vendredi 26 février 2010

26-01-2010 : Cajamarca, fenêtres et bains.

Autour de Cajamarca, où nous sommes depuis maintenant 5 jours, en plus des mines, il y a aussi quelques sites touristiques. Ouf !
La ville, on en a déjà fait le tour. Le siège de l’Inca , on connait. Les agences de voyages devant lesquelles nous passons plusieurs fois par jour et qui inlassablement et sans exception nous proposent de faire « un tour » et à qui nous répondons « no gracias » avec la même patience, vont quand même nous inspirer. Elles font de la publicité pour des « ventanillas d’Otuzco» (petites fenêtres d’Otuzco). Mise à part la ressemblance phonétique avec l’ancienne capitale Inca (Cuzco), il s’agit cette fois-ci d’un site archéologique d’une civilisation pré-inca oubliée. De là, il est possible de rejoindre à pied les bains de l’Inca, un complexe thermal situé dans la ville de même nom (Baños del Inca). Nous partons donc nous dégourdir un peu les jambes, à l’air pur, pour changer. Totalement ingrats vis à vis des agences de voyages, nous empruntons évidement les transports collectifs, plus de 10 fois mon chers. Comme d’habitude, il s’agit d’un mini-van reconvertit en minibus. Comme d’habitude, celui-ci est plein à craquer. Alors qu’il n’y a que 11 places assises (et places tout court, vu la petitesse de l’engin), 24 passagers, auxquels s’ajoutent deux employés et une souris, y sont compressés.
Dans les transports collectifs au Pérou (et ailleurs en Amérique latine), il y a toujours un chauffeur et un assistant polyvalent comme on dirait chez nous. Celui-ci à pour fonction d’encaisser, de charger et de décharger les marchandises (ce qui n’est pas une mince affaire), de gueuler la direction pour attirer de nouveaux passagers et de trouver de la place lorsqu’il n’y en a plus. A ce niveau là, il y a des virtuoses. En pratique, il s’agit de crier à la fenêtre qu’il y a encore de la place à l’intérieur et lorsque la proie a été appâtée et s’est jetée dans le piège, de la tasser avec les passagers déjà dedans.
Celui que nous avons dans notre minibus ce jour là, pour cause de carnaval, fait en plus office de faiseur de pluie. Equipé d’un seau d’eau, il douche littéralement les passants, en faisant attention à ce que ses victimes ne soient évidement que des femmes. Chaque coup réussi est ponctué par quelque chose plus proche du cri d’hyène que du rire d’humain. Même si ma connaissance des hyènes reste un peu limitée. Alors, lorsque nous débarquons à Otuzco pour y voir ces fameuses fenêtres, nous courons jusqu’à l’entrée du site en faisant très attention aux minibus que nous croisons.
Victoire, nous sommes secs lorsque que nous arrivons face au gros rocher troué des ventanillas, quelque chose entre un gros morceau de gruyère français et un énorme nid de souris. Quelques rares panneaux explicatifs nous apprennent qu’il s’agit en fait, probablement, du cimetière d’une civilisation dont on ne connait pas le nom et qui aurait prospéré dans la région entre 1200 avant Jésus Christ et 600 de notre ère. La marge est grande. On l’a compris, on n’est pas à Machu Picchu qui est d’ailleurs en train de se noyer au même moment. Mais, peu importe, le soleil brille, nous sommes au vert et nous déjeunons au fromage ! Joie.
Poursuivant notre chemin dans une campagne toujours aussi généreuse, aux aguets des minibus que nous croisons, nous prenons la direction des bains chauds de Baños del Inca. Sur la route, nous admirons des bañosinos, c’est comme cela que s’appellent les habitants de la petite ville, en action, c'est-à-dire en train de peindre pour leur candidat favori, qui les aura surement payés : chapeau paysan cajamarquais ou casquette du citadin entrepreneur ? Ceux sont les symboles mnémotechniques utilisés par les candidats pour qu’on vote pour eux. Manque plus que le casque de mineur, non ?

Lorsque nous arrivons à destination, en suivant le conseil d’un touriste péruvien, nous nous trompons bêtement de site et nous retrouvons à patauger dans les piscines dites « pour enfants ». Ne sachant pas qu’il existe autre chose, nous y passons un moment agréable. L’eau y est aussi thermale. Et lorsque nous en sortons et que nous découvrons notre bévue, pour nous consoler de notre étourderie, en considérant les économies faites, nous nous disons que nous avons en fait trouvé un « super bon plan ». Tant pis, le « vrai » bain de l’Inca, ce sera pour une prochaine fois. Petite salutation à la statue d’Atahualpa qui trône au milieu de la plaza de armas, à moins qu’il ne s’agisse de l’Inca du bain, et nous retournons à Cajamarca ville pour notre dernier rendez-vous, à la rencontre de notre premier « officiel » péruvien, « régisseur des ressources naturelles et de la gestion de l’environnement » du gouvernement régional de Cajamarca.


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Kri kri
Irkita

mercredi 24 février 2010

25-01-2010 : A Porcon, il n’y a pas que des cochons

Lorsque nous débarquons à Porcon, nous sommes accueillis par la première peinture murale « Tierra y Libertad » que nous croisons et qui annonce la couleur. Et pour cause ! C’est ici qu’il y a 20 ans, un jeune prêtre était interpellé par ses paroissiens qui lui demandaient de l’aide. La bataille contre Yanacocha venait de commencer. Aujourd’hui, l’ancien jeune prêtre souhaite être candidat à la présidence de la République, et les habitants de sa paroisse de jeunesse sont toujours en lutte. Aujourd’hui, ce n’est plus pour défendre leurs terres, c’est pour défendre leur eau.A Porcon, comme à San Marcos, la terre est verte. Les alentours ressemblent à un mélange entre la Bretagne et la Suisse, sans les crêpes et sans le gruyère (malheureusement).

Nous y arrivons en fin d’après midi ensoleillé pour nous entretenir avec un dirigeant paysan, président des canaux d’irrigation, un dangereux individu en liberté sous caution ! Immédiatement, la pauvreté de cette terre nous saute aux yeux : l’herbe grasse qui nous arrive au menton, les fleurs violettes des champs de pomme de terre et les bombes à eau des gamins, sourire jusqu’aux oreilles, nous prouvent encore une fois le dénuement dans lequel vivent les gens de ces campagnes, qui sont parmi les plus fertiles du pays. Quelle misère ! Heureusement, Yanacocha est arrivée et, à la manière de la Doe Run de la Oroya et de ses consœurs du continent et d’ailleurs, elle signe ses bonne œuvres. Impossible de ne pas voir les panneaux qu’elle installe pour que le monde entier sache qu’elle est responsable de l’amélioration d’un canal. Une chose est sûre, elle tient à ce que cela se sache et quand on sait d’où vient le problème du moment entre la communauté et l’entreprise, on n’est pas surpris.

Voici pourquoi. Un jour, les paysans de Porcon et de ses environs - qui partagent l’eau entre eux en utilisant un système ancestral de canaux d’irrigation -, constatent que le niveau a baissé. « Cela doit être temporaire », se disent-ils, « certainement, quelque chose obstrue une des trois sources qui fournissent en eau les canaux ? ». Le temps passe, mais le débit ne revient jamais comme avant. Et puis, l’explication arrive : certains paysans sont embauchés par la compagnie minière pour réaliser de petits travaux sur l’un de ses campements, ce sont eux qui vont avertir les autres de la construction de nouvelles installations : cuisine, dortoirs, toilettes, ainsi qu’un nouveau puits pour alimenter en eau ces nouveaux locaux. En plus de tout le reste, l’entreprise ne serait-elle pas en train de leur voler leur eau ? Dans tous les cas, ils en sont persuadés et portent plainte, aidés par l’association Grufides.

Malheureusement - à cause de la corruption selon eux - ils n’ont toujours pas obtenu gain de cause, ni une réponse digne de ce nom : tout au plus, on leur a fourni le dossier du permis de construire des nouveaux bâtiments et du puits. Malheureusement, pour moi, les papiers administratifs sont plus une source de nourriture qu’une source d’information. Mais mes deux compagnons « cochon-d’indivores » ont constaté que l’administration est d’une extrême vélocité : l’étude d’impact environnemental comprise, il lui a fallu une journée pour valider le projet. Quand à la justice, nettement moins prompte à rendre des jugements, après de nombreux rappels, elle a fini par envoyer ses experts constater le préjudice. Conclusion : « il n’y a pas de préjudice ». S’il est vrai qu’il y a moins d’eau qu’avant, la faute en est au réchauffement climatique, bien entendu. Il a bon dos celui là, non ?
Alors, le « puits » détournant l’une des sources utilisées auparavant par les paysans ou le « réchauffement climatique » ? Une troisième explication existe : les fosses géantes que forment les mines à ciel ouvert sont aussi autant de réservoirs qui captent l’eau et la détournent ainsi de ses précédentes destinations … Mais de cela, on en parle pas ou très peu.

Tout cela est un peu triste. Le paysan qui nous reçoit, qui avait déjà risqué sa liberté en voulant que la justice soit faîte, nous apprend que la plainte en est restée là et qu’elle dort dans un tiroir à Lima, malgré plusieurs voyages pour la relancer. Il voudrait retenter un nouveau voyage, mais n’en a pas les moyens, il faut payer le transport jusqu’à la capitale. Derrière lui, dans sa ferme, quelques coqs se cherchent des poux (si c’est possible) et on aperçoit, sur une terrasse un peu au dessus, des femmes à grands chapeaux typiques de la région qui rient en triant on ne sait quels légumes. On entend le canal de la ferme dans laquelle nous sommes, est en train, de se remplir. Heureusement, il reste encore de l’eau à Porcon.

Alors que nous prenons congé de nos hôtes, je me pose la question de savoir si quelques centaines de paysans peuvent vraiment espérer que justice soit faite lorsqu’ils ont comme adversaire une entreprise aussi puissante ? Le mieux, c’est encore de ne pas laisser l’industrie minière s’installer chez soi, parce qu’une fois elle est là, impossible de s’en débarrasser. « Comme les souris ! » diront les langues taquines. Peut-être, sauf qu’à ma connaissance, il n’existe pas encore d’attrape-mines géants, cette invention sauvage qui dans ce cas ne serait pas inutile!


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Irkita

mardi 23 février 2010

24-01-2010 : Région de Cajamarca, San Marcos : Non, groin, coin-coin, cot-cot, kri kri, meuh, hi-han à la mine !

Lorsque nous embarquons pour aller passer la journée à San Marcos, capitale du district du même nom, pour une fois il ne fait plus nuit … et ce n’est ni l’aube ni même le petit matin. On s’est laissé dormir un peu. Comme je parle de district, je me permets une petite digression administrative. Au Pérou, on trouve d’abord les départements (aussi appelés régions, selon les cas), qui organisent des élections régionales (les prochaines auront lieu en octobre 2010). Cajamarca est ainsi la capitale de son département/région. Puis, au sein des départements, il y a des provinces et des capitales provinciales. Par exemple, dans le département de Cajamarca , on trouve 13 provinces dont celle de Cajarmarca, celle de San Marcos, celle de Jaen et celle de San Ignacio, les quatre provinces que nous allons visiter. Enfin, au sein des provinces, on trouve des districts. San Marcos  où nous passons la journée, est la capitale du district de San Marcos de la province de San Marcos, elle-même située dans le département de Cajamarca. Voilà, désolée, c’est un peu fastidieux, mais bon, on sait jamais, si la question tombe au trivial poursuite genius genius spécial pays d’Amérique Latine, grâce à Irkita, vous serez incollables !
A l’origine de notre déplacement ici, la résistance victorieuse à un projet minier, dixit la directrice de Grufides. Nous avons donc voulu aller voir cela de plus près.

L’abondance
Lorsque nous arrivons à San Marcos, il est à peu près midi. Ici, c’est la foire, au sens premier du terme. Tous les dimanches, les paysans et les éleveurs des alentours descendent en ville pour vendre leurs productions. A la vue de l’abondance présente ici, on sourit (pourquoi ne chat-on jamais, hein ?) en se remémorant le refrain de l’industrie minière et du gouvernement vantant le développement et la richesse que l’exploitation minière et autres activités extractives sont censées apporter, et sans qui les pauvres bouseux du coin meurent de faim. Ce qui est de toutes façons faux, parce qu’en dernier recours, les gens du coin auront toujours la possibilité d’avaler le grand chapeau qu’ils sont nombreux à porter, typique de la région de Cajamarca. Et c’est ce qui risque de se passer si on ne prête pas attention à leur volonté de ne pas voir l’industrie minière s’installer chez eux, même si, vu la fertilité des terres d’ici, il en faudra des kilos de cyanure pour que les gens se retrouvent avec plus rien à manger. En quasiment quatre mois de voyage, on a rarement vu de vaches si athlétiques, de cochons si heureux d’être sales, de chevaux si fringants, autant de fruits différents, autant de variétés de légumes, autant de couleurs sur les étales.
Au milieu de ce foisonnement de vie, un sac trainant par terre remplis de mes cousins cochons d’Inde (qu’on a l’indécence d’appeler « cuy » ici), me fait un peu mal au cœur. Ici, on les mange, un peu comme on mange le poulet du dimanche. Mais le pire reste à venir. Anna et Jérémy, ces sauvages, vont en prendre un pour déjeuner à midi. D’accord, ils mangent n’importe quoi, mais cette fois-ci, le coup est de trop pour moi. Voir mes deux compagnons dévorer à pleines dents un cousin me chamboule complètement. C’est décidé, il faut que j’assume ma condition de souris voyageuse. Finit l’allure ringarde. De retour à Cajamarca, je passe chez un relookeur, comme j’ai vu à la télé, et on va voir ce qu’on va voir. En attendant, je ronge mon frein, faute de pouvoir ronger un chapeau de Cajamarquais, à qui cela ne plairait surement pas … en plus, il risquerait de vouloir me manger en retour !

Suite à ce repas cauchemardesque, nous filons chez « les petites sœurs de Jésus », un ordre de religieuses contemplatives, pour y rencontrer l’une d’entre elles (une Brésilienne) afin qu’elle nous raconte l’histoire de la résistance à la mine, car nous sommes quand même là pour ça. « Malheureusement elle est partie en retraite tôt ce matin», nous informent deux de ses consœurs qui nous accueillent. L’une d’entre elles est d’ailleurs une française de Haute-Savoie qui est au Pérou depuis 1953. Incroyable, non ?
Dans tous les cas, elles nous offrent à boire un café, un vrai. Mmmm. Un café autre que de l’instantané, ça fait plaisir. Et oui, ça peut être surprenant, mais on boit très peut de « vrai » café au Pérou, alors qu’il s’agit de son premier produit d’exportation agricole. La production péruvienne est essentiellement destinée à l’exportation. J’en profite pour prouver mon début de transformation en jouant avec des chatons, qui grouillent par terre, à qui j’apprends à respecter les souris. Puis, comme le temps file et que rien ne se passe chez les petites sœurs, sur leur conseil, nous partons à la recherche du curé de la ville, qui aurait aussi participé à la résistance.

Le Carnaval, la mine et l’Eglise
Pouf, plouf. Ca, c’est le bruit des bombes à eau qui accompagnent la période du Carnaval à Cajamarca. Encore une fois, elles ne sont pas passées loin. Ici, le Carnaval de la région est l’équivalent péruvien de celui de Rio pour les Brésiliens, une véritable institution. Nous sommes à moins d’un mois avant son début, autant dire quasiment pendant, puisque les gens se préparent depuis 6 mois, et, pour permettre de patienter jusqu’au jour J, il y a quelques traditions, comme des préliminaires ou comme un échauffement. Sur la place centrale de Cajamarca par exemple, tous les vendredis et samedis soirs, des groupes de jeunes se réunissent pour jouer du tambour et de la flute et pour chanter en cercle, autour duquel se forme rapidement un autre cercle de spectateurs, chantant aussi. Puis, l’un des quartiers de la ville vient pour chauffer un peu plus l’ambiance en faisant le tour de la plaza de armas. Il parait que c’est la force de la culture. Dans tous les cas, j’aime bien la musique un peu médiévale de ces jeunes. Une autre des traditions est la bombe à eau, sous forme de ballon de baudruche la plupart du temps, voire d’un seau d’eau, carrément (!), une spécialité des minibus. On a vu des victimes se retrouver trempées de la tête aux pieds en un instant, alors qu’elles marchaient tranquillement dans la rue.

Bien entendu, nous sommes des cibles privilégiés. Faut dire qu’on nous repère facilement. Des blondes, il n’y en a pas beaucoup dans le coin. Plouf, plouf. Raté ! « Padre Lazaro? Padre Lazaro ? ». On se renseigne. Sa maison est en face de l’Eglise, sur la place. Nous le croisons. Il est d’accord pour nous consacrer un peu de temps avant son office de 17h.

L’entretien dérive rapidement sur des questions de politique nationale. Pour lui, il n’y a pas de bon candidat qui aurait des chances de gagner, il n’y a qu’un « moins pire » : un ancien président, Toledo, « parce qu’au moins, avec lui, on avait le temps de respirer ». Finalement, il appelle le secrétaire général du Front de défense du fleuve Cajamarquino, l’association des habitants de trois provinces qui résistent à la mine, nous avouant qu’il a été absent les deux années les plus intenses de lutte pour cause de dépression. On a beau être curé, on a quand même le droit de déprimer, non ? Surtout quand on voit ce qui se passe dans sa paroisse… Padre Lazaro a quand même le temps de nous expliquer le rôle qu’il a joué dans les mobilisations anti-minières. « Nous sommes allés voir les communautés, dans les campagnes, pour parler de la mine, pas pour parler contre la mine. Puisque les mines donnent seulement le bon côté des choses, nous avons souhaité que les paysans connaissent aussi l’autre côté, comme ce qui se passe déjà à Cerro de Pasco, à Tambogrande ou à Piura. Ensuite, c’est à eux d’en tirer leurs propres conclusions».

De la fausse vraie naïveté ? « La mine, ça pollue ton eau et ça rend malade tes enfants ». Facile de choisir, non ? En homme d’Eglise, il nous précise qu’ils ont été très prudents et qu’ils n’ont pas poussé les gens à se lever contre la mine. « C’est aux personnes de décider si elles souhaitent devenir protagonistes, si elles souhaitent jouer un rôle historique » Est-ce que le Padre a vraiment déprimé ou est-ce qu’il a été invité à se retirer pendant un moment comme le père Marco Arana avait été invité à étudier à Rome après avoir commencé à mettre son nez dans les affaires de Yanacocha ?

Acte 1 : Début de la résistance
Mais revenons à l’expérience victorieuse de lutte anti-minière à San Marcos. Nous l’apprendrons surtout de la bouche du secrétaire général du Front de défense du fleuve Cajamarquino. L’histoire est classique. L’entreprise minière Miski Mayo (Brésil) arrive dans la région en 2004. Pour accéder au site de la concession de 14 000 hectares qui lui avait été attribuée, elle a besoin de construire une route et, pour cela, d’exproprier des paysans dont les terres se trouvent sur le tracé. La réaction est rapide, c’est le début de résistance. Les membres du front de résistance qui se forme sur le champ réussissent à empêcher la construction de cette route illégale.

Au passage, on apprend que, bien plus en amont de cette lutte, l’Eglise avait joué un rôle important, voire central, dans le processus de conscientisation. Dès les années 70, elle a mis en place des programmes d’éducation à l’environnement pour les habitants des environs, nous explique le dirigeant, un professeur d’école. « Je suis fils d’un dirigeant écologiste », nous confie-t-il. Avant sa naissance, les organisations religieuses avaient déjà fait un grand travail de sensibilisation auprès des paysans sur l’importance de l’eau pour la vie. Alors, forcément, lorsque, par la suite, leur curé leur explique que l’un des principaux impacts de l’activité minière est justement la pollution aquatique, la réaction ne se fait pas beaucoup attendre. Il nous confirme aussi le fait que pour les paysans de la région, il y a eu un avant et un après Choropampa. Comme quoi, faire des documentaires, c’est bien efficace ! Et puis, il y a l’exemple d’autres villes minières du pays, comme celui de La Oroya ou mieux, celui du Cerro de Pasco, avec ses 400 ans d’activité minière.

« L’argent généré par l’activité minière est momentané. La mine est temporaire. Il s’agit d’un développement pour un petit groupe de Péruviens, mais avant tout pour quelques étrangers. Nous souhaitons défendre nos terres qui sont fertiles. Ici, nous ne voulons pas du développement minier, mais celui de nos champs. C’est une source de vie sûre ! ». C’est la protection de la terre, celle qui les nourrît, qui anime avant tout la volonté des habitants de San Marcos.

Acte 2 : Réponses de l’entreprise minière
Face à la résistance, l’entreprise sort sa liasse de billets et entreprend la seconde étape du manuel du « parfait petit mineur », celle de « l’achat des consciences ». Cette étape dure 4 ans. L’entreprise commence par les hommes politiques, « les plus faciles à acheter ». Puis, en fonction des spécificités locales, elle poursuit sa tournée en corrompant les dirigeants des organisations populaires. Dans la zone de San Marcos, il s’agit avant tout des « rondes paysannes » (rondas campesinas). Et pour ceux que l’entreprise n’arrive pas à acheter, elle les invite à participer à des ateliers de « formation » et à des rencontres sportives. C’est comme cela qu’elle se fait une place dans le paysage local et qu’elle se crée une base populaire. Et quand l’argent ne suffit plus, on passe à l’option « paramilitaires » (le plan B du « parfait petit mineur »). L’entreprise arme d’anciens senderistas afin que ceux-ci aident les paysans à se persuader du bien fait de l’activité minière ou à vendre leurs terrains.

L’argent finit par payer. En 2007, le front de résistance apprend que l’entreprise a commencé l’exploration. Elle a construit une autre route en passant cette fois par le district voisin, celui de Cajamarca (souvenez-vous du découpage administratif péruvien et des exemples en début de ce billet). Des paramilitaires auraient aidé les propriétaires des terrains traversés par cette route à accepter les propositions de la mine … en les empêchant de revenir sur leur terrain. Immédiatement, un demi-millier de paysans décident de renouveler l’exploit de 2004 en allant bloquer les installations de la mine. Ils vont se rendre compte qu’en pensant avoir gagné la première fois, ils ont laissé le temps à la compagnie minière d’affiner sa stratégie. Un comité d’accueil composé de policiers, mais aussi de paysans armés les attend. Si l’affrontement est évité, le mal est fait. « Avant, on se parlait entre voisins. La mine a amené l’individualisme ». Mais surtout, en divisant les communautés en « pro » et « anti » mine, elle a introduit les germes de sa dislocation, puisqu’une communauté où les gens ne se parlent plus, n’est plus tout à fait une communauté.
Depuis, les choses se poursuivent de la même façon: blocages réussis, tentatives d’achat des dirigeants, dépôt de plainte avec l’aide de Grufides, contre-attaque judiciaire de l’entreprise, poursuites policières contre les paysans. Aujourd’hui, le front de défense continue la lutte en préparant les prochaines batailles. 60% de la province étant concessioné, il y en aura malheureusement probablement d’autres. Son travail se poursuit dans les domaines juridique et technique, mais aussi en faisant un inventaire exhaustif des ressources naturelles (sources d’eaux, plantes, animaux, etc.) se situant sur les concessions. Cela pourra servir d’arguments plus tard. Enfin, ils souhaiteraient mettre en place un mécanisme de consultation populaire comme ce fut le cas à Tambogrande, mais ils n’ont ni les moyens financiers, ni les mairies qui les soutiennent…

La lutte légale : Justice injuste
On apprend aussi comment cela fonctionne au niveau des batailles judiciaires. Puisque l’entreprise commet des actes contraires à la loi (expropriations forcées, corruption, utilisation d’armes sans permis, etc.), une plainte est déposée contre elle. Mais, coup de baguette magique, elle change de nom et continue son activité. Aujourd’hui, on ne parle plus de Miski Mayo, mais de Vale do Peru, les actionnaires n’ayant évidement pas changé.


En revanche, les personnes qui résistent, ne changent pas de nom. Il faut savoir que le Pérou, en plus d’avoir plus de concessions minières et pétrolières que de sites archéologiques visitables, possède tout un arsenal juridique visant à criminaliser la protestation sociale. On est très rapidement taxés de terroriste, ce qui fait basculer les procédures de poursuite dans un cadre particulier. Ce n’est pas la police qui vient vous chercher par exemple, mais des forces spéciales. L’ami que nous avons en face de nous nous explique de nombreux paysan, « de dangereux terroristes », sont en liberté conditionnelle. Ils ont évité la prison seulement grâce à l’aide d’organisations internationales. Comme quoi, les campagnes internationales de soutien qu’on voit passer de temps en temps et qu’on signe parfois avec doutes quant à leur succès, ont des impacts et peuvent, un peu, améliorer des situations dramatiques. Ca réconforte un peu de savoir que le peu qu’on fait de loin sert parfois à quelque chose.

Suspension d’activité, mais toujours aux aguets (du marché boursier ?)
Bilan de la résistance à San Marcos ? Pour l’instant, l’activité minière n’a toujours pas débuté, mais l’entreprise rode toujours et attend des jours encore plus favorables. Au final, devant le pouvoir judiciaire – car c’est aussi sur ce terrain que se situe le combat - on se demande vraiment ce que peuvent faire des personnes qui ne possèdent qu’une seule et unique identité face à des entreprises qui, grâce au concept de personnalité morale, peuvent changer de visage tous les jours, tout en conservant à leurs commandes les mêmes personnes physiques, toujours intouchables.

Pour le moment, et même si l’entreprise a suspendu son activité, l’histoire de la lutte anti-minière à San Marcos n’est pas terminée. Comme ailleurs, elle ne le sera que lorsque le gouvernement péruvien aura revu sa méthode de développement du pays, en concertation avec les populations locales. Aujourd’hui pourtant, c’est plutôt le contraire. Le président péruvien a affiché sa volonté de construire un « train andin » de la région de Cajamarca à Piura pour acheminer des minerais. En attendant des jours meilleurs, avec mes copains humains, cochons, canards, poules, moutons, ânes, cuyes (snif) et j’en oublie, nous continuerons à dire, groin, coin-coin, cot-cot, kri kri, meuh, hi-han, cui-cui, no a la mina et si a la vida  ! 


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Irkita

vendredi 19 février 2010

23-01-2010 : Cajamarca, capitale des mouvements socio-environnementaux péruviens

Évidement, les deux rabat-joies qui m’accompagnent ne m’ont pas amenée ici pour me faire plaisir, ni pour que je puisse me régaler avec du fromage. Évidement, nous sommes aussi dans un lieu culte des conflits socio-environnementaux du Pérou. Selon la Defensoria del Pueblo, c’est le département péruvien qui connaît aujourd’hui le plus de conflits ouverts liés aux activités minières. Ici, quelque 43% du territoire de la région est concessionné à des entreprises minières, dont 100% de certains districts (celui de Cajamarca, où se trouve la capitale de la région l’est à 94% - il ne reste que le centre historique ?). Pas moins de 6 nouveaux sites miniers, tous situés sur les hauteurs ceinturant la ville, devraient ouvrir leurs portes, ou plutôt faire leurs trous (comme les souris), d’ici une à deux années. Certes, l’histoire de l’exploitation minière à Cajamarca ne vient pas de commencer, l’or était exploité dans la région depuis longtemps, à petite échelle... jusqu’à l’arrivée de la multinationale Yanacocha.
Cette dernière débarque au Pérou au début des années 1990, sous l’impulsion du Président de l’époque, Fujimori , adepte du néo-libéralisme sauvage, que beaucoup de Péruviens apprécient toujours, même s’ils déplorent tout de même ses carences en termes de démocratie. Pour l’anecdote, lorsque le vent tourne et qu’il s’enfuit du Pérou en profitant de sa double nationalité pour se réfugier au Japon, il va mettre à profit son expérience péruvienne en politique en intégrant un parti de l’extrême droite japonais, pour dire… A l’heure actuelle, parce que ça bouge souvent, le bougre (toutes mes excuses aux Bulgares que j’aime beaucoup) est tout de même en prison pour pas moins de six motifs d’inculpation différents et pour une durée supérieure aux années (25 ans) qu’ils lui restent à vivre. Trouver un moyen pour le libérer, c’est ce qui motiverait sa fille, Keiko Fujimori, à participer aux futures élections présidentielles de 2011. En Amérique Latine, plutôt que de s’embêter avec des affiches électorales, qui se déchirent, qui coutent cher et qui ne sont pas « développement durable », on peint sur le plus de murs possible le nom ou/et le slogan du son candidat préféré. Si on considère la fréquence des noms peints sur les murs comme un indicateur de popularité, au nombre de « KEIKO FUERZA FUJIMORI LIBERTAD » lus un peu partout dans le pays, elle semble en bonne voie pour gagner. Évidement, quelques nouveaux sols, la monnaie péruvienne, motivent souvent les gens à laisser peindre leur maison. Avec un père comme le sien, impossible qu’elle soit élue ? Il faut se souvenir que sur ce continent, niveau politique, tout est possible. Un exemple ? Ce sont les résultats économiques catastrophiques (inflation à 4 chiffres, 7649% en 1990) de son prédécesseur, Allan Garcia (économiste de formation), qui ont amené Fujimori au pouvoir. Alan Garcia, celui qui voit des chiens communistes former des bataillons de narcotrafiquants dans la forêt amazonienne. Le même que les Péruviens ont réélu en 2005, l’actuel président.

Pour en revenir à Yanacocha, elle est la fille de deux entreprises - Newmont (Etats-Unis) et Buenaventura (Perú) - et d’une institution, la Banque Mondiale, qui en détient 5% des actions. Lors de son installation dans le pays, c’est l’allégresse. Tous les médias chantent les vertus de cette entreprise moderne. Grâce à sa technologie de pointe, elle va permettre de récupérer les grosses quantités d’or dont les gisements, pour des raisons géologiques propres à la région de Cajamarca, sont tous situés dans des zones  de formation des sources d'eau, ce qui est particulièrement problématique en termes de pollution. Du fait de leur trop grand éparpillement et faute de technologie adaptée (et peut-être aussi parce que le cours de l’or n’était pas suffisamment élevé pour justifier l’investissement), le métal précieux cajamarquais n’était jusqu’alors pas exploité. Lorsque Yanacocha s’installe dans la région, les habitants apprennent dans les journaux qu’en plus de ne générer aucun impact pour l’environnement grâce à ses technologies modernes et de développer cette région de paysans endormis en leur donnant du travail, l’entreprise va enrichir tout les Péruviens grâce aux impôts qu’elle paiera à l’Etat.
Cela, c’est pour la face visible. Face cachée, c’est une autre histoire. L’installation de la mine est un cas d’école. D’ailleurs, pour l’anecdote, l’exploitation aurait pu être française (voir comment la France à perdu la concession), mais c’était sans compter sur l’intervention de la CIA - dès sa création, Yanacocha sent le souffre. Mais c’est une belle grande compagnie, et il est de bon ton de l’aimer. En dire du mal, c’est être communiste. Et au Pérou, « être communiste » peut être une accusation grave. Pendant 12 ans (de 1980 au 1992 officiellement), les Péruviens ont eu à souffrir d’une guérilla maoïste à la péruvienne et d’une contre-guérilla-terrorisme-d’Etat à la colombienne. C’est en partie pour des crimes commis par les paramilitaires sur les populations paysannes des Andes qu’est enfermé Fujimori. Quant à la guérilla, extrêmement violente et aux allures sectaires, ses méthodes pour bâtir le « sentier lumineux » vers la révolution devant mettre en place un communisme andin n’avaient pas grand-chose à voir avec les idéaux des libérateurs de la classe opprimée, et les mêmes paysans andins, pris en étau entre le « sentier » et l’armée, se trouvaient parmi ses premières victimes. Le qualificatif « communiste » réveille chez beaucoup de Péruviens de mauvais souvenirs et il n’est pas bon de se le voir affliger par les autorités et les médias.

C’est pourtant ce qu’à dû subir un jeune prêtre envoyé évangéliser les populations paysannes dans les campagnes reculées autour de Cajamarca, qui, très peu de temps après l’installation de la mine, se fait porte-parole des ses paroissiens. Fidèle aux principes humanistes de l’Evangile, celui-ci ne peut rester silencieux lorsqu’il prend connaissance de la bouche des habitants du village de Porcon des méthodes d’expropriation employées par la compagnie minière. Car le droit de propriété péruvien est ainsi fait que si le paysan (ou une communauté paysanne) est propriétaire d’un terrain, les ressources de ce terrain ne lui appartiennent pas et ce qui se cache sous sa maison peut ainsi être loué par l’Etat sans même l’en informer (même si l’entreprise bénéficiaire est censée, par la suite, obtenir son accord…enfin, ça, c’est ce qui est écrit sur du papier). Sympathique comme conception de la propriété privée (et collective), non ? A l’époque, il n’existait pas de route pour accéder à ces villages distants seulement de 30 kilomètres de la grande ville. Ce qui, à pieds, constituait tout un périple et favorisait le complexe d’isolement des paysans. C’est comme cela que les premières expropriations se furent silencieusement, sous contrainte de la menace : « soit tu parts avec ce qu’on te donne, soit cela se fait par la force ». Si c’est un homme « blanc » et riche qui parle, alors on obéit. Les premiers hectares furent bradés à 30$ chacun. Un scandale que notre prêtre, Marco Arana de son nom, ne peut taire.

L’évêque du coin, du côté du peuple évidement, lorsqu’il a vent de l’existence d’un prêtre « rouge » sous son autorité, le rappelle à l’ordre en l’expédiant deux ans à Rome pour y faire des études, et lorsque celui-ci revient dans sa région, une paroisse est crée spécialement pour lui : celle de l’université de Cajamarca. Erreur ! Des étudiants issus d’organisations religieuses proches de la théologie de la libération et un prêtre engagé, tous les éléments semblent réunis pour que la contestation prenne de l’ampleur. Ce qui fut effectivement le cas.

Malgré l’augmentation de la violence en ville et les bouleversements qu’elle subit suite à l’installation de la compagnie minière – migrations, apparition des bordels, etc. - les citadins continuent à voir ceux de la campagne comme des « cholos » ignorants et arriérés, qui se plaignent pour rien et qui ne connaissent pas leur chance. Il y a beaucoup de racisme social au Pérou… Pourtant, la contestation monte. Elle finira par prendre définitivement forme lorsqu’en 2000, suite à un accident de transport, 151 kilos de mercure sont déversés dans le village de Choropampa. Le scandale sanitaire est énorme. De nombreux habitants sont touchés. Toute l’histoire est relatée dans un documentaire réalisé par nos amis de Guarango. En ville, les étudiants proches du prêtre Marco Arana décident de diffuser ce documentaire sur la place principale (évidement nommée plaza des armas) pour qu’enfin tout le monde sache ce qui se passe. C’est ainsi que l’image d’entreprise responsable de Yanacocha commence à pâlir aux yeux de l’opinion publique. C’est ainsi également que l’entreprise minière remarque l’existence de ce groupe d’indésirables, qui a fini par se structurer pour devenir une ONG, connue sous le nom de GRUFIDES. Comme bien souvent, ce sont de jeunes citadins universitaires, et notamment juristes, scandalisés par la situation de ceux de la campagne. C’est en attaquant au niveau de la loi qu’ils tentent de défendre les paysans qui souffrent de plus en plus ouvertement de l’activité minière : disparition des sources d’eau, contamination des rivières et des canaux d’irrigation utilisés aussi comme sources d’eau potable, expropriations déguisées en actes de vente, etc.

Petit à petit, au bout de presqu’une décennie d’activités, Yanacocha voit apparaitre une résistance organisée à son activité. Autant les méthodes d’implantation de l’entreprise peuvent être considérées comme un cas d’école, autant la structuration de la résistance à son activité est représentative des mouvements d’opposition aux entreprises minières, notamment dans le nord du Pérou : un membre local de l’Eglise qui s’insurge de voir la morale chrétienne bafouée se fait l’écho des préoccupations de ses paroissiens qui voient leur instrument de subsistance, la terre, attaquée, endommagée ou volée. En ville, quelques jeunes, proches de l’Eglise, étudiants en droit et/ou écologistes sont interpellés par cette injustice et décident de se saisir du sujet et de contre-attaquer au niveau légal. En conséquence, sentant que ce qu’elles vivent n’est finalement peut-être pas une fatalité, puisque des universitaires, des « licenciés », des « docteurs » de la ville, les soutiennent, les anciennes organisations paysannes, qui existaient pour d’autre motifs, reprennent l’espoir et s’organisent. Pour les entreprises minières, le mal est fait. Puis, vient le drame, l’accident visible. La pointe émergée de l’iceberg. Celui-ci est médiatisé. Pour l’opinion publique, les choses ne sont plus comme avant. Au Pérou, il y a un avant Choropampa et un après.

Du coup, lorsqu’un projet d’élargissement du site minier arrive aux oreilles des citadins en 2004, tous les ingrédients sont présents pour que l’opposition à la mine prenne encore plus d’ampleur. Il faut dire que si Yanacocha avait voulu le faire exprès, elle ne s’y serait pas prise autrement. Le nouveau projet devait en effet exploiter la colline où sont situées les sources qui fournissent la ville en eau. Très rapidement, la ville est assiégée et immobilisée, par ceux de la campagne dans un premier temps et par ceux de la ville par la suite. Pendant 15 jours, plus rien ne bouge. Grufides et le père Marco Arana sont au centre des événements. Le gouvernement de l’époque décide d’employer la force, mais sous-estime la colère des paysans, accumulée depuis des années. Ces derniers parviennent à faire fuir et à encercler un bataillon de forces anti-émeute. C’est seulement grâce à la médiation du prêtre que les choses en resteront là et qu’il n’y aura pas de victimes. Le projet est abandonné, et, forts de leur action, les membres de ce qui fut un groupe d’étudiants se retrouvent invités par la compagnie à participer à des tables de dialogue afin de solutionner les problèmes présents et futurs.
De bonne fois, les anciens étudiants acceptent. Pendant deux ans, la priorité est donnée au dialogue et les petits conflits qui surgissent en 2005 et en 2006 sont rapidement résolus par la multinationale qui semble s’être découverte une conscience. Malheureusement, lorsqu’en 2007, suite à un conflit du travail, les gardes de sécurité armés de l’entreprise tuent un des employés, les relations se tendent. Pour totalement se rompre quelque temps plus tard, lorsque la présidente de l’association et le père Marco Arana découvrent qu’ils sont suivis par les mêmes services de sécurité depuis un moment. Dignes d’un film de James Bond, les espions avaient maquillé une vitrine en faux bureau, derrière lequel se trouvait une pièce entière recouverte de photos des « suspects », ainsi que celles de leurs proches et leurs amis. Des heures de bande vidéo sur lesquels ils sont filmés sont aussi découvertes. Toute leur vie est consignée. Alors, dans ces conditions, il n’est plus question de s’assoir à la même table.

Aujourd’hui, l’entreprise exerce toujours son activité et provoque des conflits. La nouveauté, c’est qu’elle n’est plus la seule. Environ une dizaine de projets miniers ont fleuri depuis, un peu partout dans la région. Alors, aujourd’hui, le prêtre, qui dans sa jeunesse, il y a 17 ans maintenant, s’était fait l’écho de ses paroissiens, paysans peinant à parler l’espagnol, a crée son parti politique. Celui-ci se nomme « terre et liberté » (Tierra y Libertad) en souvenir de la révolution mexicaine. En plus de participer aux élections régionales d’octobre 2010, Marco Arana est aussi candidat à la présidence du pays en 2011. s'il arrive à récuperer suffisement de signatures. La militance serait-elle un tremplin pour faire de la politique ? « Pas vraiment », nous répond la présidente de Grufides : « c’est qu’après tant d’années de lutte, nous en avons assez de voir que la situation empire plutôt qu’elle ne s’améliore. Alors, il s’est dit qu’il allait essayer de la changer lui-même, de la seule manière possible, c'est-à-dire en devenant Président du pays ». Et pour cela, il est prêt à sacrifier sa soutane !

On ne peut que le comprendre quand on voit la situation actuelle. Quasiment 20 ans de lutte et quasiment 20 ans de pleurs. Même si localement, certaines victoires sont remportées, globalement les choses vont de plus en plus mal. A l’heure actuelle, une des communautés de la région de Cajamarca, El Tingo est quasiment en situation d’insurrection. En effet, ils ont été choisis comme cobaye pour tester la récente résurrection de la loi de servidiumbre minera, littéralement de servitude minière. Ce monstre anticonstitutionnel avait été crée sous une des présidences de notre ami Fujimori. La loi avait sagement dormi dans un carton, pour finalement être recyclée aujourd’hui. Son principe est le suivant : lorsque ceux qu’on nomme au Pérou « propriétaires superficiels » ne se mettent pas d’accord avec l’entreprise minière sur la vente de leurs terres, celle-ci peut demander à l’Etat l’application de la servitumbre, à savoir – après une nouvelle tentative de concertation et si celle-ci échoue – de nommer un expert qui valorisera les terres convoitées, après quoi il suffira à l’entreprise de verser à l’Etat (Banque de la nation) une certaine somme pour l’achat du terrain dont l’ancien propriétaire se verra notifier de son expropriation par voie postale. Il ne lui reste plus qu’à faire ses bagages et à aller chercher son chèque à la Banque de la nation. A El Tingo, « los cholos » incultes du coin, ont bien conscience d’une chose : s’ils cèdent, ils laissent le gouvernement ouvrir la boite de Pandore. Alors ils résistent et ils sont prêts à aller jusqu’au bout. Après Bagua le 5 juin 2009, El Tingo un jour ? On espère que non, mais on craint le pire !

On en parle sur Aldeah.
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Irkita

lundi 15 février 2010

23-01-2010 : Cajamarca, c’est là que tout commence

Il y a quelques siècles maintenant, deux frères n’avaient rien trouvé de plus orignal que de se faire une guerre de succession suite à la mort de leur père. Alors que l’un des deux, toute sa cours et son armée étaient en direction de la capitale de l’empire – Cuzco - pour en déloger l’autre, on entend parler d’hommes blancs montant des monstres à quatre pattes qui auraient débarqué non loin, sur la côte. Cet homme est Inca et s’appelle Atahualpa. Afin de rencontrer les nouveaux venus qui affirment pouvoir l’aider dans sa guerre fratricide, ce dernier leur donne rendez-vous à Cajamarca. On dit aussi qu’il aurait été blessé lors d’une précédente bataille contre son frère et qu’il se dirigeait vers Cajamarca pour se faire soigner dans les bains thermaux de cette cité. Une autre version raconte encore que l’arrivée d’hommes blonds sur des chevaux fait partie des légendes incas et que le dernier empereur de cette civilisation voit ce débarquement comme un signe. En gros, on n’en sait rien. Mais une chose est sure, nous sommes en 1532l’Histoire est en marche.
Car effectivement, quasiment au même endroit et au même moment, un homme venu d’Espagne, un peu bandit, nobliau sans terre complètement fauché, débarque sur les terres de l’Inca en compagnie de 180 compagnons d’armes. Tous n’ont qu’une seule idée en tête : faire fortune.

Enfin, le jour de la rencontre. Le prétendant au trône fait camper sa troupe de 40 000 hommes en bordure de la ville pour assurer sa sécurité. De leur côté, les Espagnols, menés par leur chef Pizarro, mettent en place une stratégie dont le but est de prendre en otage celui qu’ils ont invité à discuter. Ils quadrillent la place centrale de la ville et lorsque le prince Inca arrive sur la place, ils le font rapidement prisonnier, puis se lancent à la poursuite de son armée qui, sans son chef et sous le coup de la panique face aux armes à feu et aux sons lui déferlant dessus, se retrouve complètement désorganisée. Ce jour là, 150 hommes équipés de quelques armes à feu et de chevaux auxquels on a fixé des grelots vont complètement bouleverser le cours des événements. On estime que 20 000 incas sont tués, dont une bonne partie de la noblesse.

« La situation est grave mais pas désespérée », doit se dire Atahualpa : « si je suis prisonnier, c’est forcément pour servir de monnaie d’échange ». Il sait ce qui intéresse ses ravisseurs. Il obtient la promesse de sa libération en échange d’une fois la quantité d’or et de deux fois celle d’argent nécessaires pour remplir la pièce dans laquelle il est enfermé, jusqu’à la hauteur de son bras levé. C’est un des détails de l’histoire. Six tonnes d’or et d’argent d’objets religieux seront fondus et transformés en lingots. C’est comme cela que commence le pillage de l’Amérique du sud par les Européens.
Un autre détail, c’est qu’une fois sa promesse tenue, à la place d’être libéré, il aura « la chance » d’être exécuté et de mourir par strangulation plutôt que par le feu, parce qu’il accepte in extremis de se convertir au christianisme. Ben, oui, pour les incas, si on veut franchir le seuil de la mort, il parait qu’il faut conserver son corps à peu près intact. Voici comment s’écroula un empire et comment un brigand de l’Estrémadure  devint aussi puissant qu’un roi. L’Histoire a décidément un sens de l’humour que j’ai toujours autant de mal à comprendre. Remarque, j’ai parfois aussi du mal avec le sens de l’humour des humains.
Le motif de tant de haine de la part des envahisseurs ? Mise à par la cupidité, on raconte que ce serait parce que le prince inca aurait jeté la Bible qu’on lui aurait tendue alors qu’il était prisonnier. On dit aussi, et c’est plus crédible, que la renommée d’Atahualpa au sein de son Empire était si grande et que l’homme était si intelligent, que les Espagnoles eurent peur de le relâcher et préférèrent s’en débarrasser. Doit-on voir cela comme le reflet d’une forme supérieure de civilisation ou l’expression de cette fameuse « main bienveillante, paternaliste et civilisatrice de l’homme blanc qui éduque ces sauvages d’Indiens » ! Peut-être même qu’il s’agit encore une fois de la même main invisible ?

C’est pour cela qu’à Cajamarca, on dit que c’est ici que le Pérou est né. On a connu des enfantements plus joyeux. Probablement que les habitants de Lima pensent que c’est chez eux que cela s’est passé, mais c’est une autre histoire.

Aujourd’hui, mise à part les bains incas à quelques kilomètres du centre ville, la pièce où fut détenu Atahualpa, ainsi qu’un morceau de rocher vaguement creusé et recouvert par la mousse, situé sur une colline surplombant la ville qu’on appelle « le siège de l’Inca », il ne reste strictement rien de l’époque précolombienne. Ce qui n’empêche pas la ville d’avoir un centre ville colonial dans lequel il est agréable de flâner. D’autant plus agréable, qu’il s’agit de la capitale péruvienne des produits laitiers et donc … et oui, du fromage ! Ah, le fromage de Cajamarca, j’en garde des souvenirs émus. Comme je repense avec tendresse à mon ami, le dragon-chicken, dont j’avais souvent entendu parler mais que je pensais être une légende. Et bien, non, nous l’avons croisé tout de plumes et de feu vêtu. Il est tenancier d’un restaurant en centre ville. A l’origine, c’était un poulet qui en avait marre qu’on se moque de lui. Alors il a changé d’apparence. Ca me laisse rêveuse…


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Kri kri
Irkita

samedi 13 février 2010

Bolivie : Retour en musique

Irk,

Pour conserver un peu de Bolivie dans les oreilles, j'ai fais une sélection des musiques qui nous ont accompagnés lors de notre voyage.

Dans les bus, sur les marchés, à minuit avec la qualité sonore d'un téléphone portable, en version cumbia ou en version reggaetón, LE groupe à la mode, j'ai nommé la Noche. Partout en Bolivie. Au moins une fois par jour. Comme on dit, les goûts et les couleurs ...


Plus classique, la chanson traditionnelle bolivienne. Elle ne fait pas parti du folklore poussiéreux qu'on ne ressort que pour les touristes et est toujours bien présente dans la vie de tous les jours. Aussi en générale au moins une fois dans la journée.
Dans la même catégorie, la chanson traditionnelle, mais cette fois-ci version « kri-kri » les guitares électriques. Un peu un mélange des deux précédents groupes. Voici un extrait de ce que le rock bolivien peut donner :


Pour ceux qui ont aimé, il s'agit du groupe Alcohólica. Voici une seconde chanson : Viva Santa Cruz. N'y cherchez pas de discours politique, celui d'Alcohólica semble plus proche de celui de Ramstein, façon de parler, que de celui de Brassens, mais bon, les guitares font kri-kri comme il faut, non ?

Et voilà. Comme quoi, en Bolivie, on n’y trouve pas que des mines !
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Kri kri
Irkita

22-01-2010 : De Lima à Trujillo à Cajamarca


Pas le temps de faire kri kri. Une nuit de bus en longeant la côte en direction du nord du pays nous amène à Trujillo, où nous avons une correspondance pour Cajamarca, une ville des hautes vallées andines. Le trajet alterne paysages lunaires et désertiques caractéristiques de la côté péruvienne (et de la Oroya), suivis de quelques rizières sorties d’on ne sait quels systèmes d’irrigation moches, puisqu’on est dans la région des Moches, une civilisation pré-inca qui s’est faite une renommée pour ses canaux et dont le nom fait sourire les francophones... Un peu plus loin, les rives de l’un des rares fleuves péruviens qui se jette dans le Pacifique se chargent de manguiers ployant sous le poids de leurs fruits abondants que nous mangerons au déjeuner! Un régal.
Pour ce trajet, nous avons pris une compagnie pas chère. Non que les autres soient forcément plus chères, ni qu’elles soient plus confortables, juste que cette fois-ci, le service est annoncé comme « économique ». Alors le bus prend du retard et il y fait très chaud. Mais le pire, ce sont les films qu’on nous y inflige : un calvaire. Après avoir eu droit à une épopée avec Schwarzenegger jeune et Alyssa Milano enfant (je vous laisse admirer le générique pour imaginer le niveau du scénario) qui s’appelle Commando (merci Internet), comme on ne pouvait pas s’arrêter en si bon chemin, on passe à un film avec Van Damme qui doit être quelque chose comme « Universal Soldier » : des soldats morts, ramenés à la vie façon « zombie » pour être utilisés comme une arme vivante ! Tout un programme.

Voici le générique de Commando.

A priori, et en théorie, il devait être possible d’ignorer tout ça et d’admirer le paysage. Mais en pratique, impossible : la règle ici, c’est « Si on peut mettre le son à fond, pourquoi ne pas le faire ? ». Et qu’il s’agisse de film, de musique, ou de sonneries de téléphone portable, c’est la même chanson, « il faut faire son maximum ». Dès fois, on se demande si tous les gens sont sourds… Ou alors, dans notre cas, peut-être que si le son est fort, c’est pour compenser la nullité du film. Bref, ce fut un trajet un poil - de souris - pénible. Personnellement, je fais encore des cauchemars dans lesquels je joue avec Schwarzy dans une piscine …
Faut dire aussi que côté films, nous avons été gâtés lors du trajet précédent : une projection d’Avatar en bonne qualité et en « bonne » langue, à savoir en espagnol (plus tard, nous le reverrons sous–titré dans une langue slave). Vous connaissez Avatar ? Ce film pourrait être projeté comme introduction d’un forum consacré aux conflits sociaux-environnementaux. Tout y est. Des indigènes d’une autre planète (certes, un peu bleus, aux allures de lémuriens et munis de longues queues qui ont l’air fort pratiques pour chasser les moustiques) luttent contre un projet d’exploitation d’un minerai rare entrepris par des humains et qui menace leur environnement. Les autochtones souhaitent évidement conserver leur territoire intact. Bien entendu, l’agression prévue est censée détruire un lieu de culte, sacré et essentiel pour leur cosmogonie . Incroyable de voir un film comme de ce genre sorti tout droit d’Hollywood ! Qu’est-il en train de se passer là bas ? James Cameron serait-il devenu dangereux activiste ?
Au passage, je salue l’industrie de la musique et du film et les porte-monnaies des Occidentaux. Merci aux pirates des pays de l’Est européen pour leur vélocité à diffuser dans les pays d’Amérique latine les films récents ; merci pour la qualité, merci pour le prix modique. Je krikrisse un peu de rire (jaune) lorsque je vois les efforts menés en Europe pour criminaliser les « méchants » qui téléchargent, alors que je regarde confortablement assise dans mon fauteuil de bus un film qui vient de sortir au cinéma… Se moquerait-t-on de nous ?
Tout ça pour dire que quand les collines ont commencé à verdir, signe annonciateur d’une altitude supérieure à 2000 mètres, et qu’on a senti qu’on arrivait enfin à Cajamarca, on n’a pas été mécontents de quitter Van Dame et d’éviter ainsi un film avec Stallone, pour s’installer dans une vieille bâtisse tout en bois de la place centrale de la ville, qui, comme dans quasiment toutes les villes du Pérou, s’appelle « La plaza de armas ».


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Kri kri
Irkita

vendredi 12 février 2010

Pérou : Quelques cartes

Quelle tête de chat je fais. Un mois de périple au Pérou et toujours pas de cartes .
En voici quelques unes.


Notre parcours jusqu'au 21-01-2010

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Kri kri
Irkita


mercredi 10 février 2010

20, 21-01-2010 : Lima ? Avec plaisir !

Et en plus on a de la chance. On est à Lima et il y fait beau. Si si, c’est vrai, on y a même vu du ciel bleu. Et gruyère suisse sur le gruyère français, on y a même trouvé des accès wifi dans le centre ! Alors, on passe deux jours à récupérer dans tous les sens du terme. De notre  fatigue, nos notes prises lors des rencontres avec nos amis précédents, du poids et du poil ! Vive Lima.

Pour ce qui est du poids, ce n’est pas trop dur. Autour de la place du palais présidentiel, des dizaines de restaurants/cantines rivalisent d’ingéniosité pour régaler Anna & Jérémy des spécialités de la cuisine créole et toujours à petit prix : un ceviche en entrée, un lomo saltado et une chicha morada pour 5 soles en moyenne (1,25€).
Alors que nous somme sur le point de partir, la capitale péruvienne nous fait un au revoir en fanfare en nous offrant un défilé internationale de danse folklorique. Dans l’ordre, on a pu admirer la richesse des danses de Finlande, d’Argentine, de Bolivie, de Costa Rica, de Paraguay, du Mexique, de Colombie, de Chine et du Pérou.


Merci Lima et hasta luego. Après cette courte parenthèse, on reprend la route pour Cajamarca.

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Irkita

mardi 9 février 2010

19-01-2010 : L’horreur continue à la Oroya : nous avons allumé la télévision

En temps normal, trouver un transport au Pérou est aussi dur que de trouver du camembert dans une fromagerie française. C’est donc l’esprit serein que nous serions allés au terminal terrestre (c’est comme ça que s’appellent les gares routières ici) de la Oroya pour rejoindre Lima, si nous n’avions pas bêtement succombé aux terribles chants de la télévision dont été équipée pour une fois notre chambre d’hôtel. Après s’être abrutis devant des séries stupides dans lesquelles de fausses blondes manipulent de faux naïfs pour qu’ils tuent leurs faux petits amis. Evidement, toute cette sordide manipulation a pour fin l’argent. Chez les souris, c’est un peu plus simple, puisque c’est toujours pour du fromage. Sauf que plus le temps passe, moins il en reste (du fromage), contrairement à l’argent. J’avoue que j’ai toujours autant de mal à comprendre quelle est la magie qui fait qu’avec les sous humains, plus le temps passe puis il y en a. J’aimerais bien connaître ce tour de passe-passe pour que cela soit la même chose avec le fromage, qui me manque beaucoup en ce moment. Ah ! Si je pouvais grignoter un morceau de sbrinz !

Puis voici les informations. On y découvre en images la catastrophe du tremblement de terre en Haïti avec toute l’indécence dont est capable la télévision. Une jeune présentatrice avec décolleté plongeant feint de la tristesse et tente vainement de prendre un air apitoyé afin de pouvoir nous montrer le plus de sang, les plus d’os brisés, le plus de pleurs possible. On doit probablement frôler les limites de la censure, tant c’est insoutenable et sans aucune pudeur. Je veux bien comprendre que ces gens là font leur travail et qu’un des rôles de la télévision est d’informer, mais est-on encore dans l’information lorsqu’on montre le malheur des Haïtiens avec autant de voyeurisme et de désinvolture. Je n’aime pas la télévision.
La situation est dramatique, mais est-ce bien nécessaire de montrer ces gens aux corps désarticulés et à moitié nus, ces victimes hurlant sous les décombres, ces enfants qui pleurent et ces gens affamés qui se disputent pour récupérer un peu de nourriture de l’aide internationale (sous-entendu : « regardez ces Noirs qui se battent, on dirait des bêtes ». Puis de voir la police tirer dans le tas, faire un blessé (ou un mort) sur lequel on zoome, parce que ça saigne et que c’est bon pour l’audimat.

Une minute de silence pour toutes les victimes de cette catastrophe.

Suite à quoi, comme si de rien n’était, on passe à une information qui nous concerne directement : le lendemain, jour prévu de notre retour en bus à Lima, l’ensemble des compagnies (privées) de transport collectif entament ce qu’on appelle un paro, et qui est l’équivalent de nos grèves des transporteurs et qui signifie « arrêt ». Motif ? Le prix de l’essence est trop élevé (10 nouveaux soles le galon / 2,5€ les 5 litres). Le plus drôle dans l’histoire c’est de constater que finalement qu’il y ait une entreprise publique ou des centaines d’entreprises privées, les sociétés de transport sont capables de paralyser un pays. Petit clin d’œil pour les gâchettes de la privatisation parce que « y-en-a-marre-de-ces-fonctionnaires-qui-prennent-le-pays-en-otage». Pour nous, ce n’est pas vraiment une bonne nouvelle. Si on en croit la présentatrice au décolleté plongeant, deux alternatives s’offrent à nous : soit on est coincés à la Oroya, quelle chance, soit on va payer le triple du prix, on est ravis !
Le lendemain matin, on se rend compte que, finalement, tout ça c’est un peu comme en France, lorsqu’on vient de passer une semaine de grève à Paris et qu’on voit l’information à la télé. Ca fait toujours de suite plus spectaculaire. Il faut que cela le soit de toute façon. Du coup, nous avons trouvé sans problème une voiture, un des moyens de transports officiels, le prix était normal et nous avons mis 3 heures pour rejoindre Lima.
Partant de la Oroya, la route commence par monter jusqu’à un col à 4500 mètres d’altitude. Autour de nous, se suivent de façon régulière mines à ciel ouvert, lacs bleu-verts et pics enneigés. Une fois la descente entamée, la roche prend une teinte rouge rouille. Une voie ferrée serpente sur le flan de la montagne. Sur celle-ci, à la fumée qui s’en dégage, on y devine un train en marche débouchant d’un des tunnels creusés dans la roche. Ambiance far west.


Un peu plus bas, le ciel s’éclaircit et le soleil fait son apparition. Les sapins nous accueillent avec leur vert étincelant et les cascades vertigineuses se font passer pour des rivières de lait. Cette descente est un véritable kaléidoscope. Enfin, au bout du chemin, voici « Lima la grise » qui fait pâle couleur après tous ces paysages. Pas grave, on n’est pas mécontents de regagner la grande ville, déjà parce qu’on y est arrivés et puis, surtout, parce qu’on va pouvoir (encore) se régaler de la gastronomie digne de la capitale culinaire de l’Amérique latine!

lundi 1 février 2010

18, 19-01-2010 : La Oroya horreur show

En compétition pour la catégorie « la ville la plus polluée du monde », avec la participation de Messieurs plomb, arsenic, cadmium, antimoine, mercure, césium, dioxyde de soufre et le casting n’est pas complet … Une étude menée il y a quelques années par l’Université de San Luis (Etats-Unis) en collaboration avec l’Eglise a rapporté la présence dans l’organisme des habitants de la Oroya de plus d'une dizaine de métaux différents: une bonne partie de la table d’éléments de Mendeleev.

Nous voici donc à la Oroya. Autant le dire tout de suite, le seul signe de richesse qu’on a pu voir dans les environs de cette gigantesque fonderie de l’entreprise Doe Run Peru a été le sourire et le courage des gens qu’on y a rencontrés, ainsi que, il faut bien l’avouer, la peinture murale de notre hôtel pourvu de « balcons » représentant un couple s’embrassant sur une plage de sable blond des Caraïbes sur fond de palmiers et de mer enflammée par un coucher de soleil immense. Le contraste entre l’intérieur de l’hôtel et la vue qu’on a depuis ses fameux balcons est saisissant. A l’extérieur, en arrière plan, il y a la fonderie, un entrelacement infini de cuves et de tuyaux ocres, bleus, noirs et argentés dominé par une immense cheminée. Tout autour, aussi loin que porte le regard, la nature est défigurée. La montagne semble avoir été blanchie à la chaux puis recouverte de giclées de pétrole. Ce sont les stigmates de quasiment cent ans de production de métaux (or, argent, fer, zinc, antimoine, cuivre, etc. produits depuis 1922). Cela fait froid dans le dos, mais à ce stade de désolation, on trouve même à ce paysage une certaine esthétique. Je m’imagine être sur la lune.

Pour l’heure, heureusement, ou malheureusement pour nous, puisque l’expérience sera incomplète (ce dont je ne me plains pas personnellement), la ville vit une situation de calme relatif, c'est-à-dire de pollution réduite. Depuis 9 mois, la Doe Run Pérou, propriétaire de l’usine de la Oroya depuis 1997, a temporairement fermé ses portes, officiellement pour raisons financières. Chose rare à la Oroya et conséquence directe de l’absence d’activité industrielle, l’air y est respirable. En temps normal, il parait que qu’il faut une demi-journée pour se retrouver avec la sensation d’une angine couplée à une double conjonctivite.

Rien n’est sur, mais on a tendance à faire passer la fermeture temporaire de la fonderie pour une petite victoire de la mobilisation qui dure depuis plus de 10 ans. Il faut dire aussi qu’ici, la situation est tellement caricaturale, tellement exagérée, qu’au fil des années, la Oroya est devenue un des cas les plus emblématiques de la relation que peut avoir l’homme autoproclamé comme « moderne » avec son environnement, mais aussi du peu de respect qu’ont certaines multinationales pour la santé des communautés des pays du sud dans lesquelles elles exercent leurs activités et où elles s’enrichissent.
Bien entendu, il a fallu attendre que cela soit l’humain qui soit affecté pour que la contestation se solidifie et se structure. Si on avait écouté les souris avant… Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, la contestation est représentée par des ONG locales (regroupées dans la mesa tecnica - bureau technique), des ONG nationales, soutenues par des ONG internationales et par l’Eglise catholique et la société civile. Cette dernière est regroupée au sein du Mouvement pour la santé de la Oroya, le MOSAO. Tantôt ensemble, tantôt seuls, mais toujours pour la même cause, depuis près de 13 ans, ces différentes acteurs dénoncent les méfaits des émissions de Doe Run sur la santé, notamment sur celle des enfants et des personnes âgées. Plus de dix longues années de travail, de conscientisation et de formation de la part des ONG. Plus de dix longues années de prêches pour la vie de la part de l’Eglise, qui, depuis 2005, gère son propre programme de nutrition et de santé. Plus de dix longues années de combats déloyaux pour la société civile qui en a parcouru du chemin et qui s’est structurée. Les dirigeants se sont formés, l’information s’est diffusée, notamment, il est vrai, grâce au travail des ONG, dont Cooperaccion, mais aussi de l’Eglise. Les gens ont fini par comprendre que leur santé était vraiment en jeu et que ce n’était pas une blague de mauvais gout, ni un complot des étrangers ou des ONG, comme on a voulu leur faire croire. Aujourd’hui, malgré les 2500 employés directs et les 24 000 indirects, aucune personne de bonne foi ne conteste la dangerosité de la fumée qui s’échappe de l’usine de la Doe Run.

Évidement cela n’a pas été facile, est c’est un euphémisme. En effet, lorsque les premières études sont tombées et qu’elles ont révélé des taux de plomb entre 4 à 10 fois supérieurs au minium acceptable selon l’OMS (sachant que la norme est de ne pas avoir de plomb du tout), l’entreprise a commencé par affirmer que c’était parce que les enfants mangeaient les crayons de couleur, parce que les gens ne savaient pas se laver les mains ou bien encore parce qu’ils nettoyaient mal leur maison. Ayant diffusé ces « informations » via des organisations créées par elle-même pour générer la zizanie, elle a pu se refaire une image de bienfaitrice en mettant en place des « cursus de formation » de « nettoyage de sa maison » et en construisant des douches publiques, qu’elle a peint en vert et blanc ! Parce que la Doe Run Peru peint tout en vert et blanc. C’est un peu son TOC pour signifier qu’elle est à l’origine de l’œuvre colorée ainsi. Par exemple, ayant donné un portail à l’école publique, elle a repeint le bâtiment en entier, ce qui fait croire que c’est elle qui a construit l’école. Et ce n’est qu’un exemple.

Malgré les coups fourrés, la mauvaise foi et les accusations de vouloir détruire l’économie de la ville ou d’être contre la développement du pays (et donc de faire preuve d’antipatriotisme) lancées par l’entreprise contre les acteurs sociaux et relayés par la presse locale un brin corrompue, malgré les tentatives d’assassinat, le harcèlement moral et les menaces, les habitants de la ville, qui se battent pour un environnement sain et qui nous reçoivent aujourd’hui, n’ont pas lâché prise et ont poursuivi la lutte.
L’entreprise a voulu faire croire aux gens, en commençant par ses nombreux employés, qu’avoir du plomb dans la cervelle rendait intelligent (ce n’est pas une blague – cette rumeur a été au départ distillée par la Direction Générale de la Santé Environnementale dont une étude faisait apparaître un lien entre le taux de plomb dans le sang et les notes des enfants à l’école !). Alors les ONG ont diffusé les informations prouvant le contraire, encore une fois sans l’aide de la presse locale et en opposition avec les pouvoirs publiques. Quant à l’Eglise, elle a mis en place un programme de nutrition et de santé, encadré par une nutritionniste et une médecin, afin de favoriser l’expulsion des fortes doses de métaux lourds que les enfants respirent et ingurgitent tous les jours.
Puis, comme le blanc et vert de ses pinceaux n’avait pas suffit à lui acheter une image écologique, l’entreprise a poursuivi son green-washing en plantant des arbres. Bien entendu, encore une fois, elle a essayé de récupérer le travail des autres pour le faire passer pour le sien. Elle a donc choisi l’un des quartiers les plus éloignés de l’usine, Villa Sol, où les riverains plantent des arbres depuis 10 ans. Ironie du sort ou preuve de sa vocation diabolique, aujourd’hui, les arbres de l’entreprise sont à l’image des quartiers se situant aux alentours de l’usine : carbonisés, noircis ou pourris : tous en train de mourir. Pas grave pour la campagne, qui, grâce au travail des riverains, ressemble aujourd’hui à un petit paradis fleuri et qui prouve qu’il est possible de faire pousser quelque chose à la Oroya et que d’autres quartiers pourraient ressembler à Villa Sol.
Autre argument employé par l’entreprise, un grand classique : il n’y aurait pas de ville sans la fonderie. En pourtant, ici, avant, la vie existait, et depuis longtemps. Pour preuve, le musée-collection personnel du défunt père d’une des amies qui nous accompagnent, dans lequel on trouve des objets attestant d’une présence humaine depuis avant les Incas. On y cultivait quelques-unes des 500 variétés de pommes de terre existant au Pérou.

Cela peut paraître caricatural, mais c’est une réalité. Sans la présence d’une activité industrielle, à la Oroya, il n’y aurait ni pollution, ni prostitution. L’alcoolisme ne serait pas aussi élevé, l’insécurité ne serait qu’un lointain concept urbain, et les enfants abandonnés resteraient dans les livres ou les films. Alors, oui, si on s’en tient aux caractéristiques les moins attractives des grandes villes, surtout minières, la Doe Run peut affirmer qu’elle est à la source d’un certain développement.

Certes, la Doe Run, « donne » du travail à une grande partie des habitants, que ce soit dans la fonderie ou par le biais de services externes fournis à l’entreprise. Mais beaucoup de ses employés sont venus d’ailleurs et font grandir ce qui était auparavant – il y a bien longtemps - le petit village de San Jeronimo de la Oroya. Toujours pour ne pas favoriser la contestation, ou par respect de la sacro sainte « Loi-du-marché-qui-s’autorégule-grâce-à-la-gentille-main-invisible-qui-habite-à-Wall-Street », l’entreprise multinationale respecte la règle suivante: « il faut savoir être souple ». Du coup, les contrats de travail sont de trois mois. C’est plus commode pour gérer les conflits sociaux … qui n’existaient pas ou peu. Aujourd’hui, Doe Run Pérou paie la paix sociale suite à des échauffourées entre la police et ses employés lors du paro (blocage des routes, des commerces et des services) de l’année dernière, convoqué par l’entreprise pour exiger le prolongement du délai pour remplir le PAMA, le Plan d’adéquation avec les standards environnementaux (délai supplémentaire demandé de 30 mois). Les employés au chômage technique reçoivent 60% de leur salaire en attendant que l’entreprise rouvre ses portes.

Difficile pourtant d’imaginer une Oroya sans fonderie. Encore plus qu’ailleurs, la ville est sous perfusion de l’entreprise unique. Même pour ceux qui luttent. Pourtant, 9 mois après la fermeture, la ville ne s’est pas dépeuplée. L’Eglise, qui enregistre les variations des taux de plomb, non pas dans la cervelle, mais dans le sang des enfants, a constaté une baisse significative. Les quantités de plomb présentes en temps normal seraient donc en premier lieu la conséquence de l’air qu’ils respirent? Non, c’est surement que depuis 9 mois, ils se lavent les mains comme des forcenés à cause de la grippe de mes copains les cochons ! La végétation aussi apprécie l’accalmie. Aux alentours de l’usine quelques petites touffes d’herbe ont fait leur apparition. Certes, les enfants qui vivent dans le quartier le plus pauvre de la ville où nous reçoit l’un des membres fondateurs du MOSAO et vice-président régional de CONACAMI (Coordinadora Nacional de Comunidades Afectadas por la Mineria), continuent à respirer des poussières contaminées, mais aujourd’hui à la Oroya, l’air est respirable. Certes, ce n’est pas 9 mois d’inactivité qui effaceront un siècle de pollution intensive, mais les gens peuvent ainsi constater qu’il y a une vie sans l’usine, que les fumées acides et nocives pour la santé qu’ils respirent en temps normal ne sont pas une fatalité et que l’herbe peut repousser...

Autant il peut être difficile d’imaginer une Oroya sans sa fumée lorsqu’on est tombé dedans quand on était petit, autant, après avoir constaté que les maux de gorge et les picotements aux yeux disparaissent lorsque l’usine ne fonctionne plus, dure sera la reprise de l’activité lorsqu’elle reprendra - et si elle reprend. Parce que si la fonderie est fermée, ce n’est pas par altruisme, ni pour réaliser des travaux d’installation de filtres rendant la vie plus viable. En réalité, c’est plus pour montrer son désaccord avec le fait qu’elle doive enfin appliquer le PAMA, le « Plan d’adéquation avec les standards environnementaux ». Ici, il a été mis en place par le gouvernement de Fujimori en 1996 pour pouvoir vendre l’entreprise publique à laquelle appartenait alors la fonderie. Sa mise en œuvre est estimée à 224 millions de dollars (les revenus de Doe Run Pérou dépassent les 150 millions de dollars chaque année) et il n’est toujours pas appliqué. Alors, nos amis du MOSAO ont fini par porter plainte contre l’Etat péruvien auprès de la CIDH (Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme) pour sa non application et l’atteinte à la santé des habitants. Au Pérou en effet, la justice n’est pas toujours très juste et aucune mesure sérieuse n’a été adoptée contre l’entreprise (mis à part une convention qui l’oblige à mesurer le niveau de plomb dans le sang des enfants et mettre en place un programme de santé qu’elle gère à sa convenance et dont les douches publiques ( !!!) font partie). Cela dit, pour faire « coroico » avec mes compatriotes coqs de France ( et de Bolivie), nous avons aussi nos "Oroya" avec le scandale de l’amiante ou avec celui des anciennes mines d'uranium.

L’entreprise avait prévu de passer un cap difficile. Alors, il y a 3 ans, Doe Run Etats-Unis s’est crée une filiale au Pérou, qui s’est rapidement endettée auprès de sa maison mère. Ainsi, pas de pertes financières et des arguments de poids pour justifier sa fermeture (trop de dettes !) et négocier comme il se doit avec le gouvernement péruvien, qui - ne l’oublions pas - est un peu théocratique vis-à-vis des maximes capitalistes, au point de voir derrière les indigènes d’Amazonie des communistes adeptes des théories du XIXème siècle. Rien que ça. Bref, ce n’est pas encore gagné.

En attendant, à la Oroya, la vie se poursuit et certains des amis qui nous reçoivent imaginent déjà un après Doe Run Pérou, un après usine, un après plomb. Certains pensent au tourisme, d’autres à l’agriculture comme avant l’usine ou encore à la pisciculture, l’élevage de truites. Pour une fois, si les poissons reviennent dans la rivière morte de la Oroya, je veux bien manger du poisson en compagnie d’un chat…



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Kri kri
Irkita