mardi 26 janvier 2010

17-01-2010 : Cerro de Pasco, la ville trouée.

En tant que souris, et c’est quelque chose que je répète souvent parce que je n’en reviens toujours pas, ayant découvert qu’il n’y avait pas de trous dans le gruyère suisse, leur présence dans le gruyère français n’en finit pas de me bouleverser. Pourquoi gâcher du fromage pour une pseudo raison identitaire ? Je trouve cela au moins absurde et au plus criminel. C’est à peu près la même chose avec le trou du Cerro de Pasco (absurde et criminel, sans raisons identitaires cette fois-ci…).

Cerro de Pasco est la ville possédant le privilège d’être proclamée « la plus froide du pays ». C’est ce que nous vérifions suite à une ascension comme il n’en existe probablement que dans cette partie du monde : quelques 200 kilomètres et 4338 mètres de dénivelé (et jusqu’à 4800 quand on grimpera sur les hauteurs, un peu plus tard) en 8 heures de trajet seulement. A la sortie de la nuit de bus, le jour commence à peine à se lever, et on grelotte en respirant comme on peut dans l’atmosphère glacée et pauvre en oxygène du petit matin : bienvenue à Cerro de Pasco ! Heureusement, pour nous accueillir, un caldo de gallina, un bouillon de poulet accompagné d’un œuf dur, nous attend et nous réchauffe. Parait-il que c’est énergétique. De toutes façons, pas trop le choix, c’est la seule chose qu’il y a, alors même moi j’en mange : une souris mangeant du poulet, gare à la souris folle !


Nous voici donc dans la ville minière la plus haute du monde. C’est probablement aussi l’une des mines les plus anciennes et profondes. Ici, comme on aime à le dire pour plaisanter, la place centrale de la ville est un trou … de 1,8 km de diamètre et de plus de 1000 mètres de profondeur qui n’en finit plus de se creuser depuis 54 ans (la mine, auparavant souterraine, existe a Cerro de Pasco depuis plus de 400 ans). Il faut le voir pour le croire et même si j’ai l’habitude de voir les choses en grand en raison de ma petitesse, la mine de la Volcan Mining Co est véritablement gigantesque. C’est une chose incroyable. Sur le moment, cela parait tellement irréel qu’on à peine à comprendre ce que l’on voit. Quelle folie !
Et inévitablement, qui dit mine, surtout si elle est à ciel ouvert et d’autant plus lorsqu’elle se situe au centre d’une ville de près de 80 000 habitants, dit montagnes de déchets. Ce qu’on enlève de quelque part, il faut bien le mettre ailleurs. Et dans le cas de Cerro de Pasco, les montagnes de déchets sont à l’échelle du trou : immenses. Pour faire simple, le centre de la ville en est cerné, de même que de déchets ménagers - tant qu’à faire, autant accumuler (c’est une des leçons du capitalisme, non ?) ! Ici, on bat les records de pollution, au grand plaisir des mes copains – façons de parler – les cochons, qui se goinfrent de déchets contaminés. Parfois, je comprends certaines religions ou pratiques alimentaires humaines, d’autant plus que la viande, mise à part celle de poulet lorsque je n’ai pas le choix, ce n’est pas trop mon morceau de fromage.
Tout cela n’aurait pas été aussi terrible si les amis qui nous reçoivent et qui luttent pour un peu plus de respect dans ce monde de brutes et de métaux lourds, ne nous avait pas montré la campagne environnante. Il y a un recto et un verso à Cerro de Pasco. Recto, c’est la mine, qui dévore la vie et qui peu à peu a grignoté toute la partie coloniale de la ville, la vielle ville, comme on dit ici, et aussi ceux qui y vivent. Bientôt, lorsque les derniers qui résistent auront craqué, à moins que cela soit d’abord leur maison qui craque et qui tombe dans le trou comme c’est déjà arrivé, il ne restera plus rien et le trou sera partout. Un projet de « déplacement » (reconstruction) de la ville à une vingtaine de kilomètres de là est même déjà prévu… depuis les années 1970. Pour certains c’est un drame, au moins humain, quand il n’est pas aussi financier, de devoir abandonner leurs maisons à la mine vorace, tout cela parce qu’il y aurait des minerais sous leurs fondations. Cela dit, face à la pollution et au danger, leur laisse-t-on vraiment le choix ? Oui, nous répondent nos amis. On peut décontaminer et mettre en valeur le développement agraire, basé sur l’élevage d’alpagas et de ses produits dérivé : laine, produits tissés, viande, etc…


Et il y un verso, vert-bleu, plein de cours d’eau bleu-nuit et de petits lacs parsemant une campagne moucheté du blanc et du noir des abondants troupeaux d’alpagas (20 000 bêtes) appartenant aux communautés environnantes. Un peu plus loin, se trouve le bosquet de pierres, une formation géologique impressionnante faisant penser à un décor de cinéma. A côté de celle-ci, un centre touristique, c’est-à-dire de loisir, pour les gens de la région, dans lequel les attendent des bains naturels alimentés par des sources d’eau chaude, un coin inca à ce qu’il se dit.


Après la visite, alors que je grignote un morceau de pain, impossible pour Anna & Jérémy de résister à l’envie de gouter au fameux pachamanca qui était en préparation le matin lors de notre arrivé. Apparemment, ils ont bien aimé cette recette traditionnelle dont la principale caractéristique est d’être cuite dans une sorte de four portatif (si on a une grosse brouette). On fait une sorte de puits à l’aide d’un tas de pierres dans lequel on met les aliments. Puis, on recouvre le tout de cendre chaude et d’une bâche ou de ce qui traine sous la main, afin de conserver la chaleur. La cuisson est ainsi entre le four et la vapeur.


Repus, nous partons parcourir la ville à la recherche de la richesse tant promise par l’entreprise minière, dont le principal argument, pour prouver sa bonne foi face aux ONG et aux mouvements sociaux qui se plaignent de la pollution est de dire « la mine, c’est le développement », « la mine, ça donne du travail », « la mine, c’est la richesse ». 400 ans d’exploitation minière ont donc du transformer la ville en un palais, en une ville opulente comme l’affirme le blason de la cité. S’il vrai que les pouvoirs publics locaux et nationaux et la presse locale ont du constater un certain développement de leur porte-monnaie et que Christian Dior a ouvert une succursale en ville (si, si, regardez les photos), le résultat n’est pas brillant : tas d’ordures, rues défoncées, murs décrépis et maisons chancelantes. Tout n’est que destruction et pollution. Cela dit, les gens ont du travail, mais à quel prix ? C’est cette question que se posent nos amis sur place et c’est dans l’optique de changer ce modèle de développement destructeur qu’ils vont se présenter aux élections régionales de cette année. On croise les doigts pour eux. Les montagnes sont tellement belles ici.

Par acquis de conscience et histoire de donner encore une autre chance à l’industrie minière et aux entreprises apporteuses de progrès, le soir venu, nous prenons la direction de la fameuse ville de la Oroya, un des 10 sites les plus pollués du monde selon la Blacksmith Institute. La logique voudrait donc que cela soit aussi une des 10 villes les plus riches du monde, non ?


Traduction du contenu de la vidéo

--
Kri kri
Irkita

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire