En Bolivie, en partant du niveau de la mer et en remontant vers les montagnes, en premier, il y a « les souris », parce qu’elles sont les plus petites. Puis, là où il fait chaud et humide, dans les parties tropicale et amazonienne, il y « les indigènes » (indigenas). Et tout en haut, là où on respire mal et où il fait froid, il y a « les originaires » (orginarios). Les indigènes, on a eu l’occasion de les rencontrer au début de notre séjour, lors du forum sur les autonomies, puis à San José de Chiquitos, et enfin à Caranavi . L’organisation qui regroupe les différentes « centrales » indigènes s’appelle CIDOB. Son équivalent pour les « originaires » est le CONAMAQ . C’est dans leur bureau de la Paz que nous avons rencontré l’un de leurs représentants.
L’histoire qu’il nous raconte c’est celle d’une mine de cuivre dans une ville à quelques heures de bus de la Paz qui s’appelle Corocoro (et oui, encore un cri du coq). Là bas, il y avait et il va y avoir une mine de cuivre. « Il y avait », parce que la ville a été dans le passé une ville avec une mine sous contrôle de l’entreprise minière publique, la COMIBOL. Encore un sigle ! Ici – comme ailleurs -, on aime beaucoup ça, les sigles. Devinez par exemple ce qu’est la TAM? Alors ? Le Transport Aérien Militaire ! Non, ce n’est pas une blague, en Bolivie, l’armée de l’air est (aussi) une compagnie aérienne.
Je disais, qu’en plus de l'avoir été, Corocoro sera une ville minière. « Sera », parce que l’exploitation vient d’être relancée, par la COMIBOL (en sous-traitance avec des entreprises chiliennes et péruviennes) pour la partie récupération des déchets de l’ancienne mine, et par une entreprise coréenne (en joint-venture avec la COMIBOL) pour la partie nouvelle mine, qui sera cette fois-ci à ciel ouvert. Juste pour préciser, « récupérer les déchets » ne signifie pas faire du tri sélectif à des fins environnementales. Au contraire, c’est une activité très polluante puisqu’elle consiste à tremper dans un jus chimique les résidus de l’ancienne exploitation qui à l’époque étaient trop pauvres en minerai pour être utilisés. Vive le progrès technique! Notre ami des « terres hautes » nous fait part du peu d’enthousiasme des communautés rurales qui vivent à une trentaine de kilomètres de la ville face à la perspective d’utiliser une eau de rivière massivement polluée par les substances chimiques nécessaires à l’extraction du cuivre de la roche. Pour lui, il faut être cohérent : « le frère Evo est récompensé à l’étranger pour son respect de Pachamama, mais ce discours doit se matérialiser par des applications concrètes et ne pas rester qu’un simple discours. Or, dans les faits ce n’est pas le cas ». Son organisation a rédigé ce qu’ils appellent « un plan de vie » (plan stratégique, page 61) dans lequel ils expliquent comment ils voient leur avenir, dans quel environnement ils souhaitent que leurs enfants grandissent. Le point central de ce « plan de vie » est le « buen vivir », le bien-vivre. Ce que ça veut dire n’est pas très clair, mais la meilleure définition que j’ai entendue est celle qui l’oppose au « vivre mieux ». Si on souhaite vivre mieux, puisque il y a toujours mieux, cela n’a pas de fin. Si cela n’a pas de fin, cela finit forcement par se faire au détriment d’un autre. Et donc, pour eux, pas question de s’empoissonner pour que ceux de la ville aient du travail et de l’argent.
Brrr ! Les indigènes à Caranavi, les originaires à Corocoro froncent des sourcils et menacent de se fâcher. Eux et d’autres ont fait en sorte que les règles du jeu changent en écrivant une nouvelle Constitution dans laquelle il est dit qu’à l’avenir, si on fait quelque chose chez eux, on doit les en informer, leur demander leur avis, et, le plus important, obtenir leur accord. C’est fini de leur imposer des choses ! A cela, ils y tiennent fort et ne feront pas de cadeaux à un Président dont ils forment une partie (et pas la plus petite). Et c’est Evo Morales lui-même qui l’exprime le mieux lorsqu’il déclare dans ses discours : « nous sommes Président ».
Si moi, petite souris, j’étais à la place du Président, je ferais attention à ne pas donner l’impression « d’en faire » que pour la presse et les mouvements sociaux étrangers. Le pire serait de faire à l’intérieur le contraire de ce qui est dit à l’extérieur, et certains de ses frères originaires et indigènes trouvent que c’est déjà – un peu, parfois – le cas. Ces frères originaires et indigènes qui se sont le plus battus pour que soit pris en compte l’environnement dans les projets conçus pour gagner de l’argent, pour enfin en finir avec ce modèle de développement – vieux de 5 siècles - qui consiste à toujours extraire quelque chose des entrailles de la Terre, leur tierra madre, au détriment de leur santé et de leurs traditions. Dans tous les cas, si j’étais Evo Morales, moi, je serais inquiète … mais c’est aussi peut-être parce que je suis une petite souris peureuse !?
Très bien dit, petite souris!
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