samedi 9 janvier 2010

29-12-2009 : Uyuni city : Gringos, ordures, poussière et chiens errants. Et lithium

Uyuni c’est la « grande » ville (façon de parler) au bord du célèbre Salar d’Uyzuni. C’est une ville tracée à la règle où s’enchainent lignes parallèles et perpendiculaires.

Uyuni, c’est l’une des deux gringo-cities de la Bolivie avec Rurrenabaque. Tous les touristes y passent pour parcourir le désert de sel situé à 25 km de la ville. Le plus grand du monde avec ses 12 000 km².

A Uyuni, ambiance western sans cow-boys. Il y a des ordures, de la poussière, des chiens errants, une place centrale fleurie et remplie de touristes, attablés à des terrasses en écoutant Manu Chao ou parcourant les bureaux de la centaine d’agences qui permettent de visiter le Salar. Il y aussi des ordures, de la poussière, des chiens errants, une église, des ordures, de la poussière, des chiens errants (ben oui, y en a beaucoup) et les locaux du syndicat des travailleurs ruraux de l’Altiplano Sud, FRUTCAS. C’est pour eux que nous sommes là. Pas pour voir le Salar ? Ben non, pas du tout… Enfin, si, un peu, aussi, quand même, puisqu’il parait que c’est une chose incroyable, un chef d’œuvre de la nature dont les mauvaises langues disent qu’il serait menacé de disparition.

Pourquoi ? Ce célèbre Salar contiendrait entre un tiers et plus de la moitié (selon la COMIBOL, 100 millions de tonnes) des réserves mondiales de lithium. Le lithium, «l’or gris », c’est ce métal mou (ou léger) qu´on trouve dans les batteries des téléphones portables et des ordinateurs. Il est aussi utilisé en médecine (traitement de la bipolarité), comme base de fusion nucléaire et surtout pour fabriquer les batteries des voitures électriques, clé de voûte de la future société sans CO² et sans pétrole (puisqu’il n’y en aura plus).

Même si le lithium est abondant sur terre (33ième élément le plus présent dans la nature), il n’existe concentré que dans les évaporites et le Salar d’Uyuni en est constitué.

Certains estiment que ses réserves de lithium transformeraient la Bolivie en une sorte d’émirat du lithium. Estimations qu’il faut cependant prendre avec précaution puisque d’autres diront que c’est le fond de la Méditerranée qui renfermerait le plus grands des gisements de lithium connus. Voilà pour la ressource.

Niveau acteurs, on trouve, entre autres: FRUTCAS, syndicat qui avait lutté contre l’exploitation du lithium par l’entreprise états-unienne LITHCO A dans les années 1990 et qui est aujourd’hui à l’origine de la proposition d’exploitation publique et théoriquement respectueuse de l’environnement, basée sur la technologie « d’industrialisation du lithium » - production du carbonate de lithium dans sa première phase - 100% bolivienne ; la COMIBOL, l’entreprise minière d’Etat et sa Direction des évaporites créée pour l’exploiter le lithium du Salar ; des entreprises étrangères - japonaises, française (Bolloré) , brésiliennes, états-uniennes, russes, et j’en oublie ; les agences de tourisme qui parcourent le Salar et les communautés vivant autour (sans oublier les touristes, les chiens errants…, bon d’accord, j’arrête !).

Après l’annulation du contrat de la Lithco, aujourd’hui, c’est la COMIBOL, à travers sa Direction des évaporites, qui est chargée de la phase de test de l’exploitation. Pour cela, une usine pilote a été construite. Elle devrait permettre de concevoir la technologie la plus efficace et ayant le moindre impact environnemental de production de carbonate de lithium. Le projet intègre aussi un volet « développement local ». Ca, c’est ce que nous savons avant d’arriver en Bolivie : un projet révolutionnaire d’industrialisation d’une ressource naturelle (et non seulement de son extraction), soucieux de l’environnement et du bien-être des populations, du moins sur le papier.

Lors de nos différentes rencontres pendant de notre séjour en Bolivie, on a entendu des sons de cloche bien différents, fondés ou pas. Quelques exemples :
- « En fait, il y aurait moins de lithium qu’on le dit »
- « En fait, il y en aurait plus »
- « En fait, cela va détruire la beauté du Salar parce que cela va créer des monticules de sels et donc briser son plat parfait, sa beauté exceptionnelle », selon les agences de voyage
- « En fait, l’idée est de maîtriser toute la chaîne de production, de l’extraction du lithium à la voiture électrique 100% bolivienne » (c’est bien l’idée…)
- « En fait, Evo Morales serait manipulé par George Soros qui l’aurait placé à la tête du pays pour avoir accès au lithium »
- « En fait, conçu dans le cadre de la campagne électorale, le projet d’une entreprise 100% bolivienne et publique, intégrant les exigences de développement local et écologique, ne tient pas la route, parce qu’au niveau technologique la Bolivie ne pourra pas aller au-delà de la production du carbonate de lithium et qu’en fait, les japonais sont les mieux placés derrières les français pour avoir accès au magot ! »
- Ouf !

Malheureusement, notre entretien avec FRUTCAS ne répondra pas à toutes les questions que nous nous posons à ce sujet. Nous sommes en fin d’année et nous ne pourrons pas visiter l’usine pilote, fermée pour les vacances. Ce n’est que partie remise, nous essaierons de revenir dans cette région de la Bolivie en été 2010, à partir de l’Argentine toute proche, pour voir l’usine qui devrait être en fonctionnement depuis déjà quelques mois.

Lors notre conversation, nos amis de FRUTCAS nous affirment tout de même qu’ils continueront à lutter pour que le projet reste 100% bolivien et public, comme ils l’ont déjà fait dans les années 1990, et comme ils l’ont fait plus récemment, pour faire capoter un projet monté par l’université Thomas Frias où il était encore question d’un appel d’offres aux compagnies étrangères. Et surtout, ils font confiance à Evo. Du moins pour la première phase du projet, la production du carbonate de lithium (les phases suivantes étant la production de lithium métallique, puis celle des batteries électriques, puis celle des voitures fonctionnant avec ces batteries) : un premier kilogramme de carbonate de lithium a déjà été produit en novembre dernier (2009).

Pour ce qui est de la problématique technologique, a FRUTCAS, on nous apprend la création d’un comité scientifique international ouvert et donc accessibles aux entreprises étrangères, qui collaboreraient en son sein sans contrepartie, seulement « pour aider la Bolivie à se développer ». Un exemple d’acteur y participant : Bolloré. Hum, Bolloré-philanthrope voulant simplement aider la Bolivie à se développer … Je ne sais pas pour vous, mais moi, j’en ai les moustaches qui frétillent (l’équivalent du froncement de sourcils ou du pincement de lèvres des humains chez les souris).

Niveau développement local, nous apprenons que pour l’instant – contrairement à ce qu’on peut lire dans un certain nombre de publications – il n’y a eu aucune discussion sur la planification du partage des retombées de l’exploitation du lithium avec les habitants des communautés rurales du Salar. Dans cette région, l’une des plus pauvres du pays, les habitants – ceux qui ne travaillent pas dans le tourisme - subsistent aujourd’hui grâce à la culture de la quinoa et au commerce du sel. Quand parlera-t-on du partage des retombées? D’ici 5 ans, le temps de mettre en place une technologie fiable de production de carbonate de lithium et d’évaluer les bénéfices. Car le rêve de FRUTCAS est que « le salar devienne un pôle de développement régional, national, voire continental ».

L’impact environnemental ? Il n’y en aurait pas : la seule eau utilisée est celle d’une rivière salée qui est ensuite retournée dans la même rivière, les piscines d’évaporation sont fabriquées avec le sel du salar et la principale source d’énergie pour l’évaporation est le soleil, toutes les constructions pour acheminer la matière première sont démontables et la production à proprement parler (séparation des différentes éléments : lithium, potassium, bore) est faite dans un laboratoire, à petite échelle. Pour l’instant du moins, avant la construction du complexe industriel, deuxième phase du projet. Voilà pour les informations. Reste à voir tout cela en fonctionnement cet été.

Entre théorie du complot, utopie syndicaliste, alternative nationale, méfiance scientifique et gourmandise des multinationales, le sort final du lithium du Salar d’Uyuni reste pour l’instant bien mystérieux. Pour l’avenir, on compte sur nos amis de FRUTCAS et sur la visite de l’usine pour nous aider à suivre de près les prochains épisodes.

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Kri kri
Irkita

P.S. Un devoir pour la petite souris qui a le cerveau qui chauffe (si vous voulez m’aider, n’hésitez pas !!!) : réfléchir au changement de paradigme (ça brûle !!) entre l’énergie-flux (pétrole) et l’énergie stockée (grâce au lithium) et son impact pour l’environnement. Il paraît qu’il se situerait en milieux aquatiques… A suivre.

1 commentaire:

  1. Merci, petite souris, pour ces infos!

    Je ne pourrai malheureusement pas t'aider pour tes devoirs (ça brûle aussi!!), mais j'ai un tuyau: paraît-il que bientôt un livre va sortir qui nous aidera à comprendre tout ça; quand je dis bientôt, c'est quand même pas si bientôt que ça, parce que ses auteurs, que tu as peut-être eu l'occasion de croiser lors de tes périples, sont encore en train de recueillir plein d'infos et d'histoires à ce sujet, mais ils vont un jour revenir nous raconter tout ça autour d'une petite mosel... et on a hâte que ce jour vienne!! Tu seras bien sûr invitée, petite souris - mention spéciale de ton amie Nini ;-)

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