dimanche 2 mai 2010

02-02-2010 : Province de San Ignacio, Lourdes, café, déchets ... et grand schtroumpf

(mise à jour le 2 mai 2010)
1 - San Jose de Lourdes, pas de miracle mais de la volonté

«Kri kri », nous débarquons enfin à San Jose de Lourdes. Ouf, ce fut un peu laborieux. Déjà, parce que le secrétaire de la table de concertation a fait mentir sa réputation de la veille en arrivant avec plus d’une demi heure de retard (ce qui est, ceci dit, plutôt normal pour l’Amérique latine). Ensuite parce que le maire avec qui il était « sûr qu’on aurait un rendez-vous » ne sera finalement pas disponible. Pas grave, nous rassure-t-on, la licenciada Carmen, du centre de santé de la ville, pourra nous parler du programme du développement écologique intégral de San Jose de Lourdes. Bien, si une licenciada peut nous recevoir, alors, allons-y.

Petite digression : au Pérou et en général en Amérique latine, on préfixe les noms des personnes par leur niveau de diplôme. On y rencontre donc des « doctores », des « licenciados », des « ingenieros», des « profesores », mention que les personnes concernées font aussi apparaître sur leur carte de visite, tout comme un docteur en médecine, en France, le fait apparaître sur sa plaque. Et ceci n’est pas un excès de vantardise.

Pour rencontrer la licenciada Carmen et découvrir le célèbre district de San José de Lourdes, nous commençons par redescendre les quelques kilomètres (rendus bien boueux par la pluie de la nuit) qui relient San Ignacio au Rio Chinchipe que nous franchissons sur l’une des trois tarabitas qui se font concurrence. Enfin, nous reprenons un second taxi collectif, qui se transforme parfois en bateau lorsqu’il s’agit de traverser les torrents saisonniers, particulièrement vivaces ce jour là de la saison des pluies. Et voilà enfin San José de Lourdes, petite ville… ou grand village (1200 habitants), dans lequel un bon café nous attend, pour commencer. Je ne suis pas autant dépendante du café que mes deux camarades de voyage, mais celui-ci est particulièrement bon. Et comme on a plus souvent l’habitude de boire de l’instantané malgré le fait qu’on se trouve dans un pays producteur, lorsqu’on en boit du « vrai », c'est-à-dire du moulu, on est forcément contents. De bonne humeur donc, nous partons à la recherche de notre hôte.

La licenciada Carmen nous accueille dans le centre de santé. On y admire les photos, nombreuses, de ses ateliers de formation et de conscientisation sur les problématiques de santé - c’est son métier -, sur le fait de ne pas vivre dans ses ordures et, enfin, sur les problématiques de nutrition… Des questions sur le modèle de développement écologique développé dans son district ? Oui, bien sur, mais pas beaucoup de réponses. Il semblerait qu’on ne nous ait pas indiqué la meilleure personne pour parler de ce sujet, nous n’en apprendrons pas beaucoup plus de sa part.

Petite visite rapide de la plaza de armas du village, dont le luxe surprend un peu. Si vous avez lu tout jusqu’ici, vous devez vous demander ce qu’illustre la statue du coin ? Une grosse poubelle de tri ? Pas du tout ! Encore plus étonnant que l’opulence de la place, la statue montre un couple d’indigènes amazoniens dont la représentante féminine est sacrément plantureuse. L’artiste a été inspiré.

Avant de repartir, un détour par la mairie et les bureaux du Monsieur ingeniero chargé du programme « agriculture et élevage ». Il nous explique que, pour l’instant, son travail consiste surtout à comptabiliser les « richesses » naturelles du district, un peu comme le fait le préposé aux ressources naturelles et à l’environnement de Cajamarca. On lui souhaite bonne chance avant de tirer notre révérence.

Sur le chemin du retour, un copain poulet, encore vivant, mais qui parait prêt à être mis sous cellophane, et trois cochons sales comme il se doit, font office de comité d’adieux. Le retour est à l’image de l’aller : taxi collectif, tarabita  et re-taxi collectif. San José de Lourdes aura été une escale sympathique, hors des sentiers battus et avec du bon café ... Une chose y est sûre, même si on y fait pas (encore) de miracles en terme de développement alternatif, la problématique des déchets ménagers y est abordée avec beaucoup de sérieux.







2 - Aprocassi, coopérative de café "commerce équitable" et "bio"

De retour en ville, la course entamée le matin se poursuit. Pour moi, pas trop de soucis de fatigue, je peux me reposer à souhait dans la poche de chemise ou de short de l’un des mes deux camarades (plus l’un que l’autre pour la présence plus fréquente des poches..), mais pour eux, c’est une autre histoire. Après avoir avalé un ceviche de poisson … fumé – conservation oblige aux dépens de la gastronomie -, salué la statue de la femme au panier de café, nous fonçons de nouveau vers la table de concertation où nous avions rendez vous… Après une demi-heure d’attente, nous finissons par nous convaincre que, l’heure de déjeuner se terminant vers 15h, à ce rythme là, il nous reste encore une bonne heure à faire le piquet. Alors que nous nous apprêtons à nous reposer en sirotant une boisson fraîche, nous croisons un homme portant un gilet aux couleurs de « Aprocassi ». Bingo, c’est le président de la coopérative que l’ami de Jaen (voir Jaen, café plus ou moins équitable) nous a conseillée de visiter. Re-bingo : celui-ci, propriétaire d’une moto-taxi, nous amène directement dans ses locaux. Pas de repos pour l’instant, mais un café fraichement moulu nous accueille à l’arrivée. Quand à moi, je me régale en grignotant un des grains tombés dans un coin du bureau. Mmm, délicieux.

Aprocassi en quelques mots, c’est une association de caféiculteurs qui achète le café aux producteurs-membres (qui sont au nombre de 500) et le revend dans les circuits du commerce équitable (10 dollars de plus par quintal par rapport au prix de la bourse et un minimum d’achat de 125$ par quintal) ou équitable et certifié « bio » (30 $ de plus par rapport au prix de la bourse et un minimum d’achat de 145$) à des entreprises européennes et états-uniennes. C’est donc Aprocassi qui s’occupe des certifications (notamment FLO Cert - l’intégralité de la production est vendue au prix du commerce équitable) et des formations, en cherchant à améliorer la qualité du café et créer des exploitations durables et intégrales (l’association possède notamment une parcelle démonstrative utilisée à cette fin). Le producteur paye un droit « d’entrée » qui sert à financer (en partie) ces démarches. Il s’engage également à produire en accord avec les certifications obtenues. Des contrôles annuels de tous les producteurs (visites des parcelles) permettent d’assurer un suivi régulier et sanctionner les infractions (utilisation des produits chimiques pour la certification bio, etc.), alors que les organismes certificateurs contrôlent des producteurs choisis au hasard (les certifications sont renouvelées chaque année). Aprocassi travaille aussi à la commercialisation des cafés d’origine (AOC), même si, pour le moment, la majeure partie du café de San Ignacio sera vendu au consommateur final mélangé à d’autres. Quel dommage, le café est si bon ici…

En parallèle, l’association a mis en place un programme de crédit pour ses membres, en facilitant les investissements nécessaires à leur activité. Enfin, dans la petite pépinière sur le terrain d’Aprocassi, on cultive des arbres (fruitiers et autres) servant à créer de l’ombre nécessaire à la culture du café.

Les 500 associés ont produit l’année dernière 35 containers de café (ce qui équivaut à 18 000 quintales ou 828 tonnes ). Dans la zone et avec les techniques de production développées, un hectare permet de produire entre 20 et 25 quintales (les producteurs ayant des parcelles plus grandes arrivent jusqu’à 100 – 150 quintales annuels). En 2009, le prix moyen de vente était de 170$ le quintal (dont une partie est gardée par l’association pour compenser ses frais).

Alors, au final, en termes de sacro-sainte rentabilité, cela vaut-il le coup de cultiver du café sans produits chimiques ? Selon le président d’Aprocassi, la réponse est « oui », surtout si l’on pense à long terme. Un caféier bio vivra plus longtemps, de l’ordre de 50 ans, contre pas plus de 15 ans pour un « chimique ». A terme donc, il produira plus, ce qui compensera le rendement inférieur du jeune caféier bio par rapport à son cousin boosté aux engrais (notez qu’il faut 2-3 ans pour qu’un caféier commence à produire) ! Et comme le prix minimum d’achat d’un quintal de café bio et équitable est de 145$ (ou 30$ en plus du prix de la bourse quand celui-ci est supérieur à 145$), le jeu en vaut la chandelle… Enfin, les engrais naturels, préparés « à la maison », coûtent beaucoup moins cher que les produits chimiques.

Ouf, j’avais peur d’apprendre au détour d’un calcul mal chanceux qu’au bout du compte, pour le producteur, le café bio-équitable ne valait pas la peine. « Ami buveur de café, lorsque tu achètes ton café, tu sais quoi faire ». Et si vous connaissez un moyen pour distribuer du café en France, faites nous signe, parce qu’Aprocassi est intéressée … et nous qui avons gouté leur café et qui sommes repartis avec deux paquets sous le bras et sous les pattes, sommes d’avis que cela serait bien aussi.

Enfin, historiquement, gruyère dans le gruyère, la coopérative est le fruit d’une lutte victorieuse contre un projet minier, menée par les ronderos -producteurs de café de San Ignacio. En clair, l’idée de la création d’Aprocassi a émergé comme une contre-proposition au modèle de développement incarné par la mine, et, une fois de plus, un prêtre engagé y a joué un rôle moteur. C’est lui qui a commencé le travail avec les certifications équitables et bio. Bref, sur le papier, l’Aprocassi, c’est le trou de souris dont on rêve toutes !
*Note : un quintal = 46 kilos de café.



3 - Gestion des déchets à San Ignacio : miracle et "Grand Schtroumpf"

Salutation au café, re-re-re-re (j’en ai perdu le décompte), direction la table de concertation avec plus de deux heures de retard et à une heure de notre départ. La secrétaire, qui est là, nous amène à la mairie où nous devions nous entretenir, il y a une paire d’heures maintenant, avec le chargé des programmes environnementaux de la ville.


« Quoi, comment ça ? Où étions-nous passés ? ». C’est presque qu’on nous gronde. On explique qu’on était pourtant à l’heure, mais pas le temps de se justifier plus que ça, direction la dernière étape du « marathon San Ignacio » : la décharge « développement durable » flambante neuve (construction terminée en 2007) qui fait la fierté de la municipalité et des habitants de la ville. Déjà parce qu’elle est une anomalie pour le Pérou et ensuite parce qu’elle est effectivement novatrice sur un certain nombre d’aspects.

Installés dans un 4x4, nous voici en train de foncer sur un chemin de terre bordant un précipice. A toute allure. Je ne saurais dire si c’est l’habitude ou la vitesse, mais je n’ai pas eu le temps de m’inquiéter plus que cela. Quelques chevaux plus bas et un paysage superbe m’occupe les quelques 15 minutes que dure le trajet. Les éternels eucalyptus australiens qui nous poursuivent depuis le lac Titicaca en Bolivie  sont là pour nous faire la révérence. Ils font déjà plus de 10 mètres de haut alors qu’ils n’ont pas encore 3 ans. Parfois, je me demande s’il s’agit d’un arbre ou d’une mauvaise herbe, tellement sa vitesse de croissance est impressionnante.

Et voici la décharge : 34 millions de dollars, en partie apportés par la municipalité, en partie par l’UE (un concours gagné par San Ignacio) et complétés par l’omniprésent « Fond italiano-péruvien (FIP) ». La durée de vie de la décharge est estimée à 25 ans. (les chiffres sont de tête, ils peuvent être approximatif, car tout le monde sait bien qu'un souris à moins de mêmoire qu'un éléphant, mais qu'un éléphant sa tr....)


Loin de l’image classique d’un tas d’immondices odorantes, nous voici face à un complexe situé en pleine nature, composé d’une section compost, d’un lombricomposteur, de quelques cuves conçues pour stocker les plus toxiques des déchets (comme les piles) et, enfin, pour tout ce qui est métaux et plastiques, d’une zone dédiée aux recyclage dont la première phase consiste à écraser les déchets sous les roues des camions poubelles lorsque ceux-ci viennent faire le dépôt. L’ensemble est complété par un système de drainage de l’eau ingénieusement conçu pour empêcher l’infiltration dans la terre des résidus toxiques lorsqu’il pleut.

Nous saluons les gardiens et employés du site … en train de s’afférer autour d’une ruche fraichement ouverte, faisons un tour par l’atelier pour les enfants composé d’une pépinière de différentes espèces végétales plantées par les élèves des écoles de la ville qui viennent visiter l’usine. On y trouve aussi un espace « jardin d’enfants » avec balançoire et autres attractions construites à partir des déchets. Rendre ludique une décharge et en faire une fierté, voilà qui n’est pas commun pour les humains. Pour les souris, c’est normal, nous faisons des nids pour nos petits avec les déchets (humains) qu’on a sous la patte. Voilà le bon exemple à suivre ! Mais c’est déjà l’heure de repartir, il nous reste moins de 20 minutes avant que le dernier bus pour Jaen ne quitte San Ignacio.

Kriiiiiiii, kriiiiiiiiii. C’est à la fois le son des pneus sur le chemin de terre et le bruit des mes dents. Heureusement que nous sommes du côté passager pour rentrer. Mais pourquoi va-t-il aussi vite ? Réponse : pour faire une pause chez un des agriculteurs dont les plantations d’ananas qui bordent la route nous font de l’œil. J’adore l’ananas et ça tombe bien parce qu’en plus de nous en préparer un à déguster immédiatement, délicieux, en deux coups de machette impressionnament bien placés, le paysan nous offre des magnifiques ananas fraichement récoltés « à emporter ». Et un carambola ! Ca, c’est gentil !

Il nous reste 7 minutes avant que notre bus ne parte. Deux fois moins pour un trajet qui nous a pris le double à l’aller, le temps de terminer les explications de notre guide sur la gestion des déchets. Les habitants de la ville ont été équipés en poubelles de tri. A chacun la charge de remplir correctement chacune d’entre elles. Et, pour poursuivre dans la pédagogie « simple mais efficace », un programme télé et radio local cite en exemple le meilleur et le pire des « trieurs de déchets » de la semaine. Et comme San Ignacio ce n’est pas non plus la grande métropole, où personne ne se connait, être cité en mauvais exemple c’est un peu « la honte ». Du coup, l’apprentissage semble avoir été rapide et la nouvelle méthode de gestion de déchets fonctionne bien. Kriiiiiiiiiiiiiii. L’ingénieur chargé de nous escorter pour cette visite de la décharge par la municipalité de San Ignacio saute de la voiture pour ramasser une casquette tombée sur le chemin qui nous ramène en ville. Sur celle-ci, aussi improbable que cela puisse l’être, le grand schtroumpf fait bonne figure. C’est la casquette des employés chargés de s’occuper du rapatriement des déchets et je ne suis pas sûre que l’inventeur des célèbres petits hommes bleus en ait été informé.

Enfin, voici notre bus. Salutations et remerciements. Merci à tous, San Ignacio c’était intense, c’était bien. Nous en repartons ravis des expériences que nous y avons connues, chargés de café et d’ananas frais. Demain, départ à 4h30 du matin de la gare des bus de Jaen pour, enfin, l’Amazonie.


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Kri kri
Irkita

1 commentaire:

  1. Parution du livre « Pour un commerce juste : La Route du café, des Yungas à la Bretagne » de Tugdual Ruellan et Bernard Bruel
    Bonjour,
    J'ai le plaisir de vous faire part de la parution d'un livre que j'ai coécrit avec Bernard Bruel, enseignant à Rennes, « Pour un commerce juste : La Route du café - des Yungas à la Bretagne » (Editions Rives d’Arz), à la suite d’un reportage effectué dans les plantations de café en Bolivie et l’accompagnement depuis 15 ans de l’aventure initiée par Yves Thébault, directeur du CAT centre d’aide par le travail de Bain-de-Bretagne, Guy Durand, alors président de Max Havelaar France et Olivier Bernadas, torréfacteur, fondateur de la société Lobodis.
    Madame Luzmila Carpio, ambassadrice de l’Etat plurinational de Bolivie en France, nous a fait l’honneur d’en rédiger la préface.
    Disponible sur http://www.rivesdarz.fr/
    (traduit en espagnol) – un CD à l’intérieur de musiques offertes par des amis musiciens ou enregistrées sur place.
    En vous remerciant de bien vouloir s’il vous plaît nous aider à en faire la promotion. Les bénéfices seront reversés aux coopératives boliviennes.
    Bien cordialement,


    L’aventure commence en 1993 lorsque trois Bretons se
    lancent, contre vents et marées, dans le commerce équitable :
    Guy Durand, alors président de Max Havelaar France,
    Olivier Bernadas, gérant de la jeune société Lobodis, et Yves
    Thébault, directeur du Centre d’aide par le travail de Bain-de-Bretagne.

    Leur défi : proposer un café de qualité, certifié biologique, acheté
    au juste prix aux petits producteurs, transformé en France
    par des ouvriers en situation de handicap.

    Tugdual Ruellan, journaliste, et Bernard Bruel, enseignant,
    nous entraînent sur la Route du café bolivien, depuis les
    Yungas jusqu’en Bretagne en passant par le Port du Havre.
    Route dangereuse mais route de tous les espoirs… Ils se font
    porte-parole des producteurs. Ils nous racontent l’histoire de
    ces compagnons et coopérateurs qui ont pu, grâce à un commerce juste,
    améliorer leurs conditions de vie et retrouver la fierté de leur travail.

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