Lorsque nous débarquons à Porcon, nous sommes accueillis par la première peinture murale « Tierra y Libertad » que nous croisons et qui annonce la couleur. Et pour cause ! C’est ici qu’il y a 20 ans, un jeune prêtre était interpellé par ses paroissiens qui lui demandaient de l’aide. La bataille contre Yanacocha venait de commencer. Aujourd’hui, l’ancien jeune prêtre souhaite être candidat à la présidence de la République, et les habitants de sa paroisse de jeunesse sont toujours en lutte. Aujourd’hui, ce n’est plus pour défendre leurs terres, c’est pour défendre leur eau.A Porcon, comme à San Marcos, la terre est verte. Les alentours ressemblent à un mélange entre la Bretagne et la Suisse, sans les crêpes et sans le gruyère (malheureusement).
Nous y arrivons en fin d’après midi ensoleillé pour nous entretenir avec un dirigeant paysan, président des canaux d’irrigation, un dangereux individu en liberté sous caution ! Immédiatement, la pauvreté de cette terre nous saute aux yeux : l’herbe grasse qui nous arrive au menton, les fleurs violettes des champs de pomme de terre et les bombes à eau des gamins, sourire jusqu’aux oreilles, nous prouvent encore une fois le dénuement dans lequel vivent les gens de ces campagnes, qui sont parmi les plus fertiles du pays. Quelle misère ! Heureusement, Yanacocha est arrivée et, à la manière de la Doe Run de la Oroya et de ses consœurs du continent et d’ailleurs, elle signe ses bonne œuvres. Impossible de ne pas voir les panneaux qu’elle installe pour que le monde entier sache qu’elle est responsable de l’amélioration d’un canal. Une chose est sûre, elle tient à ce que cela se sache et quand on sait d’où vient le problème du moment entre la communauté et l’entreprise, on n’est pas surpris.
Voici pourquoi. Un jour, les paysans de Porcon et de ses environs - qui partagent l’eau entre eux en utilisant un système ancestral de canaux d’irrigation -, constatent que le niveau a baissé. « Cela doit être temporaire », se disent-ils, « certainement, quelque chose obstrue une des trois sources qui fournissent en eau les canaux ? ». Le temps passe, mais le débit ne revient jamais comme avant. Et puis, l’explication arrive : certains paysans sont embauchés par la compagnie minière pour réaliser de petits travaux sur l’un de ses campements, ce sont eux qui vont avertir les autres de la construction de nouvelles installations : cuisine, dortoirs, toilettes, ainsi qu’un nouveau puits pour alimenter en eau ces nouveaux locaux. En plus de tout le reste, l’entreprise ne serait-elle pas en train de leur voler leur eau ? Dans tous les cas, ils en sont persuadés et portent plainte, aidés par l’association Grufides.
Malheureusement - à cause de la corruption selon eux - ils n’ont toujours pas obtenu gain de cause, ni une réponse digne de ce nom : tout au plus, on leur a fourni le dossier du permis de construire des nouveaux bâtiments et du puits. Malheureusement, pour moi, les papiers administratifs sont plus une source de nourriture qu’une source d’information. Mais mes deux compagnons « cochon-d’indivores » ont constaté que l’administration est d’une extrême vélocité : l’étude d’impact environnemental comprise, il lui a fallu une journée pour valider le projet. Quand à la justice, nettement moins prompte à rendre des jugements, après de nombreux rappels, elle a fini par envoyer ses experts constater le préjudice. Conclusion : « il n’y a pas de préjudice ». S’il est vrai qu’il y a moins d’eau qu’avant, la faute en est au réchauffement climatique, bien entendu. Il a bon dos celui là, non ?
Alors, le « puits » détournant l’une des sources utilisées auparavant par les paysans ou le « réchauffement climatique » ? Une troisième explication existe : les fosses géantes que forment les mines à ciel ouvert sont aussi autant de réservoirs qui captent l’eau et la détournent ainsi de ses précédentes destinations … Mais de cela, on en parle pas ou très peu.
Tout cela est un peu triste. Le paysan qui nous reçoit, qui avait déjà risqué sa liberté en voulant que la justice soit faîte, nous apprend que la plainte en est restée là et qu’elle dort dans un tiroir à Lima, malgré plusieurs voyages pour la relancer. Il voudrait retenter un nouveau voyage, mais n’en a pas les moyens, il faut payer le transport jusqu’à la capitale. Derrière lui, dans sa ferme, quelques coqs se cherchent des poux (si c’est possible) et on aperçoit, sur une terrasse un peu au dessus, des femmes à grands chapeaux typiques de la région qui rient en triant on ne sait quels légumes. On entend le canal de la ferme dans laquelle nous sommes, est en train, de se remplir. Heureusement, il reste encore de l’eau à Porcon.
Alors que nous prenons congé de nos hôtes, je me pose la question de savoir si quelques centaines de paysans peuvent vraiment espérer que justice soit faite lorsqu’ils ont comme adversaire une entreprise aussi puissante ? Le mieux, c’est encore de ne pas laisser l’industrie minière s’installer chez soi, parce qu’une fois elle est là, impossible de s’en débarrasser. « Comme les souris ! » diront les langues taquines. Peut-être, sauf qu’à ma connaissance, il n’existe pas encore d’attrape-mines géants, cette invention sauvage qui dans ce cas ne serait pas inutile!
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Kri kri
Irkita
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Irkita
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