samedi 26 décembre 2009

Cochabamba, chapitre 3 : L’empire contre attaque

Nous y voilà : la fameuse partie sud de la ville. La Zona Sur. Cela a été plus facile d’y venir qu’on nous l’avait dit. On y rencontre le président de l’association des systèmes communautaires de l’eau (l’ASICASUR). Il nous explique le mode de fonctionnement : 140 comités de l’eau indépendants dans 4 districts pour entre 100 000 et 120 000 habitants (la population totale des 4 districts de la zona sur qui ne sont pas connectés au réseau public est de 250 000). A la tête de chacun d’entre eux, une assemblée qui élit u directoire. Certains comités ont même des employés, généralement une secrétaire et un technicien. Pour ce qui est de l’apport initial, au-delà des ressources propres (souvent très maigres), les financeurs ont été soit les églises – catholique et protestantes -, soit des ONG. Certains comités existent depuis 30 ans. L’eau des comités n’est cependant pas suffisante pour tout le monde Alors, il est question de relier leurs réseaux au réseau de la SEMAPA, vieux combat – et pas encore gagné ! A la fin de la conversation, nous demandons s’il est possible d’aller voir un comité, mais le président de l’association nous explique que compte tenu de la susceptibilité de gens (toujours ! elle serait apparemment selon ses dires surtout « politique »), ce ne se fait pas d’y aller seul. Kri-kri, qu’est ce que c’est que cette susceptibilité à la fin ? Lui, par exemple, c’est vrai qu’il semblait un peu méfiant à priori, mais il n’est pas susceptible pour un gruyère, alors qu’on nous avait dit le contraire ! Tant pis, on se prépare à repartir sans être allés voir de nos propres yeux un des ces fameux comité de l’eau…
Mais miracle, la chance nous sourit (je n’ai jamais vraiment bien compris cette expression). Un des membres de l’ASICASUR présent dans les locaux se prépare justement à aller visiter un comité en compagnie d’une italienne membre d’une ONG. Nous parcourons rapidement quelques kilomètres de quartiers populaires, composé de mélange de cabanes, de trou à souris et de maisons. Le contraste avec le centre est gigantesque. Là bas, on y trouve des pelouses et des fleurs dans des jardinières, et ici, rien, pas un chat, façon de parler, ou presque. Et même si en général, l’absence de chats m’arrange, ici, j’aurais bien aimé en voir un ou deux accompagnés de végétation. On ne peut même pas s’amuser à faire des châteaux de sable, parce que pour faire des châteaux de sable, il faut de l’eau. On nous explique que pour ce comité de 700 familles, la nappe d’eau, pompée depuis seulement 10 ans, s’assèche. En plus, une étude récente a révélé que celle-ci était polluée par des métaux lourds. Génial ! Ils nous demandent si on est là pour les financer. Apparemment, ils ont l’habitude de voir des ONG occidentales dans le coin. Pas plus tard que la semaine dernière, c’était ceux de la fondation de Danielle Mitterrand qui étaient ici.
Nous arrivons devant une foule pioches à l’épaule affairée à déboucher les tuyaux : femmes, enfants et hommes, tous ensemble, ouais ! « Vous croyez qu’ils sont contents de travailler ensemble ? » Le responsable bénévole de ce collectif de l’eau nous peint le tableau. « Pas du tout, ils payent une amende si ils ne sont pas présents ». Et effectivement, les voilà qui vont se faire tamponner un petit carton bleu, avant de prendre à manger un sandwich au thon accompagné de jus d’orange, que l’on nous propose aussi. Anna et Jérémy acceptent, enchantés, mais pour moi, c’est non, merci, le poisson, beurk, c’est bon pour les chats ! De toutes façons personne ne m’a vue. On continue à nous expliquer qu’il leur manque seulement environ 20 000 dollars pour être de nouveau autonomes, c'est-à-dire acheter leur propre camion citerne pour aller chercher de l’eau a la SEMAPA. Certes, quelques ONG les aident un peu, peut-être, mais ce n’est pas sur et c’est très long pour qui a besoin d’eau. Et si l’ASICASUR les aide à construire et maintenir le réseau, elle ne leur amène pas l’eau pour autant. Alors, ils imaginent créer leur propre ONG. D’après notre courte expérience en Bolivie, il semblerait que cela paye bien !
Un peu d’amertume vis-à-vis du gouvernement. Depuis peu, les comités de l’eau peuvent être reconnus par le gouvernement en tant que petites entreprises. « Les entreprises, c’est corrompu » commente notre ami. Là-dessus, l’italienne nous explique que le ministère de l’environnement et de l’eau, créé en même temps que la loi de l’eau, une des conquêtes supposées de la guerre de l’eau, est financé à 80%¨par la coopération allemande, le BID et la Banque mondiale. Elle nous apprend aussi que la fameuse « loi de l’eau » dont on parle tant, qui est un modèle qui affirme pour la première fois que l’eau est un bien collectif, a en fait ouvert la porte à un système de sociétés d’économie mixte, et ce, sur la demande des allemands. Selon eux, c’est la seule solution pour éviter la corruption. « Economie mixte pour l’eau, qu’est ce que cela veut dire ? » « Par exemple, la mise sous concession de la gestion d’un réseau d’eau potable à une entreprise privée. » Tiens, tiens, mais cela ne serait pas comme le système français, ça ? Niveau prix, les comités s’en sortent bien. Pour le moment, ceux qui ont leurs puits (pas encore épuisés) sont à égalité avec la SEMAPA, et bien en dessous des camions citerne qui dont l’eau coute presque dix fois plus cher.
Voilà, pour nous c’est la conclusion notre quête de la guerre de l’eau…(perdue?). Beaucoup de questions posées pour de nombreuses interrogations soulevées : où va donc tout l’argent de l’entreprise publique ? Que deviennent les contributions des comités à l’ASICASUR ? Tout cela représente beaucoup d’argent et quand on sait qu’il manque seulement 20 000 dollars à certains d’entre eux pour de nouveau avoir de l’eau, on peut s’interroger. Vont-ils trouver un système de gestion autonome sans être sous perfusion des ONGs et de l’aide au développement ? Et que fait l’Etat bolivien qui n’est pas très présent dans la zone sud de la ville. Finalement la « guerre de l’eau » ne fut qu’une bataille gagnée, la véritable guerre n’a pas (encore) eu lieu.



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Kri kri
Irkita

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