dimanche 12 décembre 2010

01-03-2010 : Otavalo, Chapeau !


De retour d’Intag, nous partons compléter notre visite de la vallée en allant faire un tour dans leur nouvelle boutique d’Otavalo. Tout y est : pulpe de fruits, cosmétiques, artisanat, café et j’en oublie. Il y a même un coin avec des tables pour gouter au plaisir les produits bio. Si vous passer dans le coin !

Un peu plus tard, alors que nous passons par la place de los Ponchos, j’assiste à un drame. « Regarde amigo, 10 $ le panama, c’est un bon prix. Dernière vente de la journée ! »  Pris de convulsion, Jérémy, sous les assauts des vendeurs otavaleñiens et d’Anna – alliance fatale ! - finit par craquer et par acheter un panama, une des fiertés du savoir-faire équatorien. Et oui, on s’imagine, et pour cause, que les « panamas » sont des chapeaux typiques du Panama, le pays. Et bien pas du tout, c’est à rien y comprendre, le genre d’histoires totalement latinos, mais les panamas sont une spécialité de Cuenca, la belle du sud de l’Equateur, tandis que les Montecristi, qui sont aussi de type « panama », sont fabriqués dans la ville éponyme située au sud-ouest du pays (Manabí), pas le loin de la côte pacifique. L’histoire, c’est que les chapeaux, avant de débarquer en Europe, transitaient par le Panama. « Très confortable en tous les cas ». Un panama de Montecristi, typiquement équatorien !

Un dernier tour d’Otavalo qu’un soleil de fin d’après-midi rend encore plus unique et hop, Quito, hop, un bus de nuit, hop, direction Cuenca, pour « la guerre de l’eau » version équatorienne.



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Kri kri
Irkita

mercredi 8 décembre 2010

Du 27-02-2010 au 01-03-2010 : Intag, vivre la légende…

- Bon Irkita, arrête un peu avec ta légende d’Intag ! Qu’est ce que ça a de légendaire d’abord ? Raconte-nous ! 
- Alors, Intag, c’est un cas d’école des mouvements socio-environnementaux …. 
- Oh, non ! Encore une histoire d’entreprises minières, de luttes paysannes, de défense de la terre, de protection des écosystèmes et d’alternatives, tant qu’on y est ?
- Bon d’accord, si vous savez déjà tout, je ne dirai plus rien. D’un autre côté, c’est un peu le but de notre voyage aussi. Alors kri-kri,  à la fin !
- … 
- … …
- Allez, c’est bon, dis-nous ce que tu as à raconter ?
- Non, je suis vexée, si ça vous intéresse, vous n’avez qu’à lire ça ou ça ou encore ça . En attendant, si ça ne vous gêne pas de rester ignorants, vous pouvez quand même admirer ce que ces gens-là ont souhaité défendre et ce qu’ils risquent de devoir encore défendre si l’histoire qu’on nous a racontée sur le contrat entre le Chili et la Chine se confirme.

S’il est (fort) probable que vous avez peu d’enthousiasme à entendre pour une nième fois une histoire de la lutte entre les habitants d’une vallée et des entreprises minières, nous, de notre côté, en arrivant ici, sommes contents de revoir quelques amis et – pour Jérémy et moi - de mettre des images sur des phrases lues, ici et là, de poser visages sur des noms et d’associer des paysages à des lieux. En couleur et en trois dimensions, son et lumière compris.

Si le processus de résistance et les alternatives concrètes qui en sont sorties en ont impressionné plus un et ont été beaucoup étudiés et donnés en exemple , du haut de la route menant à la paroisse de Peñaherrera, la vue du rio coulant au fond de sa vallée, brillant sous les rayons du soleil de matin, vaut mieux qu’un long discours. La pureté qui émane du tableau que j’ai devant les yeux rend encore plus évidente la nécessité qu’ont dû ressentir les véritables maitres des lieux, ceux qui vivent ici, à protéger leur vallée de l’inévitable cataclysme qu’aurait représenté l’installation d’une mine à ciel ouvert.



Le lendemain, arrivés à Apuela, la paroisse principale de la vallée, nous faisons le tour des connaissances. C’est le jour du marché et tout le monde est présent. Dans les locaux de l’association la DECOIN, on travaille dur sur l’amélioration du site Internet en discutant de l’avenir. Quelques mètres plus loin, le café Internet/bibliothèque communautaire, que les militants « anti-mine » souhaitaient mettre en place « parce que la culture c’est important », ne désemplit pas. Ici et là, on croise des bénévoles occidentaux venus prêter main forte à la myriade des projets en cours ou en chantier. Le « Periodico Intag » continue son travail d’information sur l’actualité aussi bien nationale, internationale que locale et la coopérative du café écologique et équitable (AACRI) est une affaire qui tourne, nous explique-t-on.

Un peu plus loin, faisant face à la place de l’Eglise, le marché du dimanche a des allures de Babel  : là une famille d’otavaleñiens en habits traditionnels qui vendent leurs fruits ; ici des afro-équatoriens fouillant parmi des dizaines de CD piratés à la recherche du tube du moment ; un peu plus loin, des métisses tiennent un stand de vêtements. C’est aussi ça, la richesse et l’originalité d’Intag, une zone de colonisation relativement récente, où cohabitent des populations d’origines différentes.


Alors que mon enthousiasme pour la vallée d’Intag ne cesse de grandir et que nous arrivons dans la maison d’un ami, je me rends compte que jusqu’alors, tout ce que j’avais vu n’était que la face émergée. Ici, je pense avoir trouvé le paradis terrestre. Et je pèse mes mots (si-si, les souris aussi, on a été chassées du paradis à cause d’un trognon de pomme qu’Adam avait jeté par terre!). Evidemment, la « cabane » où nous passerons la nuit, toute en bois, dotée d’une literie au confort quasi criminel, accompagnée de toilettes sèches et entourée d’une végétation tropicale humide luxuriante, n’y est pas pour rien. Mais l’enchantement ne s’arrête pas là. Derrière la maison, se trouve un pré dans lequel une vache et son veau – « qu’il est mignon » s’exclament mes compagnons en humains qu’ils sont-, ruminent, évidement, tranquillement. Derrière le pré, on découvre un sentier. Poursuivons le, nous voici dans la forêt : 500 hectares de bosque nublado (forêt brumeuse) dont une partie primario (primaire).  C’est la « réserve » des propriétaires du lieu, achetée il y a 20 ans, pour une poigné de dollars, à l’époque où le gouvernement équatorien motivait la colonisation des vallées « vierges » de cette partie du pays. Nous y passons la fin de l’après-midi, accompagnés par quatre compagnons canins et bruyants. Je préfère les chiens aux chats, forcément, mais pourquoi est-ce que le labrador qui nous suit est-il obligé de plonger bruyamment dans chaque point d’eau qu’il trouve ?
Le soir venu, après avoir diné - « véritable parmesan » au menu -, nous finissons la journée en conversant sur l’avenir de la lutte anti-mine sur le continent. Notre hôte nous présente à cette occasion le fruit de son dernier travail militant : un guide communautaire pour lutter contre les projets miniers. L’idée est d’y collecter un maximum d’information et de le compléter, un peu à la manière de wikipédia, au fur et à mesure… Un livre open source et collaboratif. Si ça vous intéresse, il est accessible à cette adresse (uniquement en espagnol pour l’instant).



Le lendemain matin, après une nuit à en rendre jalouse les loutres, et un petit déjeuner dans un cadre idyllique, nous poursuivons la promenade de santé en rejoignant Apuela à pied. Le paysage est spectaculaire. Des forêts d’agaves - « elles ont toutes fleuri lors de la sécheresse de l’été dernier, c’est pas bon », nous explique notre ami -, aux eaux cristallines du rio Intag, nous finissons par succomber définitivement aux charmes de la vallée et imaginons un instant comment pourrait être la vie ici. « S’il n’y avait pas cette épée de Damoclès, la menace de la mine de cuivre, rien n’empêcherait les gens d’ici d’être heureux, tout simplement … ».


Mais c’est déjà l’heure de partir. Demain matin, il faut qu’on soit à l’autre bout du pays, à Cuenca, dans le sud, pour y rencontrer les acteurs d’un autre mouvement d’opposition aux projets miniers. Adieu Intag, on espère te retrouver la prochaine fois encore plus foisonnante, de végétation, sans aucun doute, et d’idées, c’est certain.

Avant d’embarquer dans le bus qui nous ramènera à Otavalo, nous passons nos derniers instants en assistant à une réunion du Consorcio Toisán, une sorte de « parlement » qui regroupe 9 organisations sociales (associations, coopératives, etc.) de la vallée, qui se sont alliés afin de mettre en commun leurs efforts pour développer la vallée autrement (qu’en extrayant du cuivre).

On en profite également pour en apprendre plus sur les projets de construction de 9 petites et moyennes centrales hydroélectriques dont la capacité totale de génération d’électricité est estimée à 100 Mw. Ces projets ont été conçus avec l’aide d’une ONG cubaine (Cubasolar), d’un collectif d’ingénieurs équatoriens, de la CCAS (comité d’action sociale d’EDF) et d’Energie Sans Frontières (France). Les projets de petites centrales, à très faible impacts environnemental, ont été validés par tous les habitants concernés, après un long travail de concertation. L’ensemble de ces centrales devraient rapporter près de 30 millions de dollars de bénéfices annuels. La première centrale, pour laquelle le projet est fin prêt (c’est-à-dire qu’il ne reste qu’à passer au stade de la construction), devrait rapporter 2 millions de dollars, soit deux fois plus que le budget annuel du canton de Cotacachi dont la zone d’Intag fait partie (!), de quoi financer pas mal de projets. Pour sa construction, a été créée HidroIntag, une entreprise « publique communautaire » dont font partie les Juntas parroquiales de la vallée (Conseils paroissiaux, à rappeler que « Paroisse » est une division administrative équatorienne), la municipalité de Cotacachi (la capitale du canton) et le Consorcio Toisan. Tous les bénéfices obtenus doivent être réinvestis dans le développement de la zone, avec des objectifs de protection des forêts et des sources d’eau. Malheureusement, les gouvernements municipal et provincial bloquent le projet pour lequel le Consorcio Toisán a déjà trouvé 80% du financement nécessaire à sa réalisation. Ce manque de coopération a évidemment donné une occasion supplémentaire à Rafael Correa et ses alliés de l’Alianza Pais d’avoir les oreilles qui sifflent, et pas du côté où on parle en bien.


Savons et produits cosmétiques naturels, miel, pulpe de fruits et sucre artisanal bio. Artisanat tressé en fibre végétale. Café bio cultivé à l’ombre, dans des « systèmes agro-forestiers », vendu via le système de « commerce direct » (qui se veut plus équitable - dans les faits - que ledit commerce équitable), développement de « fermes intégrales ». Tourisme écologique et communautaire. Journal, bibliothèque et café Internet communautaires. Réserves –communautaires toujours ! - de protection des forêts et des sources d’eau, reforestation (30.000 arbres natifs de 39 espèces différentes), culture des plantes médicinales…  Et j’en oublie. Plus de 1700 familles de 60 communautés disséminées sur les 2000 km² de la vallée d’Intag tirent leurs revenus de ces nombreuses activités. Voici l’exemple d’un petit recoin dans lequel une poignée de personnes (la population de l’Equateur est de plus de 14 millions d’habitants) fournissent la preuve, que si, il est possible de trouver des alternatives pour se développer autrement, tout en respectant la nature et « en tirant profit » de son environnement sans le détruire. Alors, l’Intag serait-elle la potion magique de l’Equateur ? Car finalement, en tirant un peu sur les moustaches, on pourrait presque se dire qu’ici, il y a un peu d’Asterix et Obelix. Et qui a déjà pensé à plaindre les habitants du célèbre village gaulois, si ce n’est, éventuellement, d’être autant harcelés par ces fous de Romains ?

vendredi 17 septembre 2010

27-02-2010 : D’Otavalo à Intag, à la rencontre de la légende…

Le chemin qui nous mène à Intag semble faire partie d’un parcours initiatique. Après en avoir tant et tant entendu parler, peut-être suis-je influencée par l’excitation que j’ai à découvrir la légendaire vallée du rio Intag et son héroïque peuple, mais les éléments semblent s’être unis pour faire frémir mon imaginaire.

Non, cette fois-ci, il ne s’agit pas de gruyère suisse ! Alors que nous descendons, puis remontons, puis redescendons de nouveau, le bus, qui nous mène à la paroisse de Penaherrerra, le village où nous attend une amie, fraie sa route sur un chemin de terre agrippé aux flancs de la vallée du rio. Les yeux écarquillés, j’y découvre un univers mystérieux, auquel l’épaisse brume que nous pénétrons donne vie de sa main d’artiste impressionniste. Dans ce bus englouti dans une abondante végétation à l’allure d’êtres animés-figés, je somnole en regardant le paysage défiler devant mes yeux… fermés. « Irkita ? Irkita ? Réveille-toi, nous sommes arrivés ! ». Me serais-je endormie pendant le trajet ?



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Kri kri
Irkita

mercredi 15 septembre 2010

27-02-2010 : Otavalo, un autre mode de développement ?

En retournant à Otavalo, ville située à une heure de bus au nord de Quito, sac à dos à l’épaule - en transit en attendant notre bus pour la vallée de la rivière Intag appelée … « Intag » - , mes compagnons de route ont l’impression de retourner sur leurs pas. Et ils me racontent : « regarde, Irkita, cet hôtel, là, on y avait dormi, et dans celui-ci aussi, l’année dernière avant de partir rencontrer, pour la première fois, les amis de l’Intag ». « Ah ?! ». «Oui. Tu vois, Irkita, Otavalo, c’est le marché le plus typique de l’Equateur et probablement un des plus grands marchés indigènes du continent, ici, on vient de partout sur Terre pour acheter des vêtements, des tissus, des mantas ! Regarde toutes ces couleurs, tous ces motifs, tous ces gens, toutes ces échoppes de bijoux, de chapeaux, de sacs à dos, de pantalons, beau, n’est ce pas ? ».
Kri-kri. Vont-ils me laissaient admirer tranquillement ? Car, c’est vrai que c’est très beau, que la finesse et les coloris des tissus d’Otavalo ne font pas mentir leur réputation, mais, est-ce qu’on était obligés d’empailler des dizaines de mes consœurs, fausses de surcroît, et d’en faire des jouets pour touristes avides de sottiserie pas chère à ramener chez eux qu’un des vendeurs ambulants essaie de nous vendre !?


« Allons Irkita, ne fait pas ta mauvaise tête, il y a certains portemonnaies plutôt dégarnis qui sont heureux de pouvoir se vider du peu de leur contenu pour ramener quelque chose d’ici ! Tu comprends, on est à Otavalo, c’est un marché, alors on vient pour acheter et si on ne peut rien y acheter, on est un peu frustré ! ». L’explication que mes compagnons me fournissent valant ce qu’elle vaut (seraient-ils schizophrènes ?), je me détends un peu et admire le spectacle, qui s’avère ne pas en être un du tout. Les tenues traditionnelles noires et blanches des otavaleniennes (otavaleñas), les femmes, toutes plus magnifiques les unes que les autres, qui arborent fièrement leurs beaux bijoux, les hommes aux espadrilles blanches immaculées (mais comment font-ils ?) ne font pas partie d’une mise en scène orchestrée par on-ne-sait-qui, et nous ne sommes pas dans un parc d’attractions pour gringos, même si certains pourraient le croire un instant. L’exotisme d’Otavalo n’en est pas un. Ici, on fait des affaires. Et du marché aux légumes à celui des bestioles, des vêtements et des tapis aux panamas de Cuenca, des pantalons à rayures valant 5 dollars, « no-mas » (pas plus), toutes les techniques sont bonnes pour que l’acheteur - qu’il soit local ou qu’il vienne de loin - achète. « Première vente de la journée, amigo, achète-moi quelque chose, je te fais un prix ». Ici, on marchande dur, mais surtout, on gagne visiblement beaucoup d’argent comme en témoignent les nombreux distributeurs de billets plantés aux quatre coins de la place des Ponchos (la place du marché).

Certes, certains gagnent plus que d’autres et la richesse de la ville cache les demeures très modestes des campagnes, dans lesquelles on travaille dur, on tisse, on teint, pour fournir aux vendeurs ce qui sera acheté 10, 20, 50 dollars, voire plus, quelques kilomètres plus loin, par des touristes qui, bien souvent, ne soupçonnent pas l’existence de ceux qui fabriquent tous ces beaux produits vendus par les intermédiaires de la ville (tout autant Otavaleños, cela dit par ailleurs) qui en retirent une (bonne, paraît-il) partie des bénéfices. Bref, ne tombons pas dans le cliché du bon indigène-solidaire-envers-ses-pairs. Ceci dit, même en tenant compte de cette face cachée, on ne peut pas non plus parler de pauvreté ou de l’exploitation sauvage du plus grand nombre par quelques uns…

Dans la capitale des otavaleños, on vend, on achète, et les affaires tournent. En ville, devant les banques, les indigènes font la queue pour y déposer les gains de la semaine. Là bas, on aperçoit une famille de la région, la femme en habit traditionnel (ce sont surtout les femmes qui « gardent » la tradition), l’homme jeans-casquette, de longs cheveux d’ébène en queue de cheval – à en rendre jalouse plus d’une humaine -, en train d’acheter un frigo modèle états-unien … d’une contenance de 100 litres (au moins) ! Imaginez la quantité de gruyère qu’on peut y ranger…

Alors quel est le mystère qui fait que partout dans le monde, jusqu’au stand de la fête de l’Huma, on retrouve les otavaleniens en train de vendre leur vêtements ?  Les plus fervents (économistes) adeptes de la fameuse main invisible crieront « victoire » en y voyant un laboratoire à ciel ouvert (pour une fois que ce n’est pas une mine), où l’offre et la demande s’ajustent. Pourtant, pour l’instant, aucune échoppe d’Otavalo n’a encore été cotée en bourse ; aucun fond de pension n’a titrisé les possibles ventes de l’année prochaine en fonction du temps qu’il fera ou d’une improbable note fournie sur on-ne-sait-quel-critère par une agence de notation aux pouvoirs quasi divins ; aucun financier fou n’est venu ici pour transformer ce qui n’existe pas encore en argent virtuel. Quant au modèle extractiviste (oui, revenons à nos moutons !), prétendument indispensable – pour ceux qui le défendent - pour combattre la pauvreté, il n’y a aucune exploitation minière dans le coin, aucune fonderie, aucun puits pétrolier ? Pas à ce qu’on sache…

Alors, en parcourant le marché alimentaire situé un peu plus loin dans la ville, devant l’abondance des produits fournis par l’agriculture locale, on éprouve des sentiments contrastés. De la joie, d’abord, celle de voir qu’il est possible de vivre dans son temps, en pratiquant une activité économique rentable – « non, messieurs ! Ce ne sont pas des communistes, ni des « écologistes infantiles » et encore moins des indiens arriérés ! » – tout en conservant ses racines culturelles ; on a aussi de la peine alors que les souvenirs de la misère et de la pollution qui règnent à la Oroya ou à Cerro de Pasco au Pérou nous reviennent en tête ; donc de la colère, enfin, lorsqu’on se remémore les discours ventant l’activité minière  puisque nous sommes à la lisière de la vallée d’Intag, où, selon les rumeurs, le gouvernement souhaiterait réactiver l’exploitation du cuivre alors que les populations locales n’en veulent pas et qu’elles pensaient s’être débarrassées de la menace après 12 ans de lutte … La malédiction de l’abondance, diraient certains ?

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Kri kri
Irkita

dimanche 5 septembre 2010

Du 21-02-2010 au 24-02-2010 : Quito (4ième partie) Attention, migraine !

Ca fait une semaine qu’on est en Equateur et on est complètement perdus. Ou presque. De ce qu’on croit en avoir compris, le panorama politique du pays est bien complexe. Le gouvernement - qui a mis en place un certain nombre de politiques sociales, notamment les bonos (allocations en français)  aidant les plus démunis du pays à raccorder les deux bouts chaque mois, - est taxé pour cela de populiste et assistencialiste, non pas (seulement) par la droite, mais par les indigènes et les écologistes. Concernant les indigènes, on les croyait à gauche, mais on a appris que via leur parti politique, le Pachakutik, ils ont été capable dans le passé de faire alliance avec des militaires putschistes de droite !

Pour ce qui est des projets de développement, ils ne cadrent ni avec le discours officiel, ni avec les promesses de campagne et « l’agenda environnemental » d’Alianza Pais, le parti-mouvement du président Rafael Correa. Les programmes à la patine socialiste et visant à fortifier l’Etat national vont de pair avec une politique de développement tout ce qui est de plus conventionnel, « sénile » pour certains , c'est-à-dire basée sur l’exportation des matières premières, mais que la gauche au pouvoir justifie de la manière suivante :  « pour développer le pays, il faut bien trouver de l’argent, alors pourquoi se priver de la richesse du sous-sol du pays car si les gains obtenus grâce à celle-ci sont bien redistribués, où est le problème ?». Ou encore, en version un peu plus nuancée (ou encore plus hypocrite ?), « cette étape [extractiviste] est obligatoire pour pouvoir mettre en place des véritables alternatives et engager le pays dans la transition vers une économie post-pétrolière ». De leur côté, les organisations écologistes - « infantiles » selon le Président -, certains intellectuels de haut rang et les indigènes seraient en train de passer (ce qui était déjà probablement le cas pour les indigènes), dans l’opposition. Mais pas dans l’opposition de droite (cela serait trop simple !), car, évidement, il y a opposition et opposition. Aux critiques classiques et attendues des grandes fortunes du pays, qui se sont partagées le pouvoir pendant des décennies menant la fronde depuis Guayaquil et qui qualifient aujourd’hui (sans surprise !) le gouvernement de communiste, s’ajoutent maintenant celles de certains acteurs importants de la société civile positionnés à gauche et qui, de leur côté, n’hésitent plus à qualifier l’action gouvernementale de néolibérale et le discours présidentiel de raciste.

Enfin, comme les mouvements sociaux et la CONAIE, la puissante organisation indigène, ont eu beaucoup de mal à se situer face à un gouvernement positionné à gauche, s’ensuit une cacophonie de déclarations critiques de l’action gouvernementale, plus ou moins virulentes et souvent contradictoires, qui tendent à accentuer le lent affaiblissement des mouvements sociaux et les décrédibilisent en partie. Quant à Rafael Correa en personne, sans diplomatie aucune et parfois avec une certaine virulence, il semble bien aimer enfoncer le clou et taper là où ça fait mal. Même si le ridicule ne tue pas, il est dur de se faire des amis chez ceux qu’on ridiculise.  « Si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi », pourrait être en substance la dialectique utilisée par le Président. Quand on connait sa popularité, on se rend bien compte de la complexité de la tâche de ceux qui souhaitent participer à la construction d’un nouveau pays, sans être pour autant ni inféodés ni traitres. 

Finalement, la question est de savoir comment trouver l’équilibre et la méthode permettant de critiquer de façon constructive, sans pour autant l’affaiblir, un gouvernement-où-on-a-des-amis-mais-aussi-des-ennemis, tout en se préservant d’être associé à une opposition de droite formée par l’élite économique et d’anciens dirigeants du pays, au profil conventionnellement ultralibéral et raciste, toujours aux aguets et qui n’hésite pas à utiliser les médias de communication dont elle contrôle une bonne partie pour semer la zizanie ! Attention, migraine…

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Irkita

mercredi 1 septembre 2010

Du 21-02-2010 au 24-02-2010 : Quito (3ième partie), Fin de mi-temps

Après quasiment 5 jours de répit-repos-organisation-réflexion-débats, nous avons notre rendez-vous avec Acción Ecológica. Les locaux de l’organisation ne trompent pas :  un vélo décoré d’un autocollant « Yasuni depende de ti » en défense du projet ITT, un grand jardin fleuri, du jasmin embaumant…, Acción Ecológica, dont j’ai déjà parlée un peu plus haut, c’est l’Organisation (avec une grande « O ») écologiste (infantile) d’Equateur, internationalement connue et reconnue pour son travail de soutien aux mouvements socio-environnementaux du pays, voire de tout le continent américain, tout comme pour « poser les thèmes importants », comme l’a formulé si bien une amie d’ami. C’est aussi l’une des plus vieilles du continent (25 ans !). Nous y avons donc une discussion intéressante qui nous met (ou remet) au vent des principaux problèmes socio-environnementaux du pays.

Mines

Le mouvement anti-minier, nous-dit-on, est aujourd’hui le principal mouvement socio-environnemental d’Equateur (ou « principaux mouvements », car, comme on le comprendra plus tard, il est difficile, là aussi, de parler d’unité).

L’Equateur, contrairement au Pérou et à la Bolivie, n'est pas (encore) à proprement parler un pays minier. Son passif environnemental, il le doit (surtout) à l'exploitation pétrolière. Alors, quand el señor Correa décide qu'il faut développer le pays à l’image de ses voisins, c'est à dire en extrayant de la terre les minerais, ce n’est pas du goût des indigènes et des écologistes, dont certains parlent de trahison. D’autant plus que depuis l’adoption de la nouvelle Constitution en 2008, l’Equateur est censé respecter ce que les assembleistes ont appelé les "droits de la nature" en reconnaissant la nature en tant que telle comme un sujet de droit. La rupture entre le « développementisme sénile » et « l’écologisme infantile» est pour beaucoup due au changement de cap du Président sur la question minière.

Actuellement (fin février 2010), on distingue, nous explique-t-on, trois principaux fronts emblématiques de la lutte contre les projets miniers :

-         Celui de l’Amazonie sud (provinces de Morona Santiago y Zamorra chichipe), mené par des Shuar.
-         Celui du nord-ouest, dont le foyer le plus connu est la vallée d’Intag, l’un des cas emblématiques et des plus étudiés d’Equateur, aussi bien pour sa résistance victorieuse (en 14 ans , ils ont réussi à faire partir deux entreprises étrangères et l’exploitation projetée du cuivre n’a jamais pu commencer) que pour son inventivité (mise en place d’une multitude de projets alternatifs). Ce sont des copains, Anna les connaît déjà. Tant mieux, Jeremy et moi, nous avons hâte de les rencontrer !

-         Le mouvement en défense de l’eau, le plus fort dans les provinces du sud (Azuay et Zamora), mais qui a vocation de s’étendre à l’ensemble du pays, mené par les paysans et les indigènes. On nous dit qu’une marche pour l’eau est prévue pour le début du mois de mars à Cuenca et que nous pourrions y rencontrer les principaux acteurs. Génial, on accepte l’invitation sans hésiter.

Même si les mouvements anti-miniers historiques (comme celui d’Intag) n’étaient pas forcément menés par des indigènes, on nous dit qu’aujourd’hui, les indigènes sont des acteurs de première importance, notamment à travers l’ECUARUNARI (Ecuador Kichwa Llaktakunapak Jatun Tantanakuy), composante andine de la CONAIE (actuellement allié et/ou protagoniste des mouvements anti-extractivistes). 

Pétrole

En Equateur, c’est toute une histoire. L’or noir est encore aujourd’hui la principale source de revenus du pays (qui fait partie de l’OPEP*), l’activité pétrolière emploie beaucoup de personnes (Petroecuador, la compagnie pétrolière nationale, a été pendant longtemps le premier employeur du pays) et est à l’origine, aussi, des plus grands scandales. Les deux grands oléoducs (SOTE et OCP) ont continué d’acheminer l’or noir de l’Amazonie équatorienne en dépit des crises économiques (dollarisation), des crises politiques – 7 présidents en 9 ans - et des drames environnementaux et humains (Procès Chevron Texaco).

Le plus gros scandale socio-environnemental lié au pétrole concerne une entreprise états-unienne, Chevron-Texaco. « Texaco demeura au pays pendant 28 ans, fora 339 puits, lâcha quotidiennement dans l’environnement plus de 22 millions de litres de déchets industriels, brûla 10 millions de pieds cubiques par jour, versa 16,8 millions de barils de cru, causa la déforestation de plus d’un million d’hectares de forêts tropicales humides. Avec ses opérations, Texaco bouleversa les populations indigènes Cofan, Siona, Secoya, Huaorani, Kichwa et Colonos, et les amena à un état proche de la disparition. De plus, la venue de cette entreprise accéléra le processus d’extinction des communautés Tetete et Sansahuari » (Jose Proaño, Situation de désastre ? Problématique pétrolière en Equateur. Le Jouet Enragé. Novembre 2006. http://lejouetenrage.free.fr/net/spip.php?article126).

La compagnie est aujourd’hui sur le banc des accusés, et son procès (dont je vous parlerai en détails plus tard) est considéré par certains comme « le procès du siècle ». Les dégâts environnementaux et sociaux causés par l’activité de la Texaco dans la grande forêt sud-américaine ne font pas l’ombre d’un doute.  Eaux de formation fortement contaminées (une sorte de marée noire fluviale de grande envergure), pollution aux métaux lourds,  un nombre anormalement élevé de cancers chez les populations vivant à proximité des sites d’exploitation pétrolière… Plusieurs documentaires ont déjà été tirés de ce scandale (Chevron toxico et Crudo). Mais, malgré les fréquentes et euphoriques annonces médiatiques qui parcourent le microcosme de ceux qui sont au courant, le procès n’avance quasiment pas et la multinationale est encore loin d’avoir payé les 27 milliards de dollars qu’on lui réclame en dédommagement.

Comme pour faire écho à ce procès, la grande « cause » du moment en Equateur, celle qui fait vibrer (une partie de) la planète, c’est le projet Yasuni-ITT. Derrière ce sigle, se cache un projet sorti des méandres obscurs des écologistes « infantiles » du pays. On cite souvent Esperanza Martinez (l’origine de l’idée provient de la proposition d’un moratoire sur l’exploitation pétrolière faite par Oilwatch) ou Alberto Acosta comme en étant les principaux instigateurs et promoteurs. L’idée du projet est la suivante : puisque l’humanité court à la catastrophe à cause du réchauffement climatique, provoqué (entres autres causes) par les émissions de gaz à effet de serre issus de la combustion des dérivés du pétrole, alors l’Equateur, dont près de 20% des réserves de pétrole exploitables se trouvent dans le parc Yasuni en pleine Amazonie, propose le contrat suivant à la communauté internationale : « je laisse mon pétrole (celui de Yasuni) là où il est, en échange de quoi vous me remboursez au moins la moitié du manque à gagner ». Simple et génial? Pour l’instant, on n’en apprendra pas plus, mais on aura vite une occasion de nous rattraper : une journée sur le sujet est organisée le 5 mars prochain, à Coca, « la » ville pétrolière du pays et que nous y sommes cordialement invités. Ca, c’est la bonne nouvelle.

La mauvaise nouvelle, enfin, celle à laquelle on ne s’attendait pas, c’est que le pays continue son exploration pétrolière dans les régions côtières et qu’il existe un projet de raffinerie en partenariat avec le Venezuela (PDVSA), dont les spécificités techniques permettraient de raffiner un pétrole du type de celui qui pourrait être extrait … je vous le donne en mille … du parc Yasuni. Sans parler de la résistance, depuis les années 1980, de la communauté kichwa de Sarayaku (Amazonie, Pastaza) contre l’exploitation du pétrole sur son territoire. D’ailleurs, les Sarayaku ne voient pas d’un très bon œil de projet ITT, qu’ils qualifient d’hypocrite (si l’on laisse le pétrole de Yasuni sous terre, leur territoire à eux sera plus que jamais en danger !).

Alors, poker menteur entre le gouvernement et les écologistes ?  En substance, chez Acción Ecologica, on pense que le gouvernement ne croit pas (ou ne croit plus) au projet ITT et que donc ce ne serait pas illogique de posséder une raffinerie lorsque l’extraction aura commencé. Alors, ITT est-il mort né ? « Non, mais maintenant, il est entre les mains de la société civile, des organisations écologistes et des militants qui doivent se mobiliser partout sur terre pour qu’il aboutisse »…  Ainsi l’Equateur pourra continuer à se faire l’écho des résistances aux projets pétroliers avec crédibilité. Dans le cas contraire, cela sera plus compliqué. Cela dit, il ne s’agit que d’un son de cloche, peut-être dramatise-t-on la situation afin de ne pas faire relâcher la pression ?

2 – prolongation, ou « encore les mines » !

Alors que je m’apprête à aller cuver toutes ces nouvelles informations qui n’en finissent pas de me faire tourner la tête, tant le chaud souffle le froid et réciproquement, nous nous installons sur une table du jardin d’Acción Ecologica. « Qu’est ce qui se passe, on ne rentre pas manger du fromage » ? « Non, Irkita, tu ne suis pas, on a un autre rendez vous ». Alors, c’est reparti.

Le deuxième entretien de la journée nous amène à la rencontre de l’OCMAL (Observatoire des Conflits Miniers d’Amérique latine), qui a fait son nid temporaire dans les locaux de l’association équatorienne. Après un survol du continent, nous menant du Salvador à l’Argentine, en passant par la Colombie et le Brésil, partout où des luttes contre les projets miniers existent, nous nous posons en Equateur.

En Equateur, contrairement à ses voisins, à notre connaissance, il n’existe pas pour l’instant de mines à ciel ouvert et à grande échelle en fonctionnement (si vous avez vent du contraire faites-le-moi savoir). Bien sûr, il y a une multitude de projets, tout comme les mines dîtes artisanales ou illégales, tout autant impactantes en termes environnementaux que leurs grandes sœurs, si ce n’est que là encore, c’est une question d’échelle – peut-être... Quand on extrait des dizaines de tonnes, même si la technologie est supposément plus moderne, on impacte forcément plus que lorsqu’on extrait quelques kilos.

En Equateur, il existe huit sites d’intérêt pour les entreprises minières multinationales, dont deux ou trois de grande taille,  nous apprend-on (deux ou trois ? on comprendra certainement plus tard…). «Aujourd’hui, il y a un mouvement de résistance national important contre les projets d’exploitation minière». Si, dans un premier temps, celui-ci s’est retrouvé paralysé par l’adoption du code minier, c’est en partie parce que les gens avaient confiance en la nouvelle Constitution qui devait protéger plus qu’ailleurs l’environnement, «la nature ayant des droits ». Mais, le fait que « Correa se soit prononcé finalement en faveur du développement de l’activité minière » a fini par faire sortir les mouvements de leur léthargie passagère. Aujourd’hui, les projets sont concrets et le(s) mouvement(s) anti-mine en phase d’organisation, fortement soutenu(s) et suivi(s) par le secteur indigène, d’une part et par les juntas del agua (systèmes communautaires de gestion de l’eau et des canaux d’irrigations) d’autre part. « Enjeu politique », - diront certains. A quoi d’autres répondront qu’il s’agit d’une problématique territoriale. Parce que l’activité minière est particulièrement envahissante et gourmande pour ce qui concerne ses besoins en eau. Or, « pour le mouvement indigène, le territoire est fondamental ». Et l’eau est fondamentale pour tous. Quant à l’apport des secteurs académiques et des ONGs du pays, ils sont venus fortifier la résistance en lui fournissant arguments théoriques et scientifiques. Le territoire avant l’écologie ?

Question subsidiaire. Pourquoi est-ce qu’en Equateur la résistance est-elle aussi forte ? Réponse : « Parce que les mobilisations sociales y ont toujours été nombreuses. Les indigènes ont renversé tant de présidents et les gens ont confiance qu’à travers la mobilisation, il est possible d’obtenir des choses, ce qui n’est pas pareil ailleurs». Ouf ! Réponse courte et logique, comme je les aime, mais qui n’est pas fréquente à entendre de la part de la plupart de nos interlocuteurs. Normalement, quand on pose une question, on écoute la réponse pendant une demi-heure ! Alors, quand on ne peut nous consacrer qu’une heure, c'est-à-dire en moyenne deux questions, il faut bien les choisir! Et vous, qui vous plaigniez des posts-fleuves d’Irkita (non, vous ne vous plaignez pas ???), imaginez que vous n’avez droit à chaque fois qu’à un résumé ! Ces humains, tous des ingrats !

Alors que nous rentrons à pied jusqu’à « la maison », nous sommes un peu tristes. En effet, au détour de la conversation, nous avons appris qu’à cause d’un contrat existant entre l’entreprise minière (publique) chilienne (CODELCO) et la Chine, l’exploitation du gisement de cuivre de nos amis de la vallée d’Intag que nous avons programmés de visiter à la fin de la semaine, est de nouveau en projet.

L’histoire, c’est que le Chili, qui possède les plus grosses réserves de cuivre de la planète, avait vendu (via la Codelco) 60 000 tonnes de cuivre à la Chine mais n’a pas pu honorer le contrat suite à l’opposition des syndicats. Entre temps, le gisement de la vallée d’Intag en Equateur - dont la concession était reprise par l’Etat (depuis que les communautés aient expulsé l’entreprise canadienne qui l’avait précédemment achetée aux enchères) - avait été revalorisé à 60 000 tonnes de cuivre. Exactement ce que la Codelco avait promis à la Chine. Selon notre interlocuteur, l’idée serait donc, qu’avec l’appui technique du Chili, une entreprise publique équatorienne - socialisme du XXIième siècle oblige ! - vende le cuivre promis à la Chine. Ce n’est pas que l’investissement soit stratégique pour l’entreprise chilienne, la Codelco, puisqu’en un an elle exporte entre 500 000 et 1 million de tonnes de cuivre, mais cela lui permettrait d’honorer son contrat avec la Chine. Pour une poignée de cuivre devant confirmer une poignée de main et une signature en bas d’un contrat, nos amis d’Intag, de nouveau, risquent de voir leur belle vallée détruite et leur rivière polluée pour de très nombreuses années. Sombre perspective…



*l’Equateur était sorti de l’OPEP en 1992 et a de nouveau réintégré l’organisation en 2007, voir : http://www.pcmle.org/EM/article.php3?id_article=1408


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Kri kri
Irkita


mardi 27 juillet 2010

Du 21-02-2010 au 24-02-2010 : Quito (2ième partie) – L’Equateur, « la guerre des gauches »…

De discussions en lectures, de questions en réponses, on commence à avoir l’impression de discerner un peu mieux le paysage politique équatorien. Si le pays est certes à gauche, cette gauche est pleine de désaccords. Gauche de gauche, gauche de droite, gauche de centre droit, droite de centre gauche, indigènes de gauche, indigènes de droite de la gauche, écolos trotskistes, socialo-écologistes… Je caricature, certes, mais sans même évoquer l’opposition de droite - celle-ci bien fermement à droite -, au sein des différentes tendances de la gauche équatorienne, les dévéloppementistes et les environnementalistes-indigénistes (les deux principaux grands courants pour les thèmes qui nous intéressent) s’affrontent en un ballet permanent de «je t’aime - moi non plus», à en perde son kri-kri.

Un jour alliés, le lendemain ennemis, ici, on s’aime autant qu’on se déteste, et aux amours du matin succèdent les noms d’oiseaux du soir. Les analystes qui aiment la politique-spectacle s’en donnent à cœur joie. De trahisons en réconciliations, de menaces en déclarations d’amour, de coups médiatiques en ragots de basse-cours, tous les coups sont permis. Comme partout, diront certains. Ou peut être un peu plus que partout… Quoi qu’il en soit, voici une modeste tentative de description souritesque des principaux ingrédients de cette marmite en ébullition.

Rafael Correa
A tout seigneur, tout honneur, commençons par Rafael Correa (qui fait de l’économie à bicyclette), l’actuel Président du pays. A en croire les enquêtes d’opinion, il jouit actuellement d’une popularité incontestée. Ancien professeur d’économie, il représente l’archétype de celui qui vient (presque) de nulle part et qui, sans véritable parcours politique au préalable, arrive directement à la tête du pays. Si c’est une situation impossible à envisager en Europe, la vie politique récente de l’Amérique latine est parsemée d’histoires à succès similaires. Certains en ont même fait même une stratégie politique, Fujimori au Pérou, Chavez au Venezuela, pour ne citer qu’eux.

Mais revenons à l’Equateur. Rafael Correa, véritable homme-couteau-suisse , « humaniste de gauche et chrétien », comme il se définit lui-même, est né à Guayaquil, capitale économique du pays et l’éternelle rivale de Quito qui a vu naître bien d’autres présidents et hommes politiques (plutôt de droite). En Equateur, on est de la Sierra (de la montagne) ou de la Costa. On peut aussi être de l’Oriente (Amazonie), mais étrangement on en parle moins. En général, entre ceux de la côte et ceux de la montagne, on ne s’apprécie pas beaucoup. « L’influence des climats », comme dirait Montesquieu. Cela dit, les uns comme les autres finiront toujours par se réconcilier autour d’une Pilsener, la bière nationale, et s’accorderont à dire que c’est « la meilleure bière du monde ».

Bref, en Equateur, il est presque impossible de gagner une élection sans l’appui des deux grandes villes, qui, à elles seules, représentent plus d’un tiers des habitants du pays. Et oui, la population du pays est majoritairement urbaine, comme dans tous les pays d’Amérique du sud d’ailleurs.
En 2005, le bref épisode de 3 mois comme ministre de l’économie du président Palacio est la seule expérience politique de Correa, enfant de Guayaquil et professeur à Quito. Soutenu par les intellectuels et par les écologistes de gauche, il base sa campagne électorale sur le fort ressentiment « anti-partis » des électeurs. Un mauvais fromage valant un autre mauvais fromage, même si sa couleur est différente : entre les coups d’Etat et les rébellions populaires qui délogent des présidents, les partis politiques classiques se ressemblent et se partagent le pouvoir depuis trop longtemps. Les Equatoriens en ont marre de ce qu’ils appellent la partidocracia . Correa, qui n’appartient à aucun parti politique et qui appelle à voter blanc aux élections législatives ayant lieu en même temps que les présidentielles et auxquelles sa formation politique, Alianza pais, ne présente aucun candidat, n’a pas les mains salles. Il réussit à se faire élire à la présidence du pays, prenant la place qu’avait occupé l’autre formation politique, différente des autres aussi, le Pachakutik.

Normalement de gauche, parfois à droite, selon les époques, le Pachakutik (« l’arrivée d’une autre époque / changement / renaissance / transformation » en kichwa) est le bras politique de la confédération des nationalités indigènes de l’Equateur (CONAIE).

La CONAIE est l’organisation qui fédère une bonne partie des indigènes, qu’ils soient des régions côtières, andines ou amazoniennes, et, même si ce n’est pas un syndicat, son rôle est toutefois celui de défendre les intérêts d’une catégorie déterminée des Equatoriens, raison pour laquelle certains n’hésitent pas à parler de « corporatisme indigène ». Bref, elle reste aujourd’hui la seule force sociale capable – ou ayant été capable - de paralyser le pays, comme pourraient le faire les syndicats de la SNCF ou des routiers en France. Elle est aussi en partie responsable de la chute de plusieurs Présidents, et ses soulèvements (levantamientos) en ont fait trembler plus d’un. 

De sa naissance en 1995 aux années 2000, hors partidocracia, le Pachakutik, formé pour représenter les intérêts du mouvement indigène mené par la CONAIE mais en s’ouvrant aussi à d’autres secteurs de la société, représentait une alternative crédible à gauche. En 1996, lors de l’élection présidentielle, en s’alliant avec les partis politiques classiques de gauche, il réussissait à réunir sous son étiquette jusqu’à 18% des scrutins, devenant de fait la troisième force politique du pays. Cela ne dure toutefois qu’un temps. En 2000, un virage stratégique, voire idéologique pour certains, reflétant l’hétérogénéité des courants qui compose le Pachakutik (et la CONAIE), l’amène à participer au renversement du président Jamil Mahuad (équatorien de Guayaquil d’origine libanaise), lors duquel le mouvement politique indigène s’allie avec des officiers de l’Armée.

En 2003, un des officiers ayant participé à ce coup d’Etat, Lucio Gutiérrez, se fait élire à la tête du pays et invite le mouvement indigène, qui l’accepte, à entrer au gouvernement. Le Pachakutik sort de l’opposition pour devenir un des partis de pouvoir. L’histoire retiendra que les indigènes, dont le programme politique parlait de « la plurinationalité de l’Etat, [des] droits collectifs pour les peuples indigènes, [de] la défense de l’environnement et du territoire, [de] la transformation de l’économie émettant la production au service du bien-être des peuples et [du] développement de la démocratie participative »*, ont corrompu leurs idéaux par pragmatisme politique, « comme les autres ». Cette stratégie politique, considérée par beaucoup, y compris au sein de la CONAIE, comme une erreur, a affaibli le mouvement.

Par la suite, lorsque Alianza Pais est créée et qu’elle récupère une partie des thèmes du Pachakutik, son fondateur, Rafael Corea, propose aux indigènes la vice-présidence du pays en échange d’une alliance. Mais, deuxième erreur politique, diront certains, la CONAIE/Pachakutik décline la proposition et présente son propre candidat, qui obtient 2% des voix. De là vient probablement une partie de l’animosité qui existe entre le Président actuel et les indigènes.

C’est là qu’intervient un troisième camp de cette valse politique, les écologistes. Parmi eux, on trouve des personnalités comme le célèbre économiste, universitaire et ami des indigènes, Alberto Acosta, qui fait aussi partie des figures emblématiques du pays. On aura d’ailleurs la chance de le rencontrer et de tester son humour : « vous avez un an pour faire le tour des conflits sociaux-environnementaux d’Amérique latine ? Moi, ça fait une vie que je m’y consacre et je n’ai pas encore fini d’en faire le tour … ». Aujourd’hui « simple professeur » à la prestigieuse Faculté Latino-américaine de Sciences Sociales (Flasco), il est connu internationalement pour, entre autres, avoir participé à la définition et la vulgarisation des concepts de la dette écologique », des droits de la nature ou encore celui du vivir bien avec d’autres, comme le catalan Joan Martinez Allier.

Alberto Acosta
La dette écologique pourrait être définie par une petite souris de la façon suivante : pour faire du gruyère, j’ai besoin de lait, donc de vaches, donc d’herbe, donc d’eau et de terre. Si je produits beaucoup de fromage (merci), j’ai besoin de nombreuses vaches, donc de beaucoup d’herbe, de beaucoup d’eau et de beaucoup de terre. Lorsqu’une souris grignote son gruyère, elle ne se rend pas compte qu’il a fallu toute cette terre et toute cette eau à la base pour le produire. Alors voilà, dans un monde imaginaire avec deux protagonistes, si le premier (celui qui mange le gruyère) prête de l’argent aux second qui se retrouve endetté jusqu’au cou, ce second, lorsqu’il vend du fromage au premier, voire lorsqu’il se fait dépouiller en fromage par le premier, lui prête des ressources naturelles (l’herbe, la terre et l’eau). Ce « prêt » devrait être pris en compte dans le calcul de « qui doit quoi à qui », mais il ne l’est pas. La dette écologique, c’est un peu ça. Du moins en partie. Evidement, cette logique fonctionne pour les gruyères avec ou sans trous, mais plus pour les gruyères à trous, par analogie hasardeuse qu’on peut faire avec les mines à ciel ouvert… 

On retrouve d’ailleurs la notion de dette écologique dans le programme environnemental d’Alianza pais, peut-être en souvenir de l’époque où Alberto Acosta et Fander Falconi étaient les conseillers politiques du pas-encore-président Rafael Correa. C’était il n’y pas si longtemps, mais cela parait déjà être une autre époque. Une époque durant laquelle Alberto Acosta, par exemple, sortait du monde des idées, des livres et des universités, pour prendre la présidence de l’Assemblée constituante. Ami des indigènes qu’il conseillait et qu’il conseille toujours, respecté par les intellectuels de gauche, économiste reconnu et ami-conseiller du Président qu’il a aidé à se faire élire, il est l’assembléiste le mieux élu du pays (sous l’étiquette d’Alianza pais), ce qui le propulse à la présidence de l’Assemblée constituante. Respectant son autorité morale, les membres de l’Assemblée constituante, dont les indigènes, lui font confiance pour diriger avec neutralité les débats et être un arbitre impartial…ou situé du « bon côté ». Durant six mois, les assembléistes travaillent à la rédaction de la nouvelle Constitution du pays sous sa présidence. Le chapitre qui s’écrit alors s’inscrit dans deux années d’activité politique intense, pendant lesquelles les Equatoriens ont été invités à participer à pas moins de cinq rendez-vous électoraux. Lors du premier, ils acceptent à 80% l’idée d’une nouvelle Constitution, permettant ainsi à Rafael Correa, alors récemment élu, d’augmenter au passage sa popularité en approuvant son projet politique. La deuxième élection, qui découle de la première, les amène à choisir les assembléistes, c'est-à-dire les personnes chargées de rédiger la nouvelle Constitution. La troisième fois, ils approuvent le nouveau texte rédigé et, enfin, en 2008, ils choisissent les nouveaux députés dans le cadre de la nouvelle Constitution dont ils viennent de se doter. Enfin, lors le dernier scrutin, ils réélisent dès le premier tour le président sortant, Rafael Correa, qui gagne haut la main, avec plus de 20 points d’avance sur son adversaire direct. Bel exemple de démocratie, n’est-ce pas ?

Rafael Correa et son mouvement politique, Alianza pais, ressortent de cette période électorale comme les grands gagnants. Partant d’un parti sans députés, ils se retrouvent avec 59 députés sur les 124 que compte l’Assemblée nationale législative. En fait, la seule chose qui cloche (à fromage), c’est la démission au bout de six mois d’Alberto Acosta de la présidence de l’Assemblée constituante, alors que de nombreuses attentes reposaient sur lui. Si ce dernier explique sa démission par son désaccord avec le calendrier de rédaction de la nouvelle Constitution, trop rapide selon lui, des doutes persistent : les ragots « de source sûre » (que mes petites oreilles ont entendus) parlent d’un complot du secteur le plus à droite de l’entourage de Correa pour forcer Acosta à démissionner, et certains amis et alliés de l’ancien premier homme du pays (pendant la rédaction de la Constitution, l’Assemblée constituante était dotée de pleins pouvoirs) lui reprochent âprement de les avoir abandonnés. Quoiqu’il en soit, le fusible entre les indigènes, le gouvernement et les écologistes ayant sauté, la discorde ne mettra pas longtemps à réapparaitre. Alors qu’on vient d’arriver dans le pays, les sujets qui fâchent ne manquent pas, avec, en tête de liste, l’exploitation minière et la loi de l’eau

Mais revenons à nos souriceaux. Dans la famille « écologistes » équatoriens de gauche, on trouve aussi les ONG, et en particulier - mais pas seulement ! - Accion Ecologica, dont l’une des fondatrices, Esperanza Martinez, est aussi une amie et collaboratrice proche d’Alberto Acosta (ils travaillent ensemble, entre autres, sur le projet ITT). Accion Ecologica, c’est aussi l’organisation par qui le scandale est arrivé. Si la brouille autour de l’exploitation minière entre les indigènes et le Président peut être interprétée comme l’une des batailles politiques opposant Alianza Pais au Pachakutik, le vent de menace qui souffle depuis quelques temps sur l’organisation écologiste est plus difficile à comprendre.

Il y a maintenant un peu plus d’un an, le gouvernement a voulu supprimer la personnalité morale d’Accion Ecologica. A l’époque, Rafael Correa déclarait : « il y a beaucoup de ces ONG qui font ce qu'elles veulent, s'immiscent dans la politique, ne rendent pas de comptes (...). C'est un chaos, mais nous sommes déjà en train d'y mettre de l'ordre ». Face à la levée de boucliers que cette décision avait alors provoquée un peu partout sur terre, le gouvernement fait marche arrière. Mais aujourd’hui, les attaques du Président se poursuivent dans la presse et dans son émission du samedi matin «Enlace cuidadano (le lien citoyen)». Avoir son programme télévisé est en train de devenir un exercice obligatoire des Présidents de la nouvelle gauche latino-américaine. Chavez a son émission de télé, Correa aussi. Dans celle-ci, le Président équatorien, dans un exercice de pédagogie politique (ou de démagogie populiste, diront ses opposants), explique au peuple les tenants et les aboutissants des réformes en cours.

Ainsi, en réponse à l’opposition des écologistes à la relance des activités minières et à leur plaidoyer en faveur du projet ITT**, le Président du pays les qualifie d’« écologistes infantiles ».

« Comment comptez-vous vous y prendre pour développer le pays, si ce n’est en utilisant ses richesses naturelles ? », voilà en substance la question que leur pose Correa. Ce à quoi ils répondent : « en se développant d’une autre façon qu’en utilisant un modèle qui dure depuis des siècles et qui n’a pas permis au pays de devenir plus riche ». «Je ne sais pas s'il y a un écologisme infantile, mais je crois bien qu'il y a un développementisme sénile », commente Joan Martinez Alier, célèbre théoricien catalan de l’économie écologique et de l’écologie politique, conseiller d’Accion Ecologica. Explicite, non ?

Certains parlent même de « malédiction de l’abondance »***. On n’est pas encore dans le « chien du jardinier » et l’offensive anti-écologiste-communiste-protectionniste d’Alan Garcia, le Président du pays voisin, mais on voit bien qu’entre les écologistes et Rafael Correa, la lune de miel est terminée.

Kri kri
Irkita


** L’objectif du projet ITT (dont on reparlera) est de laisser sous terre 20% des réserves pétrolières de l’Equateur afin de protéger un parc naturel possédant (probablement) le plus haut niveau de biodiversité du monde et abritant des peuples « non contactés »/ « en isolement volontaire »)
*** Alberto Acosta, La Maldicion de la abundancia, Abya Yala, Quito, 2009 : http://www.extractivismo.com/documentos/AcostaMmaldicionAbundancia09.pdf

jeudi 22 juillet 2010

Du 21-02-2010 au 24-02-2010 : Quito (1ière partie), comme à la maison

1 – « Casa, dulce casa »

Ce matin du 21 février, après une nuit de bus ressemblant à toutes les autres nuits de bus, lorsque nous débarquons dans une construction immense aux airs d’aéroport, il nous faut un peu de temps pour comprendre où nous sommes. L’ensemble porte le nom de « Quitumbe ». C’est le nouveau terminal routier de la ville, construit avec la volonté, paraît-il, de désengorger le centre où se situant l’ancien terminal qu’Anna et Jérémy avaient connu lors des précédents voyages. On kri-krisse un peu quand même quand on apprend qu’il nous reste encore une heure de transport avant d’arriver à destination… Mais de toute façon, on n’a pas le choix, et puis la situation n’est pas si dramatique que ça… du moins pour moi, qui, au lieu de porter de gros et lourds sacs à dos, me fais porter. Et aussi parce que le système de trolleybus de la capitale équatorienne fonctionne plutôt bien et, malgré un mode d’emploi un peu confus, un transport nous amène directement où il faut …

Alors, lorsqu’on arrive dans le centre historique de la ville, où nous avons rendez-vous avec un compatriote qui nous a gentiment proposé de nous héberger (merci !), on est contents. Moi, parce que les grandes villes - et encore plus les capitales - me captivent : la promesse d’y découvrir de nouvelles spécialités fromageuses y est pour beaucoup ! Pour ce qui est de mes compagnons, comme ils connaissent déjà les lieux, c’est un peu comme rentrer à la maison. Aux souvenirs encore tenaces de la lutte des compañeros de Ayabaca et à la sensation d’avoir encore un peu la tête dans les nuages et les pieds dans la terre (centenaire) de Vilcabamba, s’ajoute l’enthousiasme de découvrir la richesse politique et sociale équatorienne qui nous promet beaucoup.

Gruyère suisse sur le gruyère français, l’ami qui nous accueille vit dans une grande et lumineuse maison d’architecte, en forme de bateau, située dans un quartier tranquille, la Floresta. Nous avons aussi trois autres raisons d’être contents. La première, c’est que notre hôte a les coordonnées de beaucoup de personnes que l’on aimerait rencontrer; la deuxième, c’est qu’il va pouvoir nous raconter plein de choses ; enfin, la dernière et pas la moindre : il y a du saucisson et du pastis pour l’apéro ! « Comment Irkita, tu bois du pastis ? » « Et alors ? Vous croyez qu’elles font quoi les souris de Marseille lorsqu’elles ont soif ?… ». Alors, on s’installe. Déjà, des piles de bouquins à lire pour mieux comprendre le contexte du pays s’amoncellent de part et d’autre de notre lit improvisé.  « Comme à la maison » ! « Qu’est ce qu’on dit ? » « Merci ! ».

Le quartier la Floresta, un peu surélevé, est bordé par un flanc de montage recouvert d’arbres d’un côté et par la vallée où s’étend la cité de l’autre. Située à 2850 mètres au dessus du niveau de la mer, une croute de fromage en comparaison avec la Paz et ses presque 4000 mètres d’altitude, la capitale équatorienne, entourée de sommets volcaniques et verdoyants, est une ville habituellement fraîche où il pleut assez souvent. Sauf que - et c’est apparemment inhabituel - le climat de cette fin du mois de février est particulièrement clément et ensoleillé. Mes compagnons en sont un peu déboussolés. Eux, qui se souvenaient d’une cité aux quatre saisons quotidiennes, printemps frais le matin, été doux le midi, automne pluvieux le soir et hiver frisquet la nuit, ne s’y retrouvent pas. De mon côté, l’écharpe dont je me suis dotée à Loja est du coup un peu superflue. Pas grave. Cette chaleur anormale va nous permettre de parcourir à pied une bonne partie de la ville sans nous retrouver trempés par les averses. Et, en commençant tranquillement à glaner des rendez-vous, on prend un rythme boulot-trolleybus/pieds/pattes/dodo qui n’est pas pour nous déplaire.

La partie moderne (par rapport à la partie coloniale dite historique) de la ville, où s’enchainent petites rues aérées et maisons individuelles confortables qui donnent une apparence troublante de richesse, se parcourt sans aucun « sentiment d’insécurité ». La boulangerie voisine nous régale de délicieux produits pour nos petits déjeuners. Entre le café internet branché au quartier Mariscal - aussi connu comme « Gringolandia » en raison d’une forte concentration de cafés et de restaurants de « classe internationale » qui attirent les touristes de passage -, notre temporaire demeure confortable et le bureau de notre ami à la Flacso d’où la vue est spectaculaire, la capitale équatorienne nous accueille bien!



2 – L’Equateur, un grand pays amazonien

« Et le boulot dans tout ça ? A-t-on abandonné nos compagnons de lutte ? Quid des mouvements socio-environnementaux ? » Patience, ça arrive et ce n’est pas du n’importe quoi !

On qualifie souvent l’Equateur de « petit pays andin ». C’est incorrect pour au moins deux raisons. La première est que la partie andine du pays, la Sierra - bien que la concentration de la population y soit la plus forte -, ne couvre en réalité que la partie montagneuse et volcanique du centre, bordée à l’ouest par les régions côtières de l’océan Pacifique et, à l’est, par l’Amazonie qui représente un gros tiers du territoire national. La deuxième raison est due au caractère souvent dépréciatif, mignon-alors-pas-grand - je sais de quoi je parle ! - qu’implique le qualificatif « petit ». Certes, en termes de superficie l’Equateur, avec ses 283 000 km², n’est pas ce qui existe de plus grand. Mais si pour déterminer la grandeur d’un endroit on utilisait le critère du rayonnement des personnalités qu’il a vu naître, avec sa tripotée de célébrités socio-écolo-politico-indigéno-universitaires, l’Equateur serait incontestablement un « grand » pays : Alberto Acosta, Accion Ecologica, Esperanza Martinez, Blanca Chancoso, les Sarayaku, et j’en passe.

En attendant nos premiers rendez-vous qui vont nous amener à faire la rencontre de ces quelques « stars » de l’Amérique latine, nous profitons de nos derniers instants de repos pour dégrossir la situation avec une amie d’amie qui vit ici depuis des années. Pour cette européenne, arrivée ici il y a plus de 20 ans, la situation est contrastée. Elle nous confirme nos premières impressions : « l’Equateur, c’est tout sauf simple ». Voire même compliqué. Et à la question « alors, est-ce qu’il est vrai que l’Equateur a trouvé le bon équilibre entre le besoin de se développer (au sens classique du terme) et la nécessité de protéger l’environnement en invitant les mouvements sociaux, les écologistes et les universitaires à sortir de l’opposition ou de la réflexion passive pour participer à la gestion du pays ? », la réponse paraît être normande : « oui, mais non ; non, mais oui ».

En attendant que mes neurones déjà chauffés à blanc deviennent du pop-corn, je mange celui qui nous est offert par le café-bar-salle-de-concerts-café-internet où nous sommes et je me concentre sur des questions peut-être moins importantes, mais tout autant dépourvues de réponses, comme par exemple : « pourquoi est-ce que cet endroit s’appelle-t-il el pobre diablo (le pauvre diable) » ?


Sur le chemin qui nous mène à la maison, pendant que mes deux compagnons s’époumonent en débats et hypothèses que je trouve un peu prématurées, une série de scènes cocasses me font me questionner aussi sur mon équilibre mental. Entre autres choses, un chat chassant un graffiti version punk de mon (lointain) frère Mickey, Chavez jouant aux échecs avec Obama et une série de « Jésus pendus en l’air » finissent par me convaincre. En Equateur, les choses ne sont pas comme ailleurs…

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Kri kri
Irkita