dimanche 30 janvier 2011

02-03-2010 : Cuenca, la belle eau !

 Cuenca, la belle eau ! (J1)

« Quoi, déjà ? On est arrivé à Cuenca ? ». La nuit a été effectivement courte, pourtant, il est déjà presque 9h00 du matin lorsque nous débarquons dans la troisième ville Équateur. La troisième, c’est en termes de population. En termes architecturaux, c’est sans aucun doute la première. Comme un bon diaporama vaut mieux que quelques phrases (qui ne seront, en plus, probablement jamais lues), je vous laisse admirer le travail.



Alors, ça vous a plu ? A nous aussi, beaucoup ! Pour l’anecdote, mes compagnons connaissaient déjà Cuenca, mais à voir Jérémy la numériser une nouvelle fois avec son appareil photo, s’extasiant devant la moindre pierre, le moindre marbre, les clochers, les dômes, les pavés et tout ce que peut contenir une ville, pendant qu’Anna s’impatiente, je constate, une fois de plus, leur parfaite immaturité ! Heureusement que je suis là pour les rappeler à l’ordre. « He, les amis, vous vous souvenez pourquoi on est ici ? ». Aussitôt dit, aussitôt fait, nous repartons sur les chapeaux - des panamas évidement puisque nous sommes dans la capitale mondiale de ce chapeau de paille – de roues et réussissons in extremis à nous dégoter deux rendez-vous qui devraient nous permettre d’éclairer nos lanternes sur la tant attendue « marche pour l’eau » programmée pour le lendemain.

Le premier entretien nous amène à rencontrer un des leaders du mouvement de contestation. Ce dernier, avocat de formation, originaire des régions où l’eau est gérée par des organisations communautaires, les juntas de agua (juntes de l’eau) est particulièrement remonté contre le gouvernement. Ces accusations portent sur deux points. Premièrement, sur le fait que la nouvelle loi de l’eau place les juntas de agua sous la tutelle d’une Autorité unique de l’eau, directement sous les ordres du Président de la république. Les communautés, et notamment les communautés indigènes, ne sont pas d’accord et souhaitent que l’autorité ne soit pas unique et que les systèmes traditionnels de gestion de l’eau s’intègrent dans les autonomies indigènes promises par la nouvelle Constitution. Deuxièmement, au centre de la contestation, encore et toujours, des projets miniers. Les paysans de la région s’opposent à l’ouverture d’une (ou plusieurs ?) grande(s) mine(s) à ciel ouvert, située(s) en amont de leur canaux d’irrigation, qui se retrouveraient fatalement pollués par l’activité minière !

Dans les campagnes, alors qu’on avait voté majoritairement pour Rafael Correa et qu’on avait soutenu le processus qui a conduit à l’approbation d’une nouvelle Constitution, on s’estime trahis. Et pour cause, « l’agenda environnemental » d’Alianza país, le mouvement politique présidentiel, établissait des objectifs bien différents de ce qui a l’air d’être à l’œuvre aujourd’hui. On y parlait notamment d’un « sévère contrôle environnemental de toutes les activités d’extraction » et de « la récupération définitive des zones dégradées par l’activité pétrolière et minière ».

Cela dit, le sentiment d’avoir été trahi semble prendre le dessus sur les raisons objectives de l’événement qui se prépare. Ce n’est évidemment qu’une interprétation personnelle, mais il y a comme un relent de « coup politique » derrière cette marche de l’eau. Durant notre premier entretien, les oreilles du Président équatorien ont dû siffler une fois de plus. En voici un exemple caricaturé. Question : « Donc c’est pour manifester votre désapprobation face aux projets d’exploitation minière que vous manifesterez demain ». Réponse : « Oui, ce gouvernement raciste ne respecte pas les indigènes. On a clairement à faire à une dérive fascisante néolibérale… »

Un peu plus tard, notre second entretien, qui se fera en deux parties - une première autour d’une caipirinha (mes compagnons sont des assoiffées), et une seconde autour d’un verre de vin (c’est bien ce que je vous dis) -, nous apporte quelques informations un peu plus objectives. Notre interlocutrice, une texane-mexicaine qui ponctue sa conversation par des « chuta » bien équatoriens, nous explique : « Il y a vraiment une  base populaire aux mouvements anti-miniers dans les campagnes. Les gens ont des parents qui ont travaillé dans les mines illégales ou artisanales du pays et qui ont témoigné des impacts de ces activités sur l’environnement». Kri kri, nous voilà rassurés, nous n’allons pas seulement participer à un des épisodes du combat qui se livre entre les différents acteurs politiques du pays.

Alors que nous nous apprêtons à rentrer à pied l’hôtel dans lequel nous nichons, le gérant du restaurant où mes compagnons avaient étanché leur soif, marié avec une française et qui connait donc la France, nous ramène à la réalité latino-américaine « Vous comptiez rentrer à pied ? Ce n’est pas possible, c’est trop dangereux, va falloir prendre un taxi ». Bon, on s’exécute, même si, à l’arrivée au bon port, le poste de police mobile qui se situe à quelques mètres de notre hôtel nous fait douter un instant de la réalité du danger. « Aurions-nous été complices d’une crise du sentiment d’insécurité ? » Quoiqu’il en soit, après la tranquille Bolivie et un Pérou où on ne s’est pas sentis en danger, cela fait tout drôle de s’entendre dire que le simple fait de marcher dans la rue comporte un risque !


Cuenca, la marche de l’eau ! (J2)

La police s’arme, les marcheurs s’organisent, la presse s’affaire autour des leaders : une manifestation semble se préparer de la même façon à Cuenca que sur la place de la République à Paris. Une fois toutes les troupes débarquées des montagnes des alentours, on organise le cortège. Évidement, il ne s’agit pas de tirer à pile ou face pour savoir qui marchera en tête. Ici, à Cuenca, ce 3 mars 2010, la mise en scène doit être parfaite. Alors, on positionne en tête les femmes de l’eau, belles, évidement, vêtues de bleue et de blanc – dont les vêtements ont quelque ressemblance avec ceux des femmes ayamaras -, puis suivent toutes les huiles de la manif - leaders indigènes et politiciens locaux pour la plupart -, et, enfin, le gros du cortège ! A vue de museau, quelques 1000 personnes présentent ce jour là.

Enfin, hygiaphone à la main, le flutiste du jour, notre ami avocat de la veille lance la marche. C’est parti pour quelques heures de spectacle. Bouteille à la main, banderole à bout de bras, devancée par un bataillon de police qui ouvre la route, entourée d’un nuage de journalistes frénétiques, la colonne avance sous un soleil brulant comme il peut l’être en montagne. Puis, coup de théâtre, la marche, suivant ses leaders, bifurque pour aller à la rencontre des autorités de la région…qui, à ce qu’on nous dit, ne sont pas là: « Vous voyez comment on traite les Indios en Equateur », - hurle à la foule notre ami avocat en ressortant du bâtiment officiel. Le face à face avec le pouvoir s’arrêtera là.

La marche repart, policiers couverts de crème solaire toujours en tête, journalistes butinant avec leurs flashs toujours présents à l’appel. Anna - qui porte le fameux panama de la ville - a droit à son demi-millier de clichés. Deux effrontés de la presse locale tenteront même de nous faire parler … avec très peu de succès ! Finalement, sans encombre, à pas de course, nous débarquons dans le centre ville. Certains commerçants se bouchent le nez au passage de la marche. Racisme, quand tu nous tiens. D’autres regardent les indigènes avec sympathie. A leur sujet, d’ailleurs, je vous l’ai déjà dit, les femmes indigènes des alentours de Cuenca ressemblent aux Ayamaras de Bolivie. Historiquement, des communautés originaires des alentours du lac Titicaca à l’époque de la conquête Inca de la région de Cuenca auraient été déplacées ou seraient venues de leur plein gré – au choix, selon les versions – pour que la région soit peuplée de « peuples amis ». Ce qui est particulièrement impressionnant dans cette histoire, c’est que 500 ans plus tard, les femmes avec qui nous marchons ce jour-là se vêtissent toujours de la même façon que leurs lointaines parentes de la Paz. Et pourtant, marcher sous cette chaleur et à cette vitesse, j’en ai les pattes douloureuses et je suis bien contente de pouvoir me refugier dans ma poche-nid, lorsqu’après presque 3 heures de marche, nous nous posons enfin sur la place centrale de Cuenca, celle de la belle église aux trois dômes bleus que nous avions admirée la veille.

Les festivités ne sont pas terminées pour autant. Une cérémonie – à la fois catholique, marxiste, indigéniste et tout simplement politique - s’ensuit. Adeptes des longs et sonores discours, c’est-celui-qui-crie-le-plus-fort-qui-a-le-plus-raison, les dirigeants de la tête du cortège passent un par un par sur le podium. Un représentant de l’Eglise catholique donne une messe en l’honneur de l’eau. Les ave-agua succèdent au « no a la mina ». On lève la bouteille (d’eau) à chaque fois que l’occasion se présente. On crie aussi à la lutte des classes. On crie à l’injustice et à la trahison du gouvernement et du Président, sans pour autant citer son nom une seule fois. Probablement qu’on sait déjà que la presse du lendemain ne fera pas de cadeaux. Si on sent dans la foule un clair ressentiment face aux projets miniers, sur le podium, on perçoit un petit quelque chose de revanchisme politique…

Petit à petit, au grès des discours fleuves, la foule se clairseme jusqu’à ce que nous ne soyons que très peu. Evidement, les quelques personnes avec qui nous devions discuter de tout cela se volatilisent. Avant que nous ne reprenions le bus de nuit dans l’autre sens, c'est-à-dire Cuenca-Quito, Jérémy finit de se démoraliser totalement au musée du Panama en essayant des chapeaux dont la valeur correspond à la moitié d’un salaire minimum en France. Je vous laisse imaginer ce que cela représente pour l’Equateur. A l’entendre s’extasier sur le fait qu’aucune goutte d’eau ne peut passer au travers d’un tissage si fin même si par la suite on on nous dira que ce n’est pas vrai, je mesure la distance – dans le sens de la hauteur, à quoi bon la fausse modestie ! - qui me sépare des Humains. Lorsque je m’endors dans le bus qui nous ramène à Quito quelques heures plus tard, je me pose encore la même question : comment est-ce qu’un nid fait de paille un peu aménagé a-t-il pu autant impressionner mes compagnons ?



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Kri kri
Irkita

dimanche 12 décembre 2010

01-03-2010 : Otavalo, Chapeau !


De retour d’Intag, nous partons compléter notre visite de la vallée en allant faire un tour dans leur nouvelle boutique d’Otavalo. Tout y est : pulpe de fruits, cosmétiques, artisanat, café et j’en oublie. Il y a même un coin avec des tables pour gouter au plaisir les produits bio. Si vous passer dans le coin !

Un peu plus tard, alors que nous passons par la place de los Ponchos, j’assiste à un drame. « Regarde amigo, 10 $ le panama, c’est un bon prix. Dernière vente de la journée ! »  Pris de convulsion, Jérémy, sous les assauts des vendeurs otavaleñiens et d’Anna – alliance fatale ! - finit par craquer et par acheter un panama, une des fiertés du savoir-faire équatorien. Et oui, on s’imagine, et pour cause, que les « panamas » sont des chapeaux typiques du Panama, le pays. Et bien pas du tout, c’est à rien y comprendre, le genre d’histoires totalement latinos, mais les panamas sont une spécialité de Cuenca, la belle du sud de l’Equateur, tandis que les Montecristi, qui sont aussi de type « panama », sont fabriqués dans la ville éponyme située au sud-ouest du pays (Manabí), pas le loin de la côte pacifique. L’histoire, c’est que les chapeaux, avant de débarquer en Europe, transitaient par le Panama. « Très confortable en tous les cas ». Un panama de Montecristi, typiquement équatorien !

Un dernier tour d’Otavalo qu’un soleil de fin d’après-midi rend encore plus unique et hop, Quito, hop, un bus de nuit, hop, direction Cuenca, pour « la guerre de l’eau » version équatorienne.



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Kri kri
Irkita

mercredi 8 décembre 2010

Du 27-02-2010 au 01-03-2010 : Intag, vivre la légende…

- Bon Irkita, arrête un peu avec ta légende d’Intag ! Qu’est ce que ça a de légendaire d’abord ? Raconte-nous ! 
- Alors, Intag, c’est un cas d’école des mouvements socio-environnementaux …. 
- Oh, non ! Encore une histoire d’entreprises minières, de luttes paysannes, de défense de la terre, de protection des écosystèmes et d’alternatives, tant qu’on y est ?
- Bon d’accord, si vous savez déjà tout, je ne dirai plus rien. D’un autre côté, c’est un peu le but de notre voyage aussi. Alors kri-kri,  à la fin !
- … 
- … …
- Allez, c’est bon, dis-nous ce que tu as à raconter ?
- Non, je suis vexée, si ça vous intéresse, vous n’avez qu’à lire ça ou ça ou encore ça . En attendant, si ça ne vous gêne pas de rester ignorants, vous pouvez quand même admirer ce que ces gens-là ont souhaité défendre et ce qu’ils risquent de devoir encore défendre si l’histoire qu’on nous a racontée sur le contrat entre le Chili et la Chine se confirme.

S’il est (fort) probable que vous avez peu d’enthousiasme à entendre pour une nième fois une histoire de la lutte entre les habitants d’une vallée et des entreprises minières, nous, de notre côté, en arrivant ici, sommes contents de revoir quelques amis et – pour Jérémy et moi - de mettre des images sur des phrases lues, ici et là, de poser visages sur des noms et d’associer des paysages à des lieux. En couleur et en trois dimensions, son et lumière compris.

Si le processus de résistance et les alternatives concrètes qui en sont sorties en ont impressionné plus un et ont été beaucoup étudiés et donnés en exemple , du haut de la route menant à la paroisse de Peñaherrera, la vue du rio coulant au fond de sa vallée, brillant sous les rayons du soleil de matin, vaut mieux qu’un long discours. La pureté qui émane du tableau que j’ai devant les yeux rend encore plus évidente la nécessité qu’ont dû ressentir les véritables maitres des lieux, ceux qui vivent ici, à protéger leur vallée de l’inévitable cataclysme qu’aurait représenté l’installation d’une mine à ciel ouvert.



Le lendemain, arrivés à Apuela, la paroisse principale de la vallée, nous faisons le tour des connaissances. C’est le jour du marché et tout le monde est présent. Dans les locaux de l’association la DECOIN, on travaille dur sur l’amélioration du site Internet en discutant de l’avenir. Quelques mètres plus loin, le café Internet/bibliothèque communautaire, que les militants « anti-mine » souhaitaient mettre en place « parce que la culture c’est important », ne désemplit pas. Ici et là, on croise des bénévoles occidentaux venus prêter main forte à la myriade des projets en cours ou en chantier. Le « Periodico Intag » continue son travail d’information sur l’actualité aussi bien nationale, internationale que locale et la coopérative du café écologique et équitable (AACRI) est une affaire qui tourne, nous explique-t-on.

Un peu plus loin, faisant face à la place de l’Eglise, le marché du dimanche a des allures de Babel  : là une famille d’otavaleñiens en habits traditionnels qui vendent leurs fruits ; ici des afro-équatoriens fouillant parmi des dizaines de CD piratés à la recherche du tube du moment ; un peu plus loin, des métisses tiennent un stand de vêtements. C’est aussi ça, la richesse et l’originalité d’Intag, une zone de colonisation relativement récente, où cohabitent des populations d’origines différentes.


Alors que mon enthousiasme pour la vallée d’Intag ne cesse de grandir et que nous arrivons dans la maison d’un ami, je me rends compte que jusqu’alors, tout ce que j’avais vu n’était que la face émergée. Ici, je pense avoir trouvé le paradis terrestre. Et je pèse mes mots (si-si, les souris aussi, on a été chassées du paradis à cause d’un trognon de pomme qu’Adam avait jeté par terre!). Evidemment, la « cabane » où nous passerons la nuit, toute en bois, dotée d’une literie au confort quasi criminel, accompagnée de toilettes sèches et entourée d’une végétation tropicale humide luxuriante, n’y est pas pour rien. Mais l’enchantement ne s’arrête pas là. Derrière la maison, se trouve un pré dans lequel une vache et son veau – « qu’il est mignon » s’exclament mes compagnons en humains qu’ils sont-, ruminent, évidement, tranquillement. Derrière le pré, on découvre un sentier. Poursuivons le, nous voici dans la forêt : 500 hectares de bosque nublado (forêt brumeuse) dont une partie primario (primaire).  C’est la « réserve » des propriétaires du lieu, achetée il y a 20 ans, pour une poigné de dollars, à l’époque où le gouvernement équatorien motivait la colonisation des vallées « vierges » de cette partie du pays. Nous y passons la fin de l’après-midi, accompagnés par quatre compagnons canins et bruyants. Je préfère les chiens aux chats, forcément, mais pourquoi est-ce que le labrador qui nous suit est-il obligé de plonger bruyamment dans chaque point d’eau qu’il trouve ?
Le soir venu, après avoir diné - « véritable parmesan » au menu -, nous finissons la journée en conversant sur l’avenir de la lutte anti-mine sur le continent. Notre hôte nous présente à cette occasion le fruit de son dernier travail militant : un guide communautaire pour lutter contre les projets miniers. L’idée est d’y collecter un maximum d’information et de le compléter, un peu à la manière de wikipédia, au fur et à mesure… Un livre open source et collaboratif. Si ça vous intéresse, il est accessible à cette adresse (uniquement en espagnol pour l’instant).



Le lendemain matin, après une nuit à en rendre jalouse les loutres, et un petit déjeuner dans un cadre idyllique, nous poursuivons la promenade de santé en rejoignant Apuela à pied. Le paysage est spectaculaire. Des forêts d’agaves - « elles ont toutes fleuri lors de la sécheresse de l’été dernier, c’est pas bon », nous explique notre ami -, aux eaux cristallines du rio Intag, nous finissons par succomber définitivement aux charmes de la vallée et imaginons un instant comment pourrait être la vie ici. « S’il n’y avait pas cette épée de Damoclès, la menace de la mine de cuivre, rien n’empêcherait les gens d’ici d’être heureux, tout simplement … ».


Mais c’est déjà l’heure de partir. Demain matin, il faut qu’on soit à l’autre bout du pays, à Cuenca, dans le sud, pour y rencontrer les acteurs d’un autre mouvement d’opposition aux projets miniers. Adieu Intag, on espère te retrouver la prochaine fois encore plus foisonnante, de végétation, sans aucun doute, et d’idées, c’est certain.

Avant d’embarquer dans le bus qui nous ramènera à Otavalo, nous passons nos derniers instants en assistant à une réunion du Consorcio Toisán, une sorte de « parlement » qui regroupe 9 organisations sociales (associations, coopératives, etc.) de la vallée, qui se sont alliés afin de mettre en commun leurs efforts pour développer la vallée autrement (qu’en extrayant du cuivre).

On en profite également pour en apprendre plus sur les projets de construction de 9 petites et moyennes centrales hydroélectriques dont la capacité totale de génération d’électricité est estimée à 100 Mw. Ces projets ont été conçus avec l’aide d’une ONG cubaine (Cubasolar), d’un collectif d’ingénieurs équatoriens, de la CCAS (comité d’action sociale d’EDF) et d’Energie Sans Frontières (France). Les projets de petites centrales, à très faible impacts environnemental, ont été validés par tous les habitants concernés, après un long travail de concertation. L’ensemble de ces centrales devraient rapporter près de 30 millions de dollars de bénéfices annuels. La première centrale, pour laquelle le projet est fin prêt (c’est-à-dire qu’il ne reste qu’à passer au stade de la construction), devrait rapporter 2 millions de dollars, soit deux fois plus que le budget annuel du canton de Cotacachi dont la zone d’Intag fait partie (!), de quoi financer pas mal de projets. Pour sa construction, a été créée HidroIntag, une entreprise « publique communautaire » dont font partie les Juntas parroquiales de la vallée (Conseils paroissiaux, à rappeler que « Paroisse » est une division administrative équatorienne), la municipalité de Cotacachi (la capitale du canton) et le Consorcio Toisan. Tous les bénéfices obtenus doivent être réinvestis dans le développement de la zone, avec des objectifs de protection des forêts et des sources d’eau. Malheureusement, les gouvernements municipal et provincial bloquent le projet pour lequel le Consorcio Toisán a déjà trouvé 80% du financement nécessaire à sa réalisation. Ce manque de coopération a évidemment donné une occasion supplémentaire à Rafael Correa et ses alliés de l’Alianza Pais d’avoir les oreilles qui sifflent, et pas du côté où on parle en bien.


Savons et produits cosmétiques naturels, miel, pulpe de fruits et sucre artisanal bio. Artisanat tressé en fibre végétale. Café bio cultivé à l’ombre, dans des « systèmes agro-forestiers », vendu via le système de « commerce direct » (qui se veut plus équitable - dans les faits - que ledit commerce équitable), développement de « fermes intégrales ». Tourisme écologique et communautaire. Journal, bibliothèque et café Internet communautaires. Réserves –communautaires toujours ! - de protection des forêts et des sources d’eau, reforestation (30.000 arbres natifs de 39 espèces différentes), culture des plantes médicinales…  Et j’en oublie. Plus de 1700 familles de 60 communautés disséminées sur les 2000 km² de la vallée d’Intag tirent leurs revenus de ces nombreuses activités. Voici l’exemple d’un petit recoin dans lequel une poignée de personnes (la population de l’Equateur est de plus de 14 millions d’habitants) fournissent la preuve, que si, il est possible de trouver des alternatives pour se développer autrement, tout en respectant la nature et « en tirant profit » de son environnement sans le détruire. Alors, l’Intag serait-elle la potion magique de l’Equateur ? Car finalement, en tirant un peu sur les moustaches, on pourrait presque se dire qu’ici, il y a un peu d’Asterix et Obelix. Et qui a déjà pensé à plaindre les habitants du célèbre village gaulois, si ce n’est, éventuellement, d’être autant harcelés par ces fous de Romains ?

vendredi 17 septembre 2010

27-02-2010 : D’Otavalo à Intag, à la rencontre de la légende…

Le chemin qui nous mène à Intag semble faire partie d’un parcours initiatique. Après en avoir tant et tant entendu parler, peut-être suis-je influencée par l’excitation que j’ai à découvrir la légendaire vallée du rio Intag et son héroïque peuple, mais les éléments semblent s’être unis pour faire frémir mon imaginaire.

Non, cette fois-ci, il ne s’agit pas de gruyère suisse ! Alors que nous descendons, puis remontons, puis redescendons de nouveau, le bus, qui nous mène à la paroisse de Penaherrerra, le village où nous attend une amie, fraie sa route sur un chemin de terre agrippé aux flancs de la vallée du rio. Les yeux écarquillés, j’y découvre un univers mystérieux, auquel l’épaisse brume que nous pénétrons donne vie de sa main d’artiste impressionniste. Dans ce bus englouti dans une abondante végétation à l’allure d’êtres animés-figés, je somnole en regardant le paysage défiler devant mes yeux… fermés. « Irkita ? Irkita ? Réveille-toi, nous sommes arrivés ! ». Me serais-je endormie pendant le trajet ?



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Kri kri
Irkita

mercredi 15 septembre 2010

27-02-2010 : Otavalo, un autre mode de développement ?

En retournant à Otavalo, ville située à une heure de bus au nord de Quito, sac à dos à l’épaule - en transit en attendant notre bus pour la vallée de la rivière Intag appelée … « Intag » - , mes compagnons de route ont l’impression de retourner sur leurs pas. Et ils me racontent : « regarde, Irkita, cet hôtel, là, on y avait dormi, et dans celui-ci aussi, l’année dernière avant de partir rencontrer, pour la première fois, les amis de l’Intag ». « Ah ?! ». «Oui. Tu vois, Irkita, Otavalo, c’est le marché le plus typique de l’Equateur et probablement un des plus grands marchés indigènes du continent, ici, on vient de partout sur Terre pour acheter des vêtements, des tissus, des mantas ! Regarde toutes ces couleurs, tous ces motifs, tous ces gens, toutes ces échoppes de bijoux, de chapeaux, de sacs à dos, de pantalons, beau, n’est ce pas ? ».
Kri-kri. Vont-ils me laissaient admirer tranquillement ? Car, c’est vrai que c’est très beau, que la finesse et les coloris des tissus d’Otavalo ne font pas mentir leur réputation, mais, est-ce qu’on était obligés d’empailler des dizaines de mes consœurs, fausses de surcroît, et d’en faire des jouets pour touristes avides de sottiserie pas chère à ramener chez eux qu’un des vendeurs ambulants essaie de nous vendre !?


« Allons Irkita, ne fait pas ta mauvaise tête, il y a certains portemonnaies plutôt dégarnis qui sont heureux de pouvoir se vider du peu de leur contenu pour ramener quelque chose d’ici ! Tu comprends, on est à Otavalo, c’est un marché, alors on vient pour acheter et si on ne peut rien y acheter, on est un peu frustré ! ». L’explication que mes compagnons me fournissent valant ce qu’elle vaut (seraient-ils schizophrènes ?), je me détends un peu et admire le spectacle, qui s’avère ne pas en être un du tout. Les tenues traditionnelles noires et blanches des otavaleniennes (otavaleñas), les femmes, toutes plus magnifiques les unes que les autres, qui arborent fièrement leurs beaux bijoux, les hommes aux espadrilles blanches immaculées (mais comment font-ils ?) ne font pas partie d’une mise en scène orchestrée par on-ne-sait-qui, et nous ne sommes pas dans un parc d’attractions pour gringos, même si certains pourraient le croire un instant. L’exotisme d’Otavalo n’en est pas un. Ici, on fait des affaires. Et du marché aux légumes à celui des bestioles, des vêtements et des tapis aux panamas de Cuenca, des pantalons à rayures valant 5 dollars, « no-mas » (pas plus), toutes les techniques sont bonnes pour que l’acheteur - qu’il soit local ou qu’il vienne de loin - achète. « Première vente de la journée, amigo, achète-moi quelque chose, je te fais un prix ». Ici, on marchande dur, mais surtout, on gagne visiblement beaucoup d’argent comme en témoignent les nombreux distributeurs de billets plantés aux quatre coins de la place des Ponchos (la place du marché).

Certes, certains gagnent plus que d’autres et la richesse de la ville cache les demeures très modestes des campagnes, dans lesquelles on travaille dur, on tisse, on teint, pour fournir aux vendeurs ce qui sera acheté 10, 20, 50 dollars, voire plus, quelques kilomètres plus loin, par des touristes qui, bien souvent, ne soupçonnent pas l’existence de ceux qui fabriquent tous ces beaux produits vendus par les intermédiaires de la ville (tout autant Otavaleños, cela dit par ailleurs) qui en retirent une (bonne, paraît-il) partie des bénéfices. Bref, ne tombons pas dans le cliché du bon indigène-solidaire-envers-ses-pairs. Ceci dit, même en tenant compte de cette face cachée, on ne peut pas non plus parler de pauvreté ou de l’exploitation sauvage du plus grand nombre par quelques uns…

Dans la capitale des otavaleños, on vend, on achète, et les affaires tournent. En ville, devant les banques, les indigènes font la queue pour y déposer les gains de la semaine. Là bas, on aperçoit une famille de la région, la femme en habit traditionnel (ce sont surtout les femmes qui « gardent » la tradition), l’homme jeans-casquette, de longs cheveux d’ébène en queue de cheval – à en rendre jalouse plus d’une humaine -, en train d’acheter un frigo modèle états-unien … d’une contenance de 100 litres (au moins) ! Imaginez la quantité de gruyère qu’on peut y ranger…

Alors quel est le mystère qui fait que partout dans le monde, jusqu’au stand de la fête de l’Huma, on retrouve les otavaleniens en train de vendre leur vêtements ?  Les plus fervents (économistes) adeptes de la fameuse main invisible crieront « victoire » en y voyant un laboratoire à ciel ouvert (pour une fois que ce n’est pas une mine), où l’offre et la demande s’ajustent. Pourtant, pour l’instant, aucune échoppe d’Otavalo n’a encore été cotée en bourse ; aucun fond de pension n’a titrisé les possibles ventes de l’année prochaine en fonction du temps qu’il fera ou d’une improbable note fournie sur on-ne-sait-quel-critère par une agence de notation aux pouvoirs quasi divins ; aucun financier fou n’est venu ici pour transformer ce qui n’existe pas encore en argent virtuel. Quant au modèle extractiviste (oui, revenons à nos moutons !), prétendument indispensable – pour ceux qui le défendent - pour combattre la pauvreté, il n’y a aucune exploitation minière dans le coin, aucune fonderie, aucun puits pétrolier ? Pas à ce qu’on sache…

Alors, en parcourant le marché alimentaire situé un peu plus loin dans la ville, devant l’abondance des produits fournis par l’agriculture locale, on éprouve des sentiments contrastés. De la joie, d’abord, celle de voir qu’il est possible de vivre dans son temps, en pratiquant une activité économique rentable – « non, messieurs ! Ce ne sont pas des communistes, ni des « écologistes infantiles » et encore moins des indiens arriérés ! » – tout en conservant ses racines culturelles ; on a aussi de la peine alors que les souvenirs de la misère et de la pollution qui règnent à la Oroya ou à Cerro de Pasco au Pérou nous reviennent en tête ; donc de la colère, enfin, lorsqu’on se remémore les discours ventant l’activité minière  puisque nous sommes à la lisière de la vallée d’Intag, où, selon les rumeurs, le gouvernement souhaiterait réactiver l’exploitation du cuivre alors que les populations locales n’en veulent pas et qu’elles pensaient s’être débarrassées de la menace après 12 ans de lutte … La malédiction de l’abondance, diraient certains ?

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Kri kri
Irkita

dimanche 5 septembre 2010

Du 21-02-2010 au 24-02-2010 : Quito (4ième partie) Attention, migraine !

Ca fait une semaine qu’on est en Equateur et on est complètement perdus. Ou presque. De ce qu’on croit en avoir compris, le panorama politique du pays est bien complexe. Le gouvernement - qui a mis en place un certain nombre de politiques sociales, notamment les bonos (allocations en français)  aidant les plus démunis du pays à raccorder les deux bouts chaque mois, - est taxé pour cela de populiste et assistencialiste, non pas (seulement) par la droite, mais par les indigènes et les écologistes. Concernant les indigènes, on les croyait à gauche, mais on a appris que via leur parti politique, le Pachakutik, ils ont été capable dans le passé de faire alliance avec des militaires putschistes de droite !

Pour ce qui est des projets de développement, ils ne cadrent ni avec le discours officiel, ni avec les promesses de campagne et « l’agenda environnemental » d’Alianza Pais, le parti-mouvement du président Rafael Correa. Les programmes à la patine socialiste et visant à fortifier l’Etat national vont de pair avec une politique de développement tout ce qui est de plus conventionnel, « sénile » pour certains , c'est-à-dire basée sur l’exportation des matières premières, mais que la gauche au pouvoir justifie de la manière suivante :  « pour développer le pays, il faut bien trouver de l’argent, alors pourquoi se priver de la richesse du sous-sol du pays car si les gains obtenus grâce à celle-ci sont bien redistribués, où est le problème ?». Ou encore, en version un peu plus nuancée (ou encore plus hypocrite ?), « cette étape [extractiviste] est obligatoire pour pouvoir mettre en place des véritables alternatives et engager le pays dans la transition vers une économie post-pétrolière ». De leur côté, les organisations écologistes - « infantiles » selon le Président -, certains intellectuels de haut rang et les indigènes seraient en train de passer (ce qui était déjà probablement le cas pour les indigènes), dans l’opposition. Mais pas dans l’opposition de droite (cela serait trop simple !), car, évidement, il y a opposition et opposition. Aux critiques classiques et attendues des grandes fortunes du pays, qui se sont partagées le pouvoir pendant des décennies menant la fronde depuis Guayaquil et qui qualifient aujourd’hui (sans surprise !) le gouvernement de communiste, s’ajoutent maintenant celles de certains acteurs importants de la société civile positionnés à gauche et qui, de leur côté, n’hésitent plus à qualifier l’action gouvernementale de néolibérale et le discours présidentiel de raciste.

Enfin, comme les mouvements sociaux et la CONAIE, la puissante organisation indigène, ont eu beaucoup de mal à se situer face à un gouvernement positionné à gauche, s’ensuit une cacophonie de déclarations critiques de l’action gouvernementale, plus ou moins virulentes et souvent contradictoires, qui tendent à accentuer le lent affaiblissement des mouvements sociaux et les décrédibilisent en partie. Quant à Rafael Correa en personne, sans diplomatie aucune et parfois avec une certaine virulence, il semble bien aimer enfoncer le clou et taper là où ça fait mal. Même si le ridicule ne tue pas, il est dur de se faire des amis chez ceux qu’on ridiculise.  « Si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi », pourrait être en substance la dialectique utilisée par le Président. Quand on connait sa popularité, on se rend bien compte de la complexité de la tâche de ceux qui souhaitent participer à la construction d’un nouveau pays, sans être pour autant ni inféodés ni traitres. 

Finalement, la question est de savoir comment trouver l’équilibre et la méthode permettant de critiquer de façon constructive, sans pour autant l’affaiblir, un gouvernement-où-on-a-des-amis-mais-aussi-des-ennemis, tout en se préservant d’être associé à une opposition de droite formée par l’élite économique et d’anciens dirigeants du pays, au profil conventionnellement ultralibéral et raciste, toujours aux aguets et qui n’hésite pas à utiliser les médias de communication dont elle contrôle une bonne partie pour semer la zizanie ! Attention, migraine…

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Kri kri
Irkita

mercredi 1 septembre 2010

Du 21-02-2010 au 24-02-2010 : Quito (3ième partie), Fin de mi-temps

Après quasiment 5 jours de répit-repos-organisation-réflexion-débats, nous avons notre rendez-vous avec Acción Ecológica. Les locaux de l’organisation ne trompent pas :  un vélo décoré d’un autocollant « Yasuni depende de ti » en défense du projet ITT, un grand jardin fleuri, du jasmin embaumant…, Acción Ecológica, dont j’ai déjà parlée un peu plus haut, c’est l’Organisation (avec une grande « O ») écologiste (infantile) d’Equateur, internationalement connue et reconnue pour son travail de soutien aux mouvements socio-environnementaux du pays, voire de tout le continent américain, tout comme pour « poser les thèmes importants », comme l’a formulé si bien une amie d’ami. C’est aussi l’une des plus vieilles du continent (25 ans !). Nous y avons donc une discussion intéressante qui nous met (ou remet) au vent des principaux problèmes socio-environnementaux du pays.

Mines

Le mouvement anti-minier, nous-dit-on, est aujourd’hui le principal mouvement socio-environnemental d’Equateur (ou « principaux mouvements », car, comme on le comprendra plus tard, il est difficile, là aussi, de parler d’unité).

L’Equateur, contrairement au Pérou et à la Bolivie, n'est pas (encore) à proprement parler un pays minier. Son passif environnemental, il le doit (surtout) à l'exploitation pétrolière. Alors, quand el señor Correa décide qu'il faut développer le pays à l’image de ses voisins, c'est à dire en extrayant de la terre les minerais, ce n’est pas du goût des indigènes et des écologistes, dont certains parlent de trahison. D’autant plus que depuis l’adoption de la nouvelle Constitution en 2008, l’Equateur est censé respecter ce que les assembleistes ont appelé les "droits de la nature" en reconnaissant la nature en tant que telle comme un sujet de droit. La rupture entre le « développementisme sénile » et « l’écologisme infantile» est pour beaucoup due au changement de cap du Président sur la question minière.

Actuellement (fin février 2010), on distingue, nous explique-t-on, trois principaux fronts emblématiques de la lutte contre les projets miniers :

-         Celui de l’Amazonie sud (provinces de Morona Santiago y Zamorra chichipe), mené par des Shuar.
-         Celui du nord-ouest, dont le foyer le plus connu est la vallée d’Intag, l’un des cas emblématiques et des plus étudiés d’Equateur, aussi bien pour sa résistance victorieuse (en 14 ans , ils ont réussi à faire partir deux entreprises étrangères et l’exploitation projetée du cuivre n’a jamais pu commencer) que pour son inventivité (mise en place d’une multitude de projets alternatifs). Ce sont des copains, Anna les connaît déjà. Tant mieux, Jeremy et moi, nous avons hâte de les rencontrer !

-         Le mouvement en défense de l’eau, le plus fort dans les provinces du sud (Azuay et Zamora), mais qui a vocation de s’étendre à l’ensemble du pays, mené par les paysans et les indigènes. On nous dit qu’une marche pour l’eau est prévue pour le début du mois de mars à Cuenca et que nous pourrions y rencontrer les principaux acteurs. Génial, on accepte l’invitation sans hésiter.

Même si les mouvements anti-miniers historiques (comme celui d’Intag) n’étaient pas forcément menés par des indigènes, on nous dit qu’aujourd’hui, les indigènes sont des acteurs de première importance, notamment à travers l’ECUARUNARI (Ecuador Kichwa Llaktakunapak Jatun Tantanakuy), composante andine de la CONAIE (actuellement allié et/ou protagoniste des mouvements anti-extractivistes). 

Pétrole

En Equateur, c’est toute une histoire. L’or noir est encore aujourd’hui la principale source de revenus du pays (qui fait partie de l’OPEP*), l’activité pétrolière emploie beaucoup de personnes (Petroecuador, la compagnie pétrolière nationale, a été pendant longtemps le premier employeur du pays) et est à l’origine, aussi, des plus grands scandales. Les deux grands oléoducs (SOTE et OCP) ont continué d’acheminer l’or noir de l’Amazonie équatorienne en dépit des crises économiques (dollarisation), des crises politiques – 7 présidents en 9 ans - et des drames environnementaux et humains (Procès Chevron Texaco).

Le plus gros scandale socio-environnemental lié au pétrole concerne une entreprise états-unienne, Chevron-Texaco. « Texaco demeura au pays pendant 28 ans, fora 339 puits, lâcha quotidiennement dans l’environnement plus de 22 millions de litres de déchets industriels, brûla 10 millions de pieds cubiques par jour, versa 16,8 millions de barils de cru, causa la déforestation de plus d’un million d’hectares de forêts tropicales humides. Avec ses opérations, Texaco bouleversa les populations indigènes Cofan, Siona, Secoya, Huaorani, Kichwa et Colonos, et les amena à un état proche de la disparition. De plus, la venue de cette entreprise accéléra le processus d’extinction des communautés Tetete et Sansahuari » (Jose Proaño, Situation de désastre ? Problématique pétrolière en Equateur. Le Jouet Enragé. Novembre 2006. http://lejouetenrage.free.fr/net/spip.php?article126).

La compagnie est aujourd’hui sur le banc des accusés, et son procès (dont je vous parlerai en détails plus tard) est considéré par certains comme « le procès du siècle ». Les dégâts environnementaux et sociaux causés par l’activité de la Texaco dans la grande forêt sud-américaine ne font pas l’ombre d’un doute.  Eaux de formation fortement contaminées (une sorte de marée noire fluviale de grande envergure), pollution aux métaux lourds,  un nombre anormalement élevé de cancers chez les populations vivant à proximité des sites d’exploitation pétrolière… Plusieurs documentaires ont déjà été tirés de ce scandale (Chevron toxico et Crudo). Mais, malgré les fréquentes et euphoriques annonces médiatiques qui parcourent le microcosme de ceux qui sont au courant, le procès n’avance quasiment pas et la multinationale est encore loin d’avoir payé les 27 milliards de dollars qu’on lui réclame en dédommagement.

Comme pour faire écho à ce procès, la grande « cause » du moment en Equateur, celle qui fait vibrer (une partie de) la planète, c’est le projet Yasuni-ITT. Derrière ce sigle, se cache un projet sorti des méandres obscurs des écologistes « infantiles » du pays. On cite souvent Esperanza Martinez (l’origine de l’idée provient de la proposition d’un moratoire sur l’exploitation pétrolière faite par Oilwatch) ou Alberto Acosta comme en étant les principaux instigateurs et promoteurs. L’idée du projet est la suivante : puisque l’humanité court à la catastrophe à cause du réchauffement climatique, provoqué (entres autres causes) par les émissions de gaz à effet de serre issus de la combustion des dérivés du pétrole, alors l’Equateur, dont près de 20% des réserves de pétrole exploitables se trouvent dans le parc Yasuni en pleine Amazonie, propose le contrat suivant à la communauté internationale : « je laisse mon pétrole (celui de Yasuni) là où il est, en échange de quoi vous me remboursez au moins la moitié du manque à gagner ». Simple et génial? Pour l’instant, on n’en apprendra pas plus, mais on aura vite une occasion de nous rattraper : une journée sur le sujet est organisée le 5 mars prochain, à Coca, « la » ville pétrolière du pays et que nous y sommes cordialement invités. Ca, c’est la bonne nouvelle.

La mauvaise nouvelle, enfin, celle à laquelle on ne s’attendait pas, c’est que le pays continue son exploration pétrolière dans les régions côtières et qu’il existe un projet de raffinerie en partenariat avec le Venezuela (PDVSA), dont les spécificités techniques permettraient de raffiner un pétrole du type de celui qui pourrait être extrait … je vous le donne en mille … du parc Yasuni. Sans parler de la résistance, depuis les années 1980, de la communauté kichwa de Sarayaku (Amazonie, Pastaza) contre l’exploitation du pétrole sur son territoire. D’ailleurs, les Sarayaku ne voient pas d’un très bon œil de projet ITT, qu’ils qualifient d’hypocrite (si l’on laisse le pétrole de Yasuni sous terre, leur territoire à eux sera plus que jamais en danger !).

Alors, poker menteur entre le gouvernement et les écologistes ?  En substance, chez Acción Ecologica, on pense que le gouvernement ne croit pas (ou ne croit plus) au projet ITT et que donc ce ne serait pas illogique de posséder une raffinerie lorsque l’extraction aura commencé. Alors, ITT est-il mort né ? « Non, mais maintenant, il est entre les mains de la société civile, des organisations écologistes et des militants qui doivent se mobiliser partout sur terre pour qu’il aboutisse »…  Ainsi l’Equateur pourra continuer à se faire l’écho des résistances aux projets pétroliers avec crédibilité. Dans le cas contraire, cela sera plus compliqué. Cela dit, il ne s’agit que d’un son de cloche, peut-être dramatise-t-on la situation afin de ne pas faire relâcher la pression ?

2 – prolongation, ou « encore les mines » !

Alors que je m’apprête à aller cuver toutes ces nouvelles informations qui n’en finissent pas de me faire tourner la tête, tant le chaud souffle le froid et réciproquement, nous nous installons sur une table du jardin d’Acción Ecologica. « Qu’est ce qui se passe, on ne rentre pas manger du fromage » ? « Non, Irkita, tu ne suis pas, on a un autre rendez vous ». Alors, c’est reparti.

Le deuxième entretien de la journée nous amène à la rencontre de l’OCMAL (Observatoire des Conflits Miniers d’Amérique latine), qui a fait son nid temporaire dans les locaux de l’association équatorienne. Après un survol du continent, nous menant du Salvador à l’Argentine, en passant par la Colombie et le Brésil, partout où des luttes contre les projets miniers existent, nous nous posons en Equateur.

En Equateur, contrairement à ses voisins, à notre connaissance, il n’existe pas pour l’instant de mines à ciel ouvert et à grande échelle en fonctionnement (si vous avez vent du contraire faites-le-moi savoir). Bien sûr, il y a une multitude de projets, tout comme les mines dîtes artisanales ou illégales, tout autant impactantes en termes environnementaux que leurs grandes sœurs, si ce n’est que là encore, c’est une question d’échelle – peut-être... Quand on extrait des dizaines de tonnes, même si la technologie est supposément plus moderne, on impacte forcément plus que lorsqu’on extrait quelques kilos.

En Equateur, il existe huit sites d’intérêt pour les entreprises minières multinationales, dont deux ou trois de grande taille,  nous apprend-on (deux ou trois ? on comprendra certainement plus tard…). «Aujourd’hui, il y a un mouvement de résistance national important contre les projets d’exploitation minière». Si, dans un premier temps, celui-ci s’est retrouvé paralysé par l’adoption du code minier, c’est en partie parce que les gens avaient confiance en la nouvelle Constitution qui devait protéger plus qu’ailleurs l’environnement, «la nature ayant des droits ». Mais, le fait que « Correa se soit prononcé finalement en faveur du développement de l’activité minière » a fini par faire sortir les mouvements de leur léthargie passagère. Aujourd’hui, les projets sont concrets et le(s) mouvement(s) anti-mine en phase d’organisation, fortement soutenu(s) et suivi(s) par le secteur indigène, d’une part et par les juntas del agua (systèmes communautaires de gestion de l’eau et des canaux d’irrigations) d’autre part. « Enjeu politique », - diront certains. A quoi d’autres répondront qu’il s’agit d’une problématique territoriale. Parce que l’activité minière est particulièrement envahissante et gourmande pour ce qui concerne ses besoins en eau. Or, « pour le mouvement indigène, le territoire est fondamental ». Et l’eau est fondamentale pour tous. Quant à l’apport des secteurs académiques et des ONGs du pays, ils sont venus fortifier la résistance en lui fournissant arguments théoriques et scientifiques. Le territoire avant l’écologie ?

Question subsidiaire. Pourquoi est-ce qu’en Equateur la résistance est-elle aussi forte ? Réponse : « Parce que les mobilisations sociales y ont toujours été nombreuses. Les indigènes ont renversé tant de présidents et les gens ont confiance qu’à travers la mobilisation, il est possible d’obtenir des choses, ce qui n’est pas pareil ailleurs». Ouf ! Réponse courte et logique, comme je les aime, mais qui n’est pas fréquente à entendre de la part de la plupart de nos interlocuteurs. Normalement, quand on pose une question, on écoute la réponse pendant une demi-heure ! Alors, quand on ne peut nous consacrer qu’une heure, c'est-à-dire en moyenne deux questions, il faut bien les choisir! Et vous, qui vous plaigniez des posts-fleuves d’Irkita (non, vous ne vous plaignez pas ???), imaginez que vous n’avez droit à chaque fois qu’à un résumé ! Ces humains, tous des ingrats !

Alors que nous rentrons à pied jusqu’à « la maison », nous sommes un peu tristes. En effet, au détour de la conversation, nous avons appris qu’à cause d’un contrat existant entre l’entreprise minière (publique) chilienne (CODELCO) et la Chine, l’exploitation du gisement de cuivre de nos amis de la vallée d’Intag que nous avons programmés de visiter à la fin de la semaine, est de nouveau en projet.

L’histoire, c’est que le Chili, qui possède les plus grosses réserves de cuivre de la planète, avait vendu (via la Codelco) 60 000 tonnes de cuivre à la Chine mais n’a pas pu honorer le contrat suite à l’opposition des syndicats. Entre temps, le gisement de la vallée d’Intag en Equateur - dont la concession était reprise par l’Etat (depuis que les communautés aient expulsé l’entreprise canadienne qui l’avait précédemment achetée aux enchères) - avait été revalorisé à 60 000 tonnes de cuivre. Exactement ce que la Codelco avait promis à la Chine. Selon notre interlocuteur, l’idée serait donc, qu’avec l’appui technique du Chili, une entreprise publique équatorienne - socialisme du XXIième siècle oblige ! - vende le cuivre promis à la Chine. Ce n’est pas que l’investissement soit stratégique pour l’entreprise chilienne, la Codelco, puisqu’en un an elle exporte entre 500 000 et 1 million de tonnes de cuivre, mais cela lui permettrait d’honorer son contrat avec la Chine. Pour une poignée de cuivre devant confirmer une poignée de main et une signature en bas d’un contrat, nos amis d’Intag, de nouveau, risquent de voir leur belle vallée détruite et leur rivière polluée pour de très nombreuses années. Sombre perspective…



*l’Equateur était sorti de l’OPEP en 1992 et a de nouveau réintégré l’organisation en 2007, voir : http://www.pcmle.org/EM/article.php3?id_article=1408


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