lundi 1 février 2010

18, 19-01-2010 : La Oroya horreur show

En compétition pour la catégorie « la ville la plus polluée du monde », avec la participation de Messieurs plomb, arsenic, cadmium, antimoine, mercure, césium, dioxyde de soufre et le casting n’est pas complet … Une étude menée il y a quelques années par l’Université de San Luis (Etats-Unis) en collaboration avec l’Eglise a rapporté la présence dans l’organisme des habitants de la Oroya de plus d'une dizaine de métaux différents: une bonne partie de la table d’éléments de Mendeleev.

Nous voici donc à la Oroya. Autant le dire tout de suite, le seul signe de richesse qu’on a pu voir dans les environs de cette gigantesque fonderie de l’entreprise Doe Run Peru a été le sourire et le courage des gens qu’on y a rencontrés, ainsi que, il faut bien l’avouer, la peinture murale de notre hôtel pourvu de « balcons » représentant un couple s’embrassant sur une plage de sable blond des Caraïbes sur fond de palmiers et de mer enflammée par un coucher de soleil immense. Le contraste entre l’intérieur de l’hôtel et la vue qu’on a depuis ses fameux balcons est saisissant. A l’extérieur, en arrière plan, il y a la fonderie, un entrelacement infini de cuves et de tuyaux ocres, bleus, noirs et argentés dominé par une immense cheminée. Tout autour, aussi loin que porte le regard, la nature est défigurée. La montagne semble avoir été blanchie à la chaux puis recouverte de giclées de pétrole. Ce sont les stigmates de quasiment cent ans de production de métaux (or, argent, fer, zinc, antimoine, cuivre, etc. produits depuis 1922). Cela fait froid dans le dos, mais à ce stade de désolation, on trouve même à ce paysage une certaine esthétique. Je m’imagine être sur la lune.

Pour l’heure, heureusement, ou malheureusement pour nous, puisque l’expérience sera incomplète (ce dont je ne me plains pas personnellement), la ville vit une situation de calme relatif, c'est-à-dire de pollution réduite. Depuis 9 mois, la Doe Run Pérou, propriétaire de l’usine de la Oroya depuis 1997, a temporairement fermé ses portes, officiellement pour raisons financières. Chose rare à la Oroya et conséquence directe de l’absence d’activité industrielle, l’air y est respirable. En temps normal, il parait que qu’il faut une demi-journée pour se retrouver avec la sensation d’une angine couplée à une double conjonctivite.

Rien n’est sur, mais on a tendance à faire passer la fermeture temporaire de la fonderie pour une petite victoire de la mobilisation qui dure depuis plus de 10 ans. Il faut dire aussi qu’ici, la situation est tellement caricaturale, tellement exagérée, qu’au fil des années, la Oroya est devenue un des cas les plus emblématiques de la relation que peut avoir l’homme autoproclamé comme « moderne » avec son environnement, mais aussi du peu de respect qu’ont certaines multinationales pour la santé des communautés des pays du sud dans lesquelles elles exercent leurs activités et où elles s’enrichissent.
Bien entendu, il a fallu attendre que cela soit l’humain qui soit affecté pour que la contestation se solidifie et se structure. Si on avait écouté les souris avant… Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, la contestation est représentée par des ONG locales (regroupées dans la mesa tecnica - bureau technique), des ONG nationales, soutenues par des ONG internationales et par l’Eglise catholique et la société civile. Cette dernière est regroupée au sein du Mouvement pour la santé de la Oroya, le MOSAO. Tantôt ensemble, tantôt seuls, mais toujours pour la même cause, depuis près de 13 ans, ces différentes acteurs dénoncent les méfaits des émissions de Doe Run sur la santé, notamment sur celle des enfants et des personnes âgées. Plus de dix longues années de travail, de conscientisation et de formation de la part des ONG. Plus de dix longues années de prêches pour la vie de la part de l’Eglise, qui, depuis 2005, gère son propre programme de nutrition et de santé. Plus de dix longues années de combats déloyaux pour la société civile qui en a parcouru du chemin et qui s’est structurée. Les dirigeants se sont formés, l’information s’est diffusée, notamment, il est vrai, grâce au travail des ONG, dont Cooperaccion, mais aussi de l’Eglise. Les gens ont fini par comprendre que leur santé était vraiment en jeu et que ce n’était pas une blague de mauvais gout, ni un complot des étrangers ou des ONG, comme on a voulu leur faire croire. Aujourd’hui, malgré les 2500 employés directs et les 24 000 indirects, aucune personne de bonne foi ne conteste la dangerosité de la fumée qui s’échappe de l’usine de la Doe Run.

Évidement cela n’a pas été facile, est c’est un euphémisme. En effet, lorsque les premières études sont tombées et qu’elles ont révélé des taux de plomb entre 4 à 10 fois supérieurs au minium acceptable selon l’OMS (sachant que la norme est de ne pas avoir de plomb du tout), l’entreprise a commencé par affirmer que c’était parce que les enfants mangeaient les crayons de couleur, parce que les gens ne savaient pas se laver les mains ou bien encore parce qu’ils nettoyaient mal leur maison. Ayant diffusé ces « informations » via des organisations créées par elle-même pour générer la zizanie, elle a pu se refaire une image de bienfaitrice en mettant en place des « cursus de formation » de « nettoyage de sa maison » et en construisant des douches publiques, qu’elle a peint en vert et blanc ! Parce que la Doe Run Peru peint tout en vert et blanc. C’est un peu son TOC pour signifier qu’elle est à l’origine de l’œuvre colorée ainsi. Par exemple, ayant donné un portail à l’école publique, elle a repeint le bâtiment en entier, ce qui fait croire que c’est elle qui a construit l’école. Et ce n’est qu’un exemple.

Malgré les coups fourrés, la mauvaise foi et les accusations de vouloir détruire l’économie de la ville ou d’être contre la développement du pays (et donc de faire preuve d’antipatriotisme) lancées par l’entreprise contre les acteurs sociaux et relayés par la presse locale un brin corrompue, malgré les tentatives d’assassinat, le harcèlement moral et les menaces, les habitants de la ville, qui se battent pour un environnement sain et qui nous reçoivent aujourd’hui, n’ont pas lâché prise et ont poursuivi la lutte.
L’entreprise a voulu faire croire aux gens, en commençant par ses nombreux employés, qu’avoir du plomb dans la cervelle rendait intelligent (ce n’est pas une blague – cette rumeur a été au départ distillée par la Direction Générale de la Santé Environnementale dont une étude faisait apparaître un lien entre le taux de plomb dans le sang et les notes des enfants à l’école !). Alors les ONG ont diffusé les informations prouvant le contraire, encore une fois sans l’aide de la presse locale et en opposition avec les pouvoirs publiques. Quant à l’Eglise, elle a mis en place un programme de nutrition et de santé, encadré par une nutritionniste et une médecin, afin de favoriser l’expulsion des fortes doses de métaux lourds que les enfants respirent et ingurgitent tous les jours.
Puis, comme le blanc et vert de ses pinceaux n’avait pas suffit à lui acheter une image écologique, l’entreprise a poursuivi son green-washing en plantant des arbres. Bien entendu, encore une fois, elle a essayé de récupérer le travail des autres pour le faire passer pour le sien. Elle a donc choisi l’un des quartiers les plus éloignés de l’usine, Villa Sol, où les riverains plantent des arbres depuis 10 ans. Ironie du sort ou preuve de sa vocation diabolique, aujourd’hui, les arbres de l’entreprise sont à l’image des quartiers se situant aux alentours de l’usine : carbonisés, noircis ou pourris : tous en train de mourir. Pas grave pour la campagne, qui, grâce au travail des riverains, ressemble aujourd’hui à un petit paradis fleuri et qui prouve qu’il est possible de faire pousser quelque chose à la Oroya et que d’autres quartiers pourraient ressembler à Villa Sol.
Autre argument employé par l’entreprise, un grand classique : il n’y aurait pas de ville sans la fonderie. En pourtant, ici, avant, la vie existait, et depuis longtemps. Pour preuve, le musée-collection personnel du défunt père d’une des amies qui nous accompagnent, dans lequel on trouve des objets attestant d’une présence humaine depuis avant les Incas. On y cultivait quelques-unes des 500 variétés de pommes de terre existant au Pérou.

Cela peut paraître caricatural, mais c’est une réalité. Sans la présence d’une activité industrielle, à la Oroya, il n’y aurait ni pollution, ni prostitution. L’alcoolisme ne serait pas aussi élevé, l’insécurité ne serait qu’un lointain concept urbain, et les enfants abandonnés resteraient dans les livres ou les films. Alors, oui, si on s’en tient aux caractéristiques les moins attractives des grandes villes, surtout minières, la Doe Run peut affirmer qu’elle est à la source d’un certain développement.

Certes, la Doe Run, « donne » du travail à une grande partie des habitants, que ce soit dans la fonderie ou par le biais de services externes fournis à l’entreprise. Mais beaucoup de ses employés sont venus d’ailleurs et font grandir ce qui était auparavant – il y a bien longtemps - le petit village de San Jeronimo de la Oroya. Toujours pour ne pas favoriser la contestation, ou par respect de la sacro sainte « Loi-du-marché-qui-s’autorégule-grâce-à-la-gentille-main-invisible-qui-habite-à-Wall-Street », l’entreprise multinationale respecte la règle suivante: « il faut savoir être souple ». Du coup, les contrats de travail sont de trois mois. C’est plus commode pour gérer les conflits sociaux … qui n’existaient pas ou peu. Aujourd’hui, Doe Run Pérou paie la paix sociale suite à des échauffourées entre la police et ses employés lors du paro (blocage des routes, des commerces et des services) de l’année dernière, convoqué par l’entreprise pour exiger le prolongement du délai pour remplir le PAMA, le Plan d’adéquation avec les standards environnementaux (délai supplémentaire demandé de 30 mois). Les employés au chômage technique reçoivent 60% de leur salaire en attendant que l’entreprise rouvre ses portes.

Difficile pourtant d’imaginer une Oroya sans fonderie. Encore plus qu’ailleurs, la ville est sous perfusion de l’entreprise unique. Même pour ceux qui luttent. Pourtant, 9 mois après la fermeture, la ville ne s’est pas dépeuplée. L’Eglise, qui enregistre les variations des taux de plomb, non pas dans la cervelle, mais dans le sang des enfants, a constaté une baisse significative. Les quantités de plomb présentes en temps normal seraient donc en premier lieu la conséquence de l’air qu’ils respirent? Non, c’est surement que depuis 9 mois, ils se lavent les mains comme des forcenés à cause de la grippe de mes copains les cochons ! La végétation aussi apprécie l’accalmie. Aux alentours de l’usine quelques petites touffes d’herbe ont fait leur apparition. Certes, les enfants qui vivent dans le quartier le plus pauvre de la ville où nous reçoit l’un des membres fondateurs du MOSAO et vice-président régional de CONACAMI (Coordinadora Nacional de Comunidades Afectadas por la Mineria), continuent à respirer des poussières contaminées, mais aujourd’hui à la Oroya, l’air est respirable. Certes, ce n’est pas 9 mois d’inactivité qui effaceront un siècle de pollution intensive, mais les gens peuvent ainsi constater qu’il y a une vie sans l’usine, que les fumées acides et nocives pour la santé qu’ils respirent en temps normal ne sont pas une fatalité et que l’herbe peut repousser...

Autant il peut être difficile d’imaginer une Oroya sans sa fumée lorsqu’on est tombé dedans quand on était petit, autant, après avoir constaté que les maux de gorge et les picotements aux yeux disparaissent lorsque l’usine ne fonctionne plus, dure sera la reprise de l’activité lorsqu’elle reprendra - et si elle reprend. Parce que si la fonderie est fermée, ce n’est pas par altruisme, ni pour réaliser des travaux d’installation de filtres rendant la vie plus viable. En réalité, c’est plus pour montrer son désaccord avec le fait qu’elle doive enfin appliquer le PAMA, le « Plan d’adéquation avec les standards environnementaux ». Ici, il a été mis en place par le gouvernement de Fujimori en 1996 pour pouvoir vendre l’entreprise publique à laquelle appartenait alors la fonderie. Sa mise en œuvre est estimée à 224 millions de dollars (les revenus de Doe Run Pérou dépassent les 150 millions de dollars chaque année) et il n’est toujours pas appliqué. Alors, nos amis du MOSAO ont fini par porter plainte contre l’Etat péruvien auprès de la CIDH (Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme) pour sa non application et l’atteinte à la santé des habitants. Au Pérou en effet, la justice n’est pas toujours très juste et aucune mesure sérieuse n’a été adoptée contre l’entreprise (mis à part une convention qui l’oblige à mesurer le niveau de plomb dans le sang des enfants et mettre en place un programme de santé qu’elle gère à sa convenance et dont les douches publiques ( !!!) font partie). Cela dit, pour faire « coroico » avec mes compatriotes coqs de France ( et de Bolivie), nous avons aussi nos "Oroya" avec le scandale de l’amiante ou avec celui des anciennes mines d'uranium.

L’entreprise avait prévu de passer un cap difficile. Alors, il y a 3 ans, Doe Run Etats-Unis s’est crée une filiale au Pérou, qui s’est rapidement endettée auprès de sa maison mère. Ainsi, pas de pertes financières et des arguments de poids pour justifier sa fermeture (trop de dettes !) et négocier comme il se doit avec le gouvernement péruvien, qui - ne l’oublions pas - est un peu théocratique vis-à-vis des maximes capitalistes, au point de voir derrière les indigènes d’Amazonie des communistes adeptes des théories du XIXème siècle. Rien que ça. Bref, ce n’est pas encore gagné.

En attendant, à la Oroya, la vie se poursuit et certains des amis qui nous reçoivent imaginent déjà un après Doe Run Pérou, un après usine, un après plomb. Certains pensent au tourisme, d’autres à l’agriculture comme avant l’usine ou encore à la pisciculture, l’élevage de truites. Pour une fois, si les poissons reviennent dans la rivière morte de la Oroya, je veux bien manger du poisson en compagnie d’un chat…



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Kri kri
Irkita

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