ordinaire prévue le lendemain. On ne se fait pas prier.

Quelqu’un qui veut de nous, ça fait plaisir. Il faut dire, qu’avec les amazoniens, l’organisation est difficile. A Lima, nous nous sommes mis d’accord avec un apu pour partir dans sa zone, el Cenepa, le lundi suivant (nous sommes un vendredi). El Cenepa est un des 5 districts du département de Bagua, l’un des plus actifs dans la lutte contre les décrets législatifs et qui lutte aussi contre un projet minier situé à la frontière avec l’Equateur, dans la cordillère de Condor, zone où naissent les rivières de la région, dont le rio Cenepa au bord duquel vivent la plupart des communautés awajun de la province. Maintenant, l’apu nous dit que pour notre voyage, cela ne sera pas avant le mercredi. Bon, ce n’est pas grave, même si cela explique comment nous prenons du retard. Tant pis, on va s’occuper. En plus on nous avait prévenu, notre conception du temps n’est pas la même !

Puisqu’on nous a aussi parlé de coopératives de café bio et commerce équitable à Jaen, nous décidons d’y passer le samedi et le dimanche, puis d’aller vérifier ce que la table de concertation de Cajamarca nous avait dit sur la province voisine de San Ignacio. Pas si mal finalement, ce programme. En plus, c’est une bonne occasion d’en apprendre plus sur ce qu’on appelle ici « el comercio justo » du point de vue du producteur, non ?

Que dire de plus sur cette réunion des indigènes Awajun ? Nous assistons en direct à la construction de l’alliance entre les amazoniens et les andins, un appel est lancé pour le 22 février : journée de mobilisation contre les conclusions des tables de dialogue et pour le retour d’Alberto Pizango, le président charismatique de l’AIDESEP qui est exilé au Nicaragua. Les Andins ajoutent aussi aux revendications « contre les concessions minières ». Au niveau politique (au sens élections) aussi, une alliance se dessine, du moins pour les élections régionales. Nous n’avons pas du tout affaire à de « bons gentils sauvages » tout fraichement sortis de la forêt. Nous avons en face de nous des politiques aguerris, maitres en l’art du rebondissement, distillant les infos à la presse afin que chaque jour l’on puisse parler d’eux. C’est de bonne guerre lorsqu’on connait les méthodes de ceux d’en face, c'est-à-dire des entreprises multinationales et du gouvernement ! Le clou de la seconde journée viendra de l’apu du Cenepa, notre ami qui ne veut de nous que le mercredi, lorsque celui-ci prouvera en direct que la rumeur affirmant qu’une ONG (des amis) de Lima lui aurait versé 100 000 soles (33 000 dollars), est fausse, relevé de compte et lettre de sa banque à l’appui. Flash, flash ! C’est bien pour les journaux, et ce n’est que justice.

Avant d’assister à la lecture du compte-rendu des deux journées de réunion, déjà synthétisé, et à la séance de signatures certifiées par le numéro de carte d’identité de chacun, nous avons droit à la lecture de la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples indigènes, dont une version imprimée sous forme d’un petit livre est distribuée par l’association Servindi. Une autre de leurs initiatives qui nous a parue intéressante, sous licence creative commons en plus, est un bouquin sur la communication à destination des communautés : comment créer sa web radio, comment faire du montage audio en utilisant des logiciels open source, etc. Pas mal, non ? On aimerait bien avoir des bouquins gratuits comme ça plus souvent.

Une fois la réunion terminée, nous nous mettons d’accord avec « notre ami du café équitable » et « notre ami apu du Cenepa » pour prendre ensemble un taxi afin de rejoindre Jaen. On part chercher nos affaires, et on rappelle : « Allô ? Tu veux que je te rappelle dans une demi-heure, la réunion de la réunion n’est pas encore terminée ? D’accord ». Trente minutes plus tard : « Allô ? Plus tard ? Mais il n’y a plus de taxi et le dernier bus va partir … Ah bon, finalement, on dort ici ?! ». Bof, Bagua, on aime bien, mais on a envie de changer d’ambiance! Alors, nous sautons dans le dernier bus, direction Jaen. Un petit moment de surprise lorsque sur la route un homme armé rentre dans le bus pour demander de l’argent justifiant cela par le fait qu’il assure notre sécurité. Apparemment, cela ne choque personne et, lorsqu’il redescend, nous le voyons rejoindre ses compagnons qui l’attendent dehors, également armés. Tu me paies, je te protège de on-ne-sait-pas-trop-quoi, cela fait un peu mafia comme pratique, non ? Mais bon, si cela se passe comme ça, pourquoi pas.

Enfin, nous voici à Jaen, où nous trouvons un hôtel vraiment pas cher, mais vraiment spartiate. Pas de meubles, pas de serrure, même pas un trou de souris, pour dire ! Bons rêves awajunesques ! Au fait, vous savez ce que cela veut dire Awajun (ou Aguaruna) ? Une des versions voudrait que cela signifie «Le peuple de l’eau». Agua-gente, Awa-jun …

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Kri krik
Irkita

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