vendredi 17 septembre 2010

27-02-2010 : D’Otavalo à Intag, à la rencontre de la légende…

Le chemin qui nous mène à Intag semble faire partie d’un parcours initiatique. Après en avoir tant et tant entendu parler, peut-être suis-je influencée par l’excitation que j’ai à découvrir la légendaire vallée du rio Intag et son héroïque peuple, mais les éléments semblent s’être unis pour faire frémir mon imaginaire.

Non, cette fois-ci, il ne s’agit pas de gruyère suisse ! Alors que nous descendons, puis remontons, puis redescendons de nouveau, le bus, qui nous mène à la paroisse de Penaherrerra, le village où nous attend une amie, fraie sa route sur un chemin de terre agrippé aux flancs de la vallée du rio. Les yeux écarquillés, j’y découvre un univers mystérieux, auquel l’épaisse brume que nous pénétrons donne vie de sa main d’artiste impressionniste. Dans ce bus englouti dans une abondante végétation à l’allure d’êtres animés-figés, je somnole en regardant le paysage défiler devant mes yeux… fermés. « Irkita ? Irkita ? Réveille-toi, nous sommes arrivés ! ». Me serais-je endormie pendant le trajet ?



--
Kri kri
Irkita

mercredi 15 septembre 2010

27-02-2010 : Otavalo, un autre mode de développement ?

En retournant à Otavalo, ville située à une heure de bus au nord de Quito, sac à dos à l’épaule - en transit en attendant notre bus pour la vallée de la rivière Intag appelée … « Intag » - , mes compagnons de route ont l’impression de retourner sur leurs pas. Et ils me racontent : « regarde, Irkita, cet hôtel, là, on y avait dormi, et dans celui-ci aussi, l’année dernière avant de partir rencontrer, pour la première fois, les amis de l’Intag ». « Ah ?! ». «Oui. Tu vois, Irkita, Otavalo, c’est le marché le plus typique de l’Equateur et probablement un des plus grands marchés indigènes du continent, ici, on vient de partout sur Terre pour acheter des vêtements, des tissus, des mantas ! Regarde toutes ces couleurs, tous ces motifs, tous ces gens, toutes ces échoppes de bijoux, de chapeaux, de sacs à dos, de pantalons, beau, n’est ce pas ? ».
Kri-kri. Vont-ils me laissaient admirer tranquillement ? Car, c’est vrai que c’est très beau, que la finesse et les coloris des tissus d’Otavalo ne font pas mentir leur réputation, mais, est-ce qu’on était obligés d’empailler des dizaines de mes consœurs, fausses de surcroît, et d’en faire des jouets pour touristes avides de sottiserie pas chère à ramener chez eux qu’un des vendeurs ambulants essaie de nous vendre !?


« Allons Irkita, ne fait pas ta mauvaise tête, il y a certains portemonnaies plutôt dégarnis qui sont heureux de pouvoir se vider du peu de leur contenu pour ramener quelque chose d’ici ! Tu comprends, on est à Otavalo, c’est un marché, alors on vient pour acheter et si on ne peut rien y acheter, on est un peu frustré ! ». L’explication que mes compagnons me fournissent valant ce qu’elle vaut (seraient-ils schizophrènes ?), je me détends un peu et admire le spectacle, qui s’avère ne pas en être un du tout. Les tenues traditionnelles noires et blanches des otavaleniennes (otavaleñas), les femmes, toutes plus magnifiques les unes que les autres, qui arborent fièrement leurs beaux bijoux, les hommes aux espadrilles blanches immaculées (mais comment font-ils ?) ne font pas partie d’une mise en scène orchestrée par on-ne-sait-qui, et nous ne sommes pas dans un parc d’attractions pour gringos, même si certains pourraient le croire un instant. L’exotisme d’Otavalo n’en est pas un. Ici, on fait des affaires. Et du marché aux légumes à celui des bestioles, des vêtements et des tapis aux panamas de Cuenca, des pantalons à rayures valant 5 dollars, « no-mas » (pas plus), toutes les techniques sont bonnes pour que l’acheteur - qu’il soit local ou qu’il vienne de loin - achète. « Première vente de la journée, amigo, achète-moi quelque chose, je te fais un prix ». Ici, on marchande dur, mais surtout, on gagne visiblement beaucoup d’argent comme en témoignent les nombreux distributeurs de billets plantés aux quatre coins de la place des Ponchos (la place du marché).

Certes, certains gagnent plus que d’autres et la richesse de la ville cache les demeures très modestes des campagnes, dans lesquelles on travaille dur, on tisse, on teint, pour fournir aux vendeurs ce qui sera acheté 10, 20, 50 dollars, voire plus, quelques kilomètres plus loin, par des touristes qui, bien souvent, ne soupçonnent pas l’existence de ceux qui fabriquent tous ces beaux produits vendus par les intermédiaires de la ville (tout autant Otavaleños, cela dit par ailleurs) qui en retirent une (bonne, paraît-il) partie des bénéfices. Bref, ne tombons pas dans le cliché du bon indigène-solidaire-envers-ses-pairs. Ceci dit, même en tenant compte de cette face cachée, on ne peut pas non plus parler de pauvreté ou de l’exploitation sauvage du plus grand nombre par quelques uns…

Dans la capitale des otavaleños, on vend, on achète, et les affaires tournent. En ville, devant les banques, les indigènes font la queue pour y déposer les gains de la semaine. Là bas, on aperçoit une famille de la région, la femme en habit traditionnel (ce sont surtout les femmes qui « gardent » la tradition), l’homme jeans-casquette, de longs cheveux d’ébène en queue de cheval – à en rendre jalouse plus d’une humaine -, en train d’acheter un frigo modèle états-unien … d’une contenance de 100 litres (au moins) ! Imaginez la quantité de gruyère qu’on peut y ranger…

Alors quel est le mystère qui fait que partout dans le monde, jusqu’au stand de la fête de l’Huma, on retrouve les otavaleniens en train de vendre leur vêtements ?  Les plus fervents (économistes) adeptes de la fameuse main invisible crieront « victoire » en y voyant un laboratoire à ciel ouvert (pour une fois que ce n’est pas une mine), où l’offre et la demande s’ajustent. Pourtant, pour l’instant, aucune échoppe d’Otavalo n’a encore été cotée en bourse ; aucun fond de pension n’a titrisé les possibles ventes de l’année prochaine en fonction du temps qu’il fera ou d’une improbable note fournie sur on-ne-sait-quel-critère par une agence de notation aux pouvoirs quasi divins ; aucun financier fou n’est venu ici pour transformer ce qui n’existe pas encore en argent virtuel. Quant au modèle extractiviste (oui, revenons à nos moutons !), prétendument indispensable – pour ceux qui le défendent - pour combattre la pauvreté, il n’y a aucune exploitation minière dans le coin, aucune fonderie, aucun puits pétrolier ? Pas à ce qu’on sache…

Alors, en parcourant le marché alimentaire situé un peu plus loin dans la ville, devant l’abondance des produits fournis par l’agriculture locale, on éprouve des sentiments contrastés. De la joie, d’abord, celle de voir qu’il est possible de vivre dans son temps, en pratiquant une activité économique rentable – « non, messieurs ! Ce ne sont pas des communistes, ni des « écologistes infantiles » et encore moins des indiens arriérés ! » – tout en conservant ses racines culturelles ; on a aussi de la peine alors que les souvenirs de la misère et de la pollution qui règnent à la Oroya ou à Cerro de Pasco au Pérou nous reviennent en tête ; donc de la colère, enfin, lorsqu’on se remémore les discours ventant l’activité minière  puisque nous sommes à la lisière de la vallée d’Intag, où, selon les rumeurs, le gouvernement souhaiterait réactiver l’exploitation du cuivre alors que les populations locales n’en veulent pas et qu’elles pensaient s’être débarrassées de la menace après 12 ans de lutte … La malédiction de l’abondance, diraient certains ?

--
Kri kri
Irkita

dimanche 5 septembre 2010

Du 21-02-2010 au 24-02-2010 : Quito (4ième partie) Attention, migraine !

Ca fait une semaine qu’on est en Equateur et on est complètement perdus. Ou presque. De ce qu’on croit en avoir compris, le panorama politique du pays est bien complexe. Le gouvernement - qui a mis en place un certain nombre de politiques sociales, notamment les bonos (allocations en français)  aidant les plus démunis du pays à raccorder les deux bouts chaque mois, - est taxé pour cela de populiste et assistencialiste, non pas (seulement) par la droite, mais par les indigènes et les écologistes. Concernant les indigènes, on les croyait à gauche, mais on a appris que via leur parti politique, le Pachakutik, ils ont été capable dans le passé de faire alliance avec des militaires putschistes de droite !

Pour ce qui est des projets de développement, ils ne cadrent ni avec le discours officiel, ni avec les promesses de campagne et « l’agenda environnemental » d’Alianza Pais, le parti-mouvement du président Rafael Correa. Les programmes à la patine socialiste et visant à fortifier l’Etat national vont de pair avec une politique de développement tout ce qui est de plus conventionnel, « sénile » pour certains , c'est-à-dire basée sur l’exportation des matières premières, mais que la gauche au pouvoir justifie de la manière suivante :  « pour développer le pays, il faut bien trouver de l’argent, alors pourquoi se priver de la richesse du sous-sol du pays car si les gains obtenus grâce à celle-ci sont bien redistribués, où est le problème ?». Ou encore, en version un peu plus nuancée (ou encore plus hypocrite ?), « cette étape [extractiviste] est obligatoire pour pouvoir mettre en place des véritables alternatives et engager le pays dans la transition vers une économie post-pétrolière ». De leur côté, les organisations écologistes - « infantiles » selon le Président -, certains intellectuels de haut rang et les indigènes seraient en train de passer (ce qui était déjà probablement le cas pour les indigènes), dans l’opposition. Mais pas dans l’opposition de droite (cela serait trop simple !), car, évidement, il y a opposition et opposition. Aux critiques classiques et attendues des grandes fortunes du pays, qui se sont partagées le pouvoir pendant des décennies menant la fronde depuis Guayaquil et qui qualifient aujourd’hui (sans surprise !) le gouvernement de communiste, s’ajoutent maintenant celles de certains acteurs importants de la société civile positionnés à gauche et qui, de leur côté, n’hésitent plus à qualifier l’action gouvernementale de néolibérale et le discours présidentiel de raciste.

Enfin, comme les mouvements sociaux et la CONAIE, la puissante organisation indigène, ont eu beaucoup de mal à se situer face à un gouvernement positionné à gauche, s’ensuit une cacophonie de déclarations critiques de l’action gouvernementale, plus ou moins virulentes et souvent contradictoires, qui tendent à accentuer le lent affaiblissement des mouvements sociaux et les décrédibilisent en partie. Quant à Rafael Correa en personne, sans diplomatie aucune et parfois avec une certaine virulence, il semble bien aimer enfoncer le clou et taper là où ça fait mal. Même si le ridicule ne tue pas, il est dur de se faire des amis chez ceux qu’on ridiculise.  « Si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi », pourrait être en substance la dialectique utilisée par le Président. Quand on connait sa popularité, on se rend bien compte de la complexité de la tâche de ceux qui souhaitent participer à la construction d’un nouveau pays, sans être pour autant ni inféodés ni traitres. 

Finalement, la question est de savoir comment trouver l’équilibre et la méthode permettant de critiquer de façon constructive, sans pour autant l’affaiblir, un gouvernement-où-on-a-des-amis-mais-aussi-des-ennemis, tout en se préservant d’être associé à une opposition de droite formée par l’élite économique et d’anciens dirigeants du pays, au profil conventionnellement ultralibéral et raciste, toujours aux aguets et qui n’hésite pas à utiliser les médias de communication dont elle contrôle une bonne partie pour semer la zizanie ! Attention, migraine…

Afficher Trajet en Equateur sur une carte plus grande
--
Kri kri
Irkita

mercredi 1 septembre 2010

Du 21-02-2010 au 24-02-2010 : Quito (3ième partie), Fin de mi-temps

Après quasiment 5 jours de répit-repos-organisation-réflexion-débats, nous avons notre rendez-vous avec Acción Ecológica. Les locaux de l’organisation ne trompent pas :  un vélo décoré d’un autocollant « Yasuni depende de ti » en défense du projet ITT, un grand jardin fleuri, du jasmin embaumant…, Acción Ecológica, dont j’ai déjà parlée un peu plus haut, c’est l’Organisation (avec une grande « O ») écologiste (infantile) d’Equateur, internationalement connue et reconnue pour son travail de soutien aux mouvements socio-environnementaux du pays, voire de tout le continent américain, tout comme pour « poser les thèmes importants », comme l’a formulé si bien une amie d’ami. C’est aussi l’une des plus vieilles du continent (25 ans !). Nous y avons donc une discussion intéressante qui nous met (ou remet) au vent des principaux problèmes socio-environnementaux du pays.

Mines

Le mouvement anti-minier, nous-dit-on, est aujourd’hui le principal mouvement socio-environnemental d’Equateur (ou « principaux mouvements », car, comme on le comprendra plus tard, il est difficile, là aussi, de parler d’unité).

L’Equateur, contrairement au Pérou et à la Bolivie, n'est pas (encore) à proprement parler un pays minier. Son passif environnemental, il le doit (surtout) à l'exploitation pétrolière. Alors, quand el señor Correa décide qu'il faut développer le pays à l’image de ses voisins, c'est à dire en extrayant de la terre les minerais, ce n’est pas du goût des indigènes et des écologistes, dont certains parlent de trahison. D’autant plus que depuis l’adoption de la nouvelle Constitution en 2008, l’Equateur est censé respecter ce que les assembleistes ont appelé les "droits de la nature" en reconnaissant la nature en tant que telle comme un sujet de droit. La rupture entre le « développementisme sénile » et « l’écologisme infantile» est pour beaucoup due au changement de cap du Président sur la question minière.

Actuellement (fin février 2010), on distingue, nous explique-t-on, trois principaux fronts emblématiques de la lutte contre les projets miniers :

-         Celui de l’Amazonie sud (provinces de Morona Santiago y Zamorra chichipe), mené par des Shuar.
-         Celui du nord-ouest, dont le foyer le plus connu est la vallée d’Intag, l’un des cas emblématiques et des plus étudiés d’Equateur, aussi bien pour sa résistance victorieuse (en 14 ans , ils ont réussi à faire partir deux entreprises étrangères et l’exploitation projetée du cuivre n’a jamais pu commencer) que pour son inventivité (mise en place d’une multitude de projets alternatifs). Ce sont des copains, Anna les connaît déjà. Tant mieux, Jeremy et moi, nous avons hâte de les rencontrer !

-         Le mouvement en défense de l’eau, le plus fort dans les provinces du sud (Azuay et Zamora), mais qui a vocation de s’étendre à l’ensemble du pays, mené par les paysans et les indigènes. On nous dit qu’une marche pour l’eau est prévue pour le début du mois de mars à Cuenca et que nous pourrions y rencontrer les principaux acteurs. Génial, on accepte l’invitation sans hésiter.

Même si les mouvements anti-miniers historiques (comme celui d’Intag) n’étaient pas forcément menés par des indigènes, on nous dit qu’aujourd’hui, les indigènes sont des acteurs de première importance, notamment à travers l’ECUARUNARI (Ecuador Kichwa Llaktakunapak Jatun Tantanakuy), composante andine de la CONAIE (actuellement allié et/ou protagoniste des mouvements anti-extractivistes). 

Pétrole

En Equateur, c’est toute une histoire. L’or noir est encore aujourd’hui la principale source de revenus du pays (qui fait partie de l’OPEP*), l’activité pétrolière emploie beaucoup de personnes (Petroecuador, la compagnie pétrolière nationale, a été pendant longtemps le premier employeur du pays) et est à l’origine, aussi, des plus grands scandales. Les deux grands oléoducs (SOTE et OCP) ont continué d’acheminer l’or noir de l’Amazonie équatorienne en dépit des crises économiques (dollarisation), des crises politiques – 7 présidents en 9 ans - et des drames environnementaux et humains (Procès Chevron Texaco).

Le plus gros scandale socio-environnemental lié au pétrole concerne une entreprise états-unienne, Chevron-Texaco. « Texaco demeura au pays pendant 28 ans, fora 339 puits, lâcha quotidiennement dans l’environnement plus de 22 millions de litres de déchets industriels, brûla 10 millions de pieds cubiques par jour, versa 16,8 millions de barils de cru, causa la déforestation de plus d’un million d’hectares de forêts tropicales humides. Avec ses opérations, Texaco bouleversa les populations indigènes Cofan, Siona, Secoya, Huaorani, Kichwa et Colonos, et les amena à un état proche de la disparition. De plus, la venue de cette entreprise accéléra le processus d’extinction des communautés Tetete et Sansahuari » (Jose Proaño, Situation de désastre ? Problématique pétrolière en Equateur. Le Jouet Enragé. Novembre 2006. http://lejouetenrage.free.fr/net/spip.php?article126).

La compagnie est aujourd’hui sur le banc des accusés, et son procès (dont je vous parlerai en détails plus tard) est considéré par certains comme « le procès du siècle ». Les dégâts environnementaux et sociaux causés par l’activité de la Texaco dans la grande forêt sud-américaine ne font pas l’ombre d’un doute.  Eaux de formation fortement contaminées (une sorte de marée noire fluviale de grande envergure), pollution aux métaux lourds,  un nombre anormalement élevé de cancers chez les populations vivant à proximité des sites d’exploitation pétrolière… Plusieurs documentaires ont déjà été tirés de ce scandale (Chevron toxico et Crudo). Mais, malgré les fréquentes et euphoriques annonces médiatiques qui parcourent le microcosme de ceux qui sont au courant, le procès n’avance quasiment pas et la multinationale est encore loin d’avoir payé les 27 milliards de dollars qu’on lui réclame en dédommagement.

Comme pour faire écho à ce procès, la grande « cause » du moment en Equateur, celle qui fait vibrer (une partie de) la planète, c’est le projet Yasuni-ITT. Derrière ce sigle, se cache un projet sorti des méandres obscurs des écologistes « infantiles » du pays. On cite souvent Esperanza Martinez (l’origine de l’idée provient de la proposition d’un moratoire sur l’exploitation pétrolière faite par Oilwatch) ou Alberto Acosta comme en étant les principaux instigateurs et promoteurs. L’idée du projet est la suivante : puisque l’humanité court à la catastrophe à cause du réchauffement climatique, provoqué (entres autres causes) par les émissions de gaz à effet de serre issus de la combustion des dérivés du pétrole, alors l’Equateur, dont près de 20% des réserves de pétrole exploitables se trouvent dans le parc Yasuni en pleine Amazonie, propose le contrat suivant à la communauté internationale : « je laisse mon pétrole (celui de Yasuni) là où il est, en échange de quoi vous me remboursez au moins la moitié du manque à gagner ». Simple et génial? Pour l’instant, on n’en apprendra pas plus, mais on aura vite une occasion de nous rattraper : une journée sur le sujet est organisée le 5 mars prochain, à Coca, « la » ville pétrolière du pays et que nous y sommes cordialement invités. Ca, c’est la bonne nouvelle.

La mauvaise nouvelle, enfin, celle à laquelle on ne s’attendait pas, c’est que le pays continue son exploration pétrolière dans les régions côtières et qu’il existe un projet de raffinerie en partenariat avec le Venezuela (PDVSA), dont les spécificités techniques permettraient de raffiner un pétrole du type de celui qui pourrait être extrait … je vous le donne en mille … du parc Yasuni. Sans parler de la résistance, depuis les années 1980, de la communauté kichwa de Sarayaku (Amazonie, Pastaza) contre l’exploitation du pétrole sur son territoire. D’ailleurs, les Sarayaku ne voient pas d’un très bon œil de projet ITT, qu’ils qualifient d’hypocrite (si l’on laisse le pétrole de Yasuni sous terre, leur territoire à eux sera plus que jamais en danger !).

Alors, poker menteur entre le gouvernement et les écologistes ?  En substance, chez Acción Ecologica, on pense que le gouvernement ne croit pas (ou ne croit plus) au projet ITT et que donc ce ne serait pas illogique de posséder une raffinerie lorsque l’extraction aura commencé. Alors, ITT est-il mort né ? « Non, mais maintenant, il est entre les mains de la société civile, des organisations écologistes et des militants qui doivent se mobiliser partout sur terre pour qu’il aboutisse »…  Ainsi l’Equateur pourra continuer à se faire l’écho des résistances aux projets pétroliers avec crédibilité. Dans le cas contraire, cela sera plus compliqué. Cela dit, il ne s’agit que d’un son de cloche, peut-être dramatise-t-on la situation afin de ne pas faire relâcher la pression ?

2 – prolongation, ou « encore les mines » !

Alors que je m’apprête à aller cuver toutes ces nouvelles informations qui n’en finissent pas de me faire tourner la tête, tant le chaud souffle le froid et réciproquement, nous nous installons sur une table du jardin d’Acción Ecologica. « Qu’est ce qui se passe, on ne rentre pas manger du fromage » ? « Non, Irkita, tu ne suis pas, on a un autre rendez vous ». Alors, c’est reparti.

Le deuxième entretien de la journée nous amène à la rencontre de l’OCMAL (Observatoire des Conflits Miniers d’Amérique latine), qui a fait son nid temporaire dans les locaux de l’association équatorienne. Après un survol du continent, nous menant du Salvador à l’Argentine, en passant par la Colombie et le Brésil, partout où des luttes contre les projets miniers existent, nous nous posons en Equateur.

En Equateur, contrairement à ses voisins, à notre connaissance, il n’existe pas pour l’instant de mines à ciel ouvert et à grande échelle en fonctionnement (si vous avez vent du contraire faites-le-moi savoir). Bien sûr, il y a une multitude de projets, tout comme les mines dîtes artisanales ou illégales, tout autant impactantes en termes environnementaux que leurs grandes sœurs, si ce n’est que là encore, c’est une question d’échelle – peut-être... Quand on extrait des dizaines de tonnes, même si la technologie est supposément plus moderne, on impacte forcément plus que lorsqu’on extrait quelques kilos.

En Equateur, il existe huit sites d’intérêt pour les entreprises minières multinationales, dont deux ou trois de grande taille,  nous apprend-on (deux ou trois ? on comprendra certainement plus tard…). «Aujourd’hui, il y a un mouvement de résistance national important contre les projets d’exploitation minière». Si, dans un premier temps, celui-ci s’est retrouvé paralysé par l’adoption du code minier, c’est en partie parce que les gens avaient confiance en la nouvelle Constitution qui devait protéger plus qu’ailleurs l’environnement, «la nature ayant des droits ». Mais, le fait que « Correa se soit prononcé finalement en faveur du développement de l’activité minière » a fini par faire sortir les mouvements de leur léthargie passagère. Aujourd’hui, les projets sont concrets et le(s) mouvement(s) anti-mine en phase d’organisation, fortement soutenu(s) et suivi(s) par le secteur indigène, d’une part et par les juntas del agua (systèmes communautaires de gestion de l’eau et des canaux d’irrigations) d’autre part. « Enjeu politique », - diront certains. A quoi d’autres répondront qu’il s’agit d’une problématique territoriale. Parce que l’activité minière est particulièrement envahissante et gourmande pour ce qui concerne ses besoins en eau. Or, « pour le mouvement indigène, le territoire est fondamental ». Et l’eau est fondamentale pour tous. Quant à l’apport des secteurs académiques et des ONGs du pays, ils sont venus fortifier la résistance en lui fournissant arguments théoriques et scientifiques. Le territoire avant l’écologie ?

Question subsidiaire. Pourquoi est-ce qu’en Equateur la résistance est-elle aussi forte ? Réponse : « Parce que les mobilisations sociales y ont toujours été nombreuses. Les indigènes ont renversé tant de présidents et les gens ont confiance qu’à travers la mobilisation, il est possible d’obtenir des choses, ce qui n’est pas pareil ailleurs». Ouf ! Réponse courte et logique, comme je les aime, mais qui n’est pas fréquente à entendre de la part de la plupart de nos interlocuteurs. Normalement, quand on pose une question, on écoute la réponse pendant une demi-heure ! Alors, quand on ne peut nous consacrer qu’une heure, c'est-à-dire en moyenne deux questions, il faut bien les choisir! Et vous, qui vous plaigniez des posts-fleuves d’Irkita (non, vous ne vous plaignez pas ???), imaginez que vous n’avez droit à chaque fois qu’à un résumé ! Ces humains, tous des ingrats !

Alors que nous rentrons à pied jusqu’à « la maison », nous sommes un peu tristes. En effet, au détour de la conversation, nous avons appris qu’à cause d’un contrat existant entre l’entreprise minière (publique) chilienne (CODELCO) et la Chine, l’exploitation du gisement de cuivre de nos amis de la vallée d’Intag que nous avons programmés de visiter à la fin de la semaine, est de nouveau en projet.

L’histoire, c’est que le Chili, qui possède les plus grosses réserves de cuivre de la planète, avait vendu (via la Codelco) 60 000 tonnes de cuivre à la Chine mais n’a pas pu honorer le contrat suite à l’opposition des syndicats. Entre temps, le gisement de la vallée d’Intag en Equateur - dont la concession était reprise par l’Etat (depuis que les communautés aient expulsé l’entreprise canadienne qui l’avait précédemment achetée aux enchères) - avait été revalorisé à 60 000 tonnes de cuivre. Exactement ce que la Codelco avait promis à la Chine. Selon notre interlocuteur, l’idée serait donc, qu’avec l’appui technique du Chili, une entreprise publique équatorienne - socialisme du XXIième siècle oblige ! - vende le cuivre promis à la Chine. Ce n’est pas que l’investissement soit stratégique pour l’entreprise chilienne, la Codelco, puisqu’en un an elle exporte entre 500 000 et 1 million de tonnes de cuivre, mais cela lui permettrait d’honorer son contrat avec la Chine. Pour une poignée de cuivre devant confirmer une poignée de main et une signature en bas d’un contrat, nos amis d’Intag, de nouveau, risquent de voir leur belle vallée détruite et leur rivière polluée pour de très nombreuses années. Sombre perspective…



*l’Equateur était sorti de l’OPEP en 1992 et a de nouveau réintégré l’organisation en 2007, voir : http://www.pcmle.org/EM/article.php3?id_article=1408


--
Kri kri
Irkita