mercredi 24 mars 2010

29-01-2010 : Bagua (3), réunion, seconde partie, où nous sommes contents de comprendre l’espagnol

Seconde journée de réunion. Celle-ci commence par le troisième point du programme de la première journée, qui en avait une dizaine. Je n’exagère pas.
La matinée est ainsi dédiée à rattraper le temps perdu, façon de parler, la veille. Niveau organisation, un secrétaire, apu, élu parmi les présents, note les points importants, un second fait la modération et un troisième, un peu plus passif, ceci explique cela, est chargé de surveiller la discipline, dont les temps de parole. Un apu, c’est un chef indigène de l’Amazonie péruvienne. Comme ailleurs, il y a des chefs de chefs et donc des apus d’apus. C’est eux qui participent à la réunion. En plus de la presse, de nous trois et du secrétaire général de l’AIDESEP, un Awajun, d’autres membres (ou employés ? on n’a pas bien compris) de l’AIDESEP, sont également présents. Ils interviennent sur des points de méthodologie, de définition de concepts, de présentation de données. Ils s’occupent de « la partie technique », comme on dit ici. Concrètement, ils synthétisent les idées issues des réflexions des différentes réunions et les transforment en documents, comme par exemple le plan de vie des Awajun de l’ORPIAN, qui correspond à peu près à la façon dont ces derniers souhaitent vivre. Rien que ça ! (enfin, ailleurs, on appelle ce genre de documents « plans stratégiques », ou encore « plans de développement », mais « plan de vie », ça sonne nettement mieux).

D’autres invités arrivent et interviennent au fur et à mesure de cette seconde journée. Un des moments forts de celle-ci est l’accueil des Andins. Si ces derniers, représentés par las rondas campesinas, avaient participé au paro de Bagua au printemps 2009, aujourd’hui semble se dessiner - pour la première fois ? – un front commun ando-amazonien anti-concessions minières. Les discours auxquels nous assistons sont clairs à ce sujet. Le message est fort. En termes symboliques … mais aussi en termes de volume. Ce n’est peut être qu’une impression, mais on dirait qu’ici (au Pérou en général), plus fort on crie lorsqu’on affirme quelque chose, plus vrai cela semble être ! Et certains, notamment parmi les Andins, manient très bien ce principe, si bien que quelques fois, mes petites oreilles de souris sont à la limite d’une explosion. Heureusement, je peux me réfugier dans un sac ou une poche. Qui n’a jamais rêvé d’être une petite souris, hein ?

En discutant, justement avec un de ces Andins - qui, par ailleurs, est un « pur » métisse, des Andes certes, et qui n’a rien d'un indigène, du moins en ce qui concerne son apparence -, nous en apprenons un peu plus sur les « rondas campesinas ». Il nous explique qu’il s’agit d’un système de justice paysanne communautaire reconnu légalement. Comment sanctionne-t-on quelqu’un responsable d’un vol par exemple ? En le condamnant à 6 mois (ou moins) de « cadena rondera » , pendant lesquels le coupable enchaine travaux d’intérêt public pour les communautés le jour et exercices physiques – par exemple, des pompes, la nuit. Ou encore, de la lecture pour s’améliorer ! Ca fait un peu boyscout, mais parait-il que cela fonctionne très bien et que le taux de récidive est très bas. La personne avec qui nous discutons s’avère être le président de la fédération interprovinciale des rondas (Jaen et San Ignacio), dont le siège est à Jaen, ville située à une heure de transport de Bagua. Il nous invite à participer à l’assemblée ordinaire prévue le lendemain. On ne se fait pas prier.

Quelqu’un qui veut de nous, ça fait plaisir. Il faut dire, qu’avec les amazoniens, l’organisation est difficile. A Lima, nous nous sommes mis d’accord avec un apu pour partir dans sa zone, el Cenepa, le lundi suivant (nous sommes un vendredi). El Cenepa est un des 5 districts du département de Bagua, l’un des plus actifs dans la lutte contre les décrets législatifs et qui lutte aussi contre un projet minier situé à la frontière avec l’Equateur, dans la cordillère de Condor, zone où naissent les rivières de la région, dont le rio Cenepa au bord duquel vivent la plupart des communautés awajun de la province. Maintenant, l’apu nous dit que pour notre voyage, cela ne sera pas avant le mercredi. Bon, ce n’est pas grave, même si cela explique comment nous prenons du retard. Tant pis, on va s’occuper. En plus on nous avait prévenu, notre conception du temps n’est pas la même !

Puisqu’on nous a aussi parlé de coopératives de café bio et commerce équitable à Jaen, nous décidons d’y passer le samedi et le dimanche, puis d’aller vérifier ce que la table de concertation de Cajamarca nous avait dit sur la province voisine de San Ignacio. Pas si mal finalement, ce programme. En plus, c’est une bonne occasion d’en apprendre plus sur ce qu’on appelle ici « el comercio justo » du point de vue du producteur, non ?

Que dire de plus sur cette réunion des indigènes Awajun ? Nous assistons en direct à la construction de l’alliance entre les amazoniens et les andins, un appel est lancé pour le 22 février : journée de mobilisation contre les conclusions des tables de dialogue et pour le retour d’Alberto Pizango, le président charismatique de l’AIDESEP qui est exilé au Nicaragua. Les Andins ajoutent aussi aux revendications « contre les concessions minières ». Au niveau politique (au sens élections) aussi, une alliance se dessine, du moins pour les élections régionales. Nous n’avons pas du tout affaire à de « bons gentils sauvages » tout fraichement sortis de la forêt. Nous avons en face de nous des politiques aguerris, maitres en l’art du rebondissement, distillant les infos à la presse afin que chaque jour l’on puisse parler d’eux. C’est de bonne guerre lorsqu’on connait les méthodes de ceux d’en face, c'est-à-dire des entreprises multinationales et du gouvernement ! Le clou de la seconde journée viendra de l’apu du Cenepa, notre ami qui ne veut de nous que le mercredi, lorsque celui-ci prouvera en direct que la rumeur affirmant qu’une ONG (des amis) de Lima lui aurait versé 100 000 soles (33 000 dollars), est fausse, relevé de compte et lettre de sa banque à l’appui. Flash, flash ! C’est bien pour les journaux, et ce n’est que justice.

Avant d’assister à la lecture du compte-rendu des deux journées de réunion, déjà synthétisé, et à la séance de signatures certifiées par le numéro de carte d’identité de chacun, nous avons droit à la lecture de la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples indigènes, dont une version imprimée sous forme d’un petit livre est distribuée par l’association Servindi. Une autre de leurs initiatives qui nous a parue intéressante, sous licence creative commons en plus, est un bouquin sur la communication à destination des communautés : comment créer sa web radio, comment faire du montage audio en utilisant des logiciels open source, etc. Pas mal, non ? On aimerait bien avoir des bouquins gratuits comme ça plus souvent.

Une fois la réunion terminée, nous nous mettons d’accord avec « notre ami du café équitable » et « notre ami apu du Cenepa » pour prendre ensemble un taxi afin de rejoindre Jaen. On part chercher nos affaires, et on rappelle : « Allô ? Tu veux que je te rappelle dans une demi-heure, la réunion de la réunion n’est pas encore terminée ? D’accord ». Trente minutes plus tard : « Allô ? Plus tard ? Mais il n’y a plus de taxi et le dernier bus va partir … Ah bon, finalement, on dort ici ?! ». Bof, Bagua, on aime bien, mais on a envie de changer d’ambiance! Alors, nous sautons dans le dernier bus, direction Jaen. Un petit moment de surprise lorsque sur la route un homme armé rentre dans le bus pour demander de l’argent justifiant cela par le fait qu’il assure notre sécurité. Apparemment, cela ne choque personne et, lorsqu’il redescend, nous le voyons rejoindre ses compagnons qui l’attendent dehors, également armés. Tu me paies, je te protège de on-ne-sait-pas-trop-quoi, cela fait un peu mafia comme pratique, non ? Mais bon, si cela se passe comme ça, pourquoi pas.

Enfin, nous voici à Jaen, où nous trouvons un hôtel vraiment pas cher, mais vraiment spartiate. Pas de meubles, pas de serrure, même pas un trou de souris, pour dire ! Bons rêves awajunesques ! Au fait, vous savez ce que cela veut dire Awajun (ou Aguaruna) ? Une des versions voudrait que cela signifie «Le peuple de l’eau». Agua-gente, Awa-jun …

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Kri krik
Irkita

mardi 23 mars 2010

28-01-2010 : Bagua (2) : la réunion, première partie, où nous déplorons de ne pas parler l’Awajun…

En fait, pas grand-chose à en dire. Mise à part l’histoire de la photo et l’élection d’un Wampi comme nouveau vice-président – les Wampis sont moins nombreux et étaient peu représentés jusqu’à là dans les instances de direction de l’organisation -, le reste de la journée s’est déroulé lentement, au rythme des conversations énigmatiques dans la langue maternelle des apus. Et puisque nous ne parlons ni l’Awajun, ni le Wampi, comme les envoyés des deux journaux nationaux acceptés (La Républica – centre, et la Primera – centre gauche) ce jour là, nous n’avons pas compris grand-chose de plus que ce nous savions déjà. Un peu dommage d’avoir des invités qui ne comprennent rien, mais bon, la discrétion était de mise. On a quand même pu discuter rapidement avec deux « stars » du mouvement indigène péruvien, les frères  qui faisaient officiellement l’objet d’un mandat d’arrêt quelque temps auparavant, comme on a pu le lire dans la presse. On nous a ensuite expliqué qu’il s’agissait plus d’un coup politique, une stratégie de pression plus que d’un ordre judiciaire qui doit être exécuté. Curieuse pratique, mais apparemment très utilisée.
A Bagua, on découvre aussi avec un peu d’étonnement, mais après tout pourquoi pas, comme une pointe de racisme envers « les métisses » de la part des indigènes … Décidément, l’homme est vraiment un animal spécial. Les souris banches se sentent-elles supérieures par exemple ? Seulement en nombre, dans les laboratoires, les pauvres, mais sinon, une souris est une souris. Bien sûr, il nous manque peut-être toute l’histoire de domination des uns par les autres…

A la sortie de la réunion, nous nous consolons autour d’une bonne bière bien fraiche portant le nom de Franca et d’un plat de poisson accompagné de son éternelle montagne de riz. Il faut aimer le riz en Amérique Latine parce que niveau accompagnement, trouver autre chose est rare ! Bon, personnellement, je préfère le riz au poisson, normal pour souris, diriez vous ?


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Kri kri
Irkita

lundi 22 mars 2010

28-01-2010 : Bagua (1) : à la lisière de la forêt peuplée de chiens du jardinier mangeurs d’hommes…

Bagua est la capitale de la province de Bagua du département d’Amazonas, qui, comme son nom l’indique, se situe en Amazonie. En réalité, pour vraiment se retrouver dans la forêt, il faut rouler encore quelques heures à partir de Bagua, petite ville de province aux rues poussiéreuses, à l’horizon plutôt déboisé, aux habitants souriants et détendus, à la connexion internet catastrophique et aux cucarachas envahissantes, où nous nous retrouvons en cette fin du mois de janvier 2010.

Pourquoi venir à Bagua capitale, dite également Bagua chica ou Bagua tout-court, qui n’est même pas à proprement parler une ville amazonienne et qui ne figure dans aucun guide touristique ? Si nous sommes ici, c’est parce que nous y avons été invités par l’AIDESEP (Association Inter Ethnique de Développement de l’Amazonie péruvienne) pour assister à une réunion extraordinaire de l’ORPIAN, l’une de ses 8 bases régionales. Et pas la moindre. Quelques jours plus tard, une habitante métisse de la ville qui tient un petit café de « produits bio et bons pour la santé », nous mettra en garde contre les Indiens – Awajuns et Wampis – qui composent cette organisation. « Attention si vous allez dans la forêt, ils mangent des humains et ils punissent les fautifs en les laissant se faire dévorer par les fourmis !... mais ce n’est pas de leur faute, ce sont des sauvages, des enfants en somme… ». Racistes, les Péruviens ? Il faut dire que la presse locale et nationale a plutôt bien travaillé dans ce sens. Pour ce qui est de cette dame d’une cinquantaine d’années qui se montre si gentiment préoccupée par notre sort, elle vit à Bagua depuis quarante ans, et elle n’est jamais allée dans « la forêt ». « Mais les gens disent que… ». Du classique.


Bien plus que pour leur prétendu (et évidemment complètement inventé) cannibalisme, les Awajuns et Wampis intéressent les médias péruviens et internationaux surtout depuis le massacre du 5 juin 2009, connu aujourd’hui sous le nom du Baguazo.

Quel fût leur rôle dans ce massacre, qui a laissé, officiellement, près de 200 blessés et 34 victimes mortelles : 23 morts et un disparu du côté de la police et 10 civiles décédés (indigènes et métisses) ?.

Si l’on croit les personnes présentes ce jour là, c'est-à-dire eux-mêmes, les membres des « rondas campesinas » des provinces de Jaen et de San Ignacio (Cajamarca), ainsi que deux coopérants belges dont les photos ont permis une médiatisation rapide des événements, mais aussi les différents rapports des organisations internationales de défense des droits de l’homme comme la FIDH et Amnesty International, l’implication des Awajuns et des Wampis dans les événements du 5 juin 2009, le fut surtout en tant que victimes. Si en revanche, on en croit la police, les enquêtes du gouvernement, les journaux péruviens et les conclusions de la commission d’enquête formée dans le cadre des tables de dialogue mises en place suite à ces événements, la responsabilité du Baguazo est à la charge des indigènes, qui – selon les dires de tous ces acteurs cités plus haut - en plus d’être sous-développés, sont des narco-terroristes-paramilitaires. Et, bien sûr, des « chiens du jardinier » qui, pour des raisons profondément égoïstes, empêchent le développement du pays. .

Un peu moins d’un an après avoir publié cette profession de foi, dans le cadre de la mise en œuvre des Traités de Libre Commerce (signés avec les Etats Unis, avec la Chine et en cours de négociation avec le Japon) et en vue du futur Accord d'Association avec l'Union européenne, Alan Garcia adopte un paquet de 99 décrets législatifs qui cherchent à mettre à jour la législation péruvienne pour qu’elle corresponde à ce qui est prévu dans ces traités. En pratique, et en ce qui concerne l’Amazonie, il s’agit notamment de changer le régime d’utilisation du sol et de parcelliser 70% du territoire de la forêt en le divisant en lots qui seront ensuite attribués aux transnationales minières et pétrolières, surtout, mais aussi pour la production d'agro-carburants, la capture de carbone, les monocultures agricoles et forestières, etc. Ces lots se trouvent en grande partie dans des zones classées réserves naturelles ou sur les territoires habités par les peuples indigènes.

Si le pétrole est déjà exploité en Amazonie (à bien plus petite échelle que ce qui est prévu aujourd’hui), notamment dans le département de Loreto, où les populations Ashuar en paient les frais, pour ce qui concerne l’exploitation minière, les concessions en Amazonie sont nouvelles. Les projets miniers débordent donc de leur zone d’implantation habituelle, à savoir la Sierra (montagne) et la Costa (la côte) pour faire leurs trous - c’est le cas de le dire - dans la forêt. Chez les Awajuns et les Wampis, à la frontière avec l’Equateur, il s’agit d’une entreprise minière canadienne (comme les 60% des entreprises minières au monde), au doux nom d’Afrodita. .
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Ainsi, quand, dès août 2008, l’AIDESEP, l’une des deux organisations indigènes de l’Amazonie (la deuxième, la CONAP, se montre au début plus conciliante), exige la dérogation des décrets législatifs et la consultation des peuples indigènes, c’est pour défendre les territoires indigènes et leurs modes de vie, mais aussi pour protester contre le modèle du prétendu «développement » qui transforme la forêt amazonienne en quartier de bœuf pour multinationales. .

Après une première mobilisation en 2008, le gouvernement s’engage à déroger deux décrets dont l’adoption simplifiait les modalités de vente des terres collectives. En avril 2009, l’AIDESEP appelle à une grève générale. Les différentes communautés indigènes Awajuns et Wampis, en premier lieu ceux du département du Cenepa, entament un processus de résistance qui finira par réunir près de 3000 d'entre eux à Bagua, un nombre énorme lorsqu’on connait l’éloignement de la plupart des communautés de la capitale du département. Certaines d’entre elles sont à plusieurs jours de marche et de canoë. Plusieurs milliers de ronderos, membres des « rondas campesinas » (on en parlera plus loin) des provinces de Jaen et de San Ignacio de la région de Cajamarca, se joindront aussi aux indigènes, en assumant une bonne partie de la logistique (en amenant les aliments, etc.). Entre autres actions de protestation, les indigènes occupent la station de service N°6 de l’entreprise publique Petroperu, où ils détiennent 11 policiers. De même, les indigènes et les ronderos couperont, pendant plus de 50 jours, l’accès routier à l’Amazonie en bloquant une portion de la route Fernando Belaunde Terry connue comme « Curva del Diablo ». Le « paro » (blocage de routes) est la méthode de contestation non violente la plus populaire en Amérique latine. A ce titre, tous les gouvernements des pays de la région, qu’ils soient conservateurs, libéraux ou progressistes, sont en train de légiférer (ou l’ont déjà fait) en l’interdisant et en le condamnant fortement. Certains diront qu’il faut respecter l’ordre public, et d’autres qu’il y a une criminalisation inacceptable de la contestation. Quand on traite de terroristes des personnes qui bloquent (parfois à quelques dizaines seulement) la circulation, sachant que c’est une pratique aussi fréquente que de faire la grève en France, je ne peux m’empêcher d’être d’accord avec les seconds (enfin, « être d’accord » est un euphémisme). .


Le 4 juin, le Congrès suspend le débat sur l’annulation des décrets et le gouvernement envoie la police, en force, parce que, comme tout le monde le sait, négocier avec ces sauvages n’est pas possible, d’autant plus qu’ils ont du mal à maîtriser le castillan. Le 5 juin, c’est l’affrontement. On ne sait pas ce que se sont dit les chefs de la police et les apus (chefs traditionnels) indigènes avant que la police ouvre le feu sur la foule, mais on nous a raconté que lors d’un face-à-face entre les forces de l’ordre et les Ashuars de Loreto, alors que ces derniers réclamaient la réparation des dommages environnementaux causés par l’exploitation du pétrole sur leur territoire, un apu avait prévenu la police : « si les choses dérapent, nous sommes des guerriers, nous répliquerons. Sauf que moi et mes frères, nous savons pourquoi nous allons mourir, alors que vous, vous ne savez pas ».   .

La police fait feu à la Curva del diablo. Quand la nouvelle arrive aux indigènes qui bloquent la estacion 6, ils répliquent en mettant à mort les 11 policiers détenus. A Bagua aussi, la situation dégénère. Près de 200 blessés et 34 morts : 24 policiers (dont un disparu) et 10 civiles, selon la version officielle. Officieusement, on donne des chiffres de civils tués allant jusqu’à quelques centaines. Pourquoi ne compte-t-on pas les morts ? Parce qu’on dit que les corps ont été mis dans des sacs plastiques avant d’être jetés à l’eau ! Un rondero de la province de San Ignacio, qu’on rencontrera plus tard, dit l’avoir vu par ses propres yeux, d’autres témoignages confirment. Terrible.
Voilà, en grandes lignes, l’histoire du 5 juin 2009. Ensuite, savoir pourquoi est-ce que ce jour là les forces de police se sont mises à tirer à balles réelles, sachant que 11 d’entre eux étaient aux mains des indigènes et que, dans le code de l’honneur des Awajuns et Wampis, la mort d’un frère appelle la mort d’un ennemi, est une autre histoire et on ne peut faire que des suppositions.

Le 18 juin, le Congrès s’engage à déroger deux autres décrets législatifs (le 1064 et le 1090) et, depuis, le gouvernement et des représentants de la société civile et des organisations indigènes se sont retrouvés autour de 4 tables de dialogue pour désamorcer le conflit. Les conclusions, qui sont tombées une semaine avant la réunion à laquelle nous assistons, ne sont pas acceptées par les amazoniens, notamment celles de la première table de dialogue qui concernent justement les événements du 5 juin, pour lesquels toute la responsabilité est remise sur les indigènes. Ils n’apprécient pas non plus les photos diffusées dans la presse qui les accusent du kidnaping du policier disparu. Pour eux, il s’agit d’un montage car personne, ni le ministère de la défense, ni les enquêteurs indépendants chargés de l’affaire,  n’est en mesure de montrer la vidéo dont est issue cette capture d’écran Même le père de la victime ne semble pas croire à cette version de l’histoire. L’ambiance n’est donc pas à la réconciliation. Voilà, en aussi bref que possible (!!!), pourquoi nous sommes à Bagua aujourd’hui. On en parle sur ALDEAH.


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Kri kri
Irkita

vendredi 19 mars 2010

Bolivie : petit retour en vidéo (1)

Coucou,
En attendant mieux, voici quelques souvenirs de Bolivie et en vidéo.

La Paz - Cochabamba : de l'altiplano aux vallées.
Nous voici de nouveau sur la route. Cette fois, au lieu de monter, on descend ! Chouette, on va être super en forme plus bas avec notre habitude de respirer à ces altitudes. On va descendre de la Paz, et de ses 3800 mètres (pour notre hôtel), à Cochabamba, située dans la région "des vallées" à 2500 mètres d'altitude, autant dire, presque rien. Officiellement 6 heures de bus d'ouest en est. En réalité, presque 8. Faut dire qu'on a pris le bus le moins cher : 24 bolivianos par tête, ce qui fait 2,4€. La suite

La Paz - Cochabamba : Cumbia tropicale ?


Cochabamba, Chapitre 1 : la guerre de l’eau a-t-elle eu lieu ?
L’entretien terminé, il nous reste encore le temps de filer de nouveau vers la place centrale pour participer à une des rondes de discussion quotidiennes du soir. Un jeune couple argentino-brésilien nous parle des mouvements sociaux en Argentine. Tous les jours, toute la journée, toute l’année, il y a des groupes qui débattent dans une atmosphère d’agora grecque. Et ça, avant la guerre de l’eau, cela n’existait pas. Cela n’existe pas ailleurs non plus apparemment On y fait connaissance avec notre deuxième fou de la journée. La suite

Cochabamba - Université populaire sur la place centrale

Cochabamba, chapitre 3 : L’empire contre attaque
Nous arrivons devant une foule pioches à l’épaule affairée à déboucher les tuyaux : femmes, enfants et hommes, tous ensemble, ouais ! « Vous croyez qu’ils sont contents de travailler ensemble ? » Le responsable bénévole de ce collectif de l’eau nous peint le tableau. « Pas du tout, ils payent une amende si ils ne sont pas présents ». Et effectivement, les voilà qui vont se faire tamponner un petit carton bleu, avant de prendre à manger un sandwich au thon accompagné de jus d’orange, que l’on nous propose aussi. Anna et Jérémy acceptent, enchantés, mais pour moi, c’est non, merci, le poisson, beurk, c’est bon pour les chats ! De toutes façons personne ne m’a vue. La suite

Bolivie, Cochabamba - Corvée de l'eau dans la Zona Sur


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Irkita

jeudi 11 mars 2010

La coca, c'est magique ...

Qu'est ce qui est bourré de fibres, de calcium, de phosphore, de fer, de vitamines  C et A, qui est meilleur que les inhibiteurs de la pompe à proton (si si, ça existe et ça fait la fortune des laboratoires pharmaceutiques) pour les problèmes d'estomac, qui aide à respirer en altitude, et qui n'est légalisé que dans deux pays sur  Terre et autorisé dans un troisième seulement parce que cela permet de fabriquer une drogue ?
Bien sur, il s'agit de la feuille de coca. Pour en savoir plus, je vous propose d'aller voir ce texte écrit l'année dernière par Damien qui faisait lui aussi un tour de l'Amérique latine : Enjeux et préoccupations internationales autour d´une petite feuille andine

Enfin, voici un extrait des explications que l'on trouve au musée de la coca de La Paz, presque comme si vous y étiez :
« 1 – L’orgasme chimique
Comme l’orgasme obtenu par la masturbation, qui n’est jamais suffisant et perd sa véritable signification, l’orgasme chimique de la cocaïne ne fait qu’augmenter le désir et simultanément, isole et déprime l’individu quand celui-ci s’éveille de son rêve de plaisir et de fluide artificielle.


2- Personnalité

Comme n’importe quelle personne dépendante de la drogue (à distinguer du consommateur occasionnel), la cocaïnomane se caractérise par un important conflit émotionnel et psychologique :
  • Il souffre d’angoisse et de dépression ou les deux
  • Volonté faible
  • Personnalité dépendante
  • Insécurité
  • Anhedonie
Ces traits de caractères sont dus à une éducation défectueuse, une carence affective ou à un mauvais traitement pendant l’enfance, sur un terrain génétique approprié (ancêtre ayant la même problématique).Ces caractéristiques sont la cause d’échecs perpétuels dans la vie, les études, le mariage, le travail, etc…

3 – La drogue
Les réussites dans la vie sont une source de plaisir constant qui nous oriente vers une vie affectueuse constructive et pleine de plaisir. Un individu bien adapté est capable de sentir du plaisir, de nouer des relations interpersonnelles saines et fructueuses, de réussir ses études, d’obtenir un bon travail, de fonder une famille aimante et stable, d’élever des enfants sains, d’entretenir des relations sexuelles agréables, d’atteindre une sécurité économique et un prestige social. Les plaisir est la boussole-maitresse qui nous indique le chemin vers une vie saine. »

J'ai pas rajouté un mot ... En tous les cas, moi, la coca j'adore et ça fait maintenant quasiment trois mois que la mastique : « la coca, oui, la cocaïne, non ». Ah, oui et les deux pays où elle est légale sont le Pérou et la Bolivie, tandis que celui où elle est autorisée dans sa partie andine est l'Argentine...
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Irkita

lundi 8 mars 2010

27-01-2010 : de Chiclayo à Bagua, de la costa (côte) à la selva (forêt)

Le trajet est désormais un classique. Après avoir roulé de nuit dans le sens Cajamarca-Chiclayo, c'est-à-dire de la Sierra (la montagne) à la Costa (la côte), nous repartons dans l’autre sens. Comme d’habitude, nous croisons le désert côtier, les rizières moches, les vallées à manguiers, pour finalement arriver à Bagua, après une nouvelle bonne journée de transport.

Juste pour préciser, il ne faut pas croire que les trajets sont systématiquement un mauvais moment à passer. Au contraire, bien souvent, les paysages qui défilent sous nos yeux à travers les fenêtres des bus sont à chaque fois de petits voyages dans le grand voyage. On y pense, on y dort, on y lit, on y dort, on y écrit, on y dort, on y écoute de la musique stupide et on visionne des films qu’on n’aurait jamais eu l’occasion de voir autrement. Il y a une vie dans le bus !

dimanche 7 mars 2010

26-01-2010 : Cajamarca, la mine vue par le gouvernement régional et par la table de concertation.

Plouf, plouf… Vous connaissez ce bruit, les bombes à eau du carnaval de Cajamarca que nous avons évitées fièrement jusqu’à là (ou plutôt qui nous ont toujours manqués ?). Et bien, cette fois-ci et à quelques minutes de notre rendez vous, le bruit est celui de la douche que nous venons de prendre. Bon, j’exagère, on n’est pas complètement trempés, juste mouillés, nuance, et il fallait bien que cela nous arrive un jour. Mais ça surprend, surtout que le projectile nous a atteints en plein milieu d’une route, en panique, en train d’essayer de la traverser.
Le « régisseur » (équivalent de directeur), qui a accepté de nous recevoir du jour au lendemain, est quelqu’un qui nage à contre-courant au sein de sa structure. A Cajamarca, vous l’aurez compris, officiellement, on est pour la mine, puisque c’est le développement, la richesse, etc. Sauf que lui, son travail c’est, entre autres, la protection de l’environnement dans la région. En clair, il a du boulot. Ce qu’on souhaite savoir en premier, c’est s’il a vraiment les moyens de travailler ou si sa direction existe parce qu’en 2010 tout le monde doit posséder sa carte « écolo ». Très sincère, il nous avoue qu’il manque cruellement de moyens et qu’il doit faire appel au financement de la coopération internationale pour s’en sortir. Nous y retrouvons, entre autres, la coopération allemande, la GTZ. A leur sujet, comme on l’a appris à Cochabamba et comme cela nous a été confirmé par la suite, ils aiment bien l’eau. Et on commence à bien connaître leur logo. C’est incroyable.
En tenant compte de l’Histoire, je m’attendais à voir l’Espagne plus présente en Amérique latine, mais, non, il y a les Allemands, souvent, les Danois, les Suisses, les Suédois, les norvégiens, les Italiens et des ONG chrétiennes. J’en oublie forcément, mais mise à part les gouvernements régionaux de Catalogne et du Pays Basque, on croise très rarement la coopération Espagnols (ce qui n’est pas le cas pour les entreprises, bien sûr).
Notre fonctionnaire semble sincère dans son combat ingrat. Au-delà de son beau bureau et de sa belle fonction, il se coltine toutes les conséquences sociales et environnementales des projets miniers qui, eux, sont décidés par le Ministère de l’énergie et des mines à Lima. Pour être claire, il a souvent les oreilles qui sifflent. Pour les communautés paysannes, la Région est responsable, du moins en partie, de ce qu’elles vivent. Et pour les compagnies minières, c’est une gêne.
Le « grupo Norte », un groupe d’entrepreneurs de Cajamarca parmi lesquels figure Yanacocha (enfin, on aurait tout aussi bien pu dire « dirigé par Yanacocha »), a élaboré un plan d’action pour faire face au projet de zonification économique et écologique mené à bout par notre régisseur avec la participation de Grufides, de la table de concertation, etc. Manque de bol, ce document confidentiel a amplement circulé, pour des raisons qui nous sont inconnues et certainement par erreur. Dans ce plan, l’une des actions consiste à lancer la rumeur sur l’intention du régisseur de se lancer en politique, raison pour laquelle il serait en train de se faire une image d’écolo. La méthode est classique, mais elle aurait pu créer une forte animosité entre le président de la région et l’un de ses cadres ! « Dans l’eau » pour cette fois, mais jusqu’à quand ?
Afin de ne pas rester les bras croisés face à toutes ces injustices et avec les moyens dont il dispose, le régisseur qui nous reçoit nous explique que sa direction est en train de finaliser la zonification économique et écologique de la région, dont l’objectif est de définir les activités autorisées et interdites dans chaque zone en fonction de son potentiel écologique. Par exemple, là où mes copines les vaches font du lait, on ne peut pas autoriser l’installation d’une entreprise minière, car cela risquerait de plomber leur production ! Au final, ce projet qui consiste à dire ce qu’on peut faire et où on peut le faire une bonne base pour définir ce que l’on veut que le territoire devienne.
Qu’en penser ? D’un côté, on peut critiquer et dire que cela transforme la nature en supermarché (en plus y a des fromages à Cajamarca) et que cela s’intègre dans une logique de marchandisation de celle-ci, mais d’un autre côté, c’est peut-être une bonne piste de défense en attendant des jours plus kri-kris au Pérou ? Dans tous lescas, il s’agit d’une bonne volonté et lorsqu’elle vient des pouvoirs locaux on ne peut que la féliciter, non ?
Enfin, et pour conclure avec Cajamarca cette fois-ci, il faut que je vous parle de la table de concertation, de son nom complet « table de concertation pour la lutte contre la pauvreté ». Non, il ne s’agit pas d’une pratique ésotérique. A l’origine, ces « tables » (on dirait peut-être bureaux en français) ont été mise en place suite à la dictature de Fujimori, afin de permettre aux acteurs de la société civile de dialoguer avec les autorités, autour d’une table donc, dans le but de résoudre les conflits locaux et de générer des propositions. Présentes dans de nombreuses provinces, elles sont donc un pilier de la démocratie locale et participative au Pérou.
Malheureusement pour le gouvernement, il se trouve qu’elles sont aussi une plateforme pour la contestation, notamment anti-minière. Du coup, selon les provinces, elles sont poussées vers le placard. Difficile de se concerter avec la poussière, elle n’est pas très loquasse ! Mais, bon, les copines de celle de Cajamarca nous reçoivent dans l’école qui leur sert de bureau. On ne sait pas bien si elles sont institutrices et bénévoles de la table de concertation ou employées de celle-ci et finalement peu importe, puisque de toutes façons, c’estelles qui s’occupent de la faire fonctionner. Actives sur les conflits miniers et sur la problématique de développement autodéterminé, elles nous font un rapide exposé de la situation politique régionale (c'est-à-dire celle du département). En plus de « Tierra y Libertad » de Marco Arana, elles nous apprennent que les parties de gauche se sont réunis dans un front commun et ont piqué le sigle d’Evo Morales.Et oui, à Cajamarca aussi, il y aussi un « MAS », mais celui-ci signifie « mouvement vers l’affirmation sociale ».
On apprend aussi que San Ignacio, une autre province du département de Cajamarca, où nous n’avions pas vraiment prévu d’aller, en plusd’être une province écologique, de mettre en place des projets de développement alternatifs, d’avoir dit « non à la mine », possède aussi une table de concertation exemplaire! Va falloir aller voir !
Et voilà, Cajamarca, c’est fini et l’apparence ringarde de la petite souris aussi ! Je suis passé chez un relookeur et voici ce que cela donne. Moderne, n’est ce pas ?