dimanche 24 janvier 2010

10, 11, 12, 13, 14, 15, 16-01-2010 : Lima, pas si mal !

Lima, on connait et - si vous me lisez depuis le début - vous connaissez un peu aussi. Lima c’est pollué, c’est la grande ville sale, avec des quartiers très riches et des quasi-bidonvilles, parfois, ça sent le poisson et, même en été, le soleil y fait rarement son apparition en raison d’une bruine épaisse, la garua, ressemblant au frog londonien. Bref, pas grand-chose pour plaire, rien de touristique et rien pour elle, cette pauvre ville qui s’est même vue qualifier de « plus triste de la terre » par Hermann Melville.



Et pourtant, aujourd’hui, installée dans un hôtel d’espion avec vue sur la porte principale du palais présidentiel (si si, c’est vrai) et contre toute attente, je suis contente d’être ici et d’y passer une semaine ! Notre quartier a de quoi faire rêver, malgré l’omniprésence policière - proximité avec le cœur du pouvoir oblige - qui fait parfois croire que nous sommes dans une dictature militaire, nos rencontres sont à chaque fois plus enrichissantes, et l’humeur d’Anna & Jérémy se retrouve à l’image de la gastronomie péruvienne qui n’y est pas pour rien : excellente !


Ce fut quelques jours bien chargés. Ici, les dirigeants des organisations sociales qui nous reçoivent prennent rendez-vous pour nous en téléphonant eux-mêmes aux personnes avec qui ils nous mettent en contact. Au Pérou, on prend rendez-vous la vieille pour le lendemain avec des responsables, qui nous reçoivent malgré leurs emplois du temps chargés, parfois à 7 heures du matin, c’est vrai. On a droit à des cours d’analyse géopolitique, des rappels historiques sur le pays, à des conférences privées. A raison de une, deux, trois fois par jour, en cinq jours, nous avons rendez vous avec quasiment l’ensemble de la société civile péruvienne. En une semaine, nous avons rencontré toutes les personnes que nous souhaitions rencontrer et nous nous sommes régalés à chaque repas.


Sur le fond, c’est un pays qui se situe aux antipodes de la Bolivie où nous étions il y a peu. Le gouvernement d’Alan Garcia, reconnu pour son néolibéralisme scolaire, se situe bien loin de celui d’Evo Morales. Ici, pas question de nationaliser les ressources stratégiques ou bien de créer une retraite pour tous. Rarement un pays aura été livré autant aux entreprises : pas de transports publics (ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas de transports collectifs), très peu d’hôpitaux, dont certains ne sont accessibles qu’aux personnes bénéficiant d’une mutuelle, des prisons gérées par des entreprises et un système d’éducation pas terrible en dehors des établissements privés.

Autre exemple, avant le gouvernement d’Alan Garcia deuxième épisode (il avait déjà été président de 1985 à 1990), il y avait déjà bon nombre de concessions minières et pétrolières. Mais comme cela n’était pas suffisant, religion libérale oblige, aujourd’hui, entre les concessions minières de la Côte et des Andes et les concessions pétrolières de l’Amazonie et de la mer, plus de 60% du pays a été découpé en morceaux que les multinationales vont pouvoir se partager comme une famille de souris se partagerait une meule de gruyère. Bien entendu, tout cela se fait sans se préoccuper « des asticots » qui y vivent. C’est en substance ce que pense le Président du pays « des primitifs » qui vivent dans son pays. On leur à donné des terres fertiles et abondantes et ils ne sont pas capable de les mettre en valeur ! Lucide, il explique dans un article publié dans El Comercio, l’un des quotidiens de référence du pays, que c’est parce qu’ils n’ont pas de capital pour le faire. Alors, tant pis pour eux, on va leur enlever leurs terres et la donner à ceux qui en ont (du capital). Logique et orthodoxe, non ?

Bien entendu, ça gronde dans les chaumières, si bien qu’une alliance entre les résistances andines aux mines existantes et à venir et celles de l’Amazonie à l’industrie pétrolière et forestière est en train de se dessiner. C’est avec ce fil directeur que nous avons prévu de parcourir le pays, des mines à ciel ouvert situées à plus de 4000 mètres d’altitude jusqu’au département d’Amazonas, tristement célèbre depuis le massacre du mois de juin 2009 . On se rend ainsi compte qu’au final, dans un pays comme le Pérou, les mouvements sociaux sont en pleine construction et se constituent en force de proposition, en comparaison avec le relatif attentisme de ceux que nous avons rencontrés en Bolivie. Une partie de la vérité est que nous sommes ici en plein dans la tourmente. Faut-il en déduire qu’il faille être en danger pour être plus créatif ou bien d’autres facteurs expliquent cette émergence d’acteurs sociaux de poids? Assiste-t-on aussi quelque part à un ballet politique pré-électoral avec de nouveaux acteurs politiques ? C’est ce que nous aimerions découvrir.


En plus d’assister à des conversations passionnantes, en suivant mes deux camarades dans leur parcours du parfait petit militant à Lima, j’ai aussi pu découvrir un peu mieux la ville.

Finalement, la partie centrale coloniale de la ville est bien plus plaisante que dans mes souvenirs, dans lesquels elle était ce genre de mégalopole tentaculaire inhumaine avec un centre historique décrépi, noirci par les pots d’échappement et méprisé par ses habitants et par les touristes. Faut dire à la décharge de mes souvenirs que de grands travaux de réhabilitation de la ville dans son ensemble et du centre coloniale en particulier ont été entrepris par la municipalité qui a redonné à ces vieilles bâtisses leur lettres de noblesse.

Cela dit, nous ne sommes quand même pas dans un village champêtre et bucolique, mais bel et bien dans une agglomération gigantesque de 8 millions d’habitants - quasiment un tiers des habitants du pays ! Ce qui fait dire aux habitants du Pérou que leur pays est monocéphale.

En réalité, comme pour tous les monstres de la planète, il ne s’agit pas d’une seule et unique entité administrative. Elle est constituée de 41 districts municipaux, d’urbanisations, voire même d’un morceau d’une autre région, ayant chacun leur maire, leur mairie, leurs habitants, etc. Le plus grand d’entre eux héberge plus d’1,5 millions de personnes et est considéré comme le plus grand d’Amérique du sud ! A la tête de toutes ces entités, on trouve le maire de Lima, qui est de fait à la fois un président de région et le maire du centre ville.

Pendant quelques jours, nous faisons notre nid dans un centre colonial rafraichi et agréable à voir. Le processus de gentrification est en marche. Je suis prête à parier que le centre ville, le Cercado de Lima, sera bientôt un des endroits le plus en vue de la capitale alors que jusqu’à peu il était bon ton de s’en moquer. En plus des belles bâtisses coloniales chargées de balcons et des immeubles années 1970 dignes de la cité des 4000 à la Courneuve, on y trouve en vrac : au fond des cours, des natives en jupe très courte (en peinture), le quartier chinois, des playa(s) qui sont en fait des parkings à voitures et des vendeurs de chiots ambulants. Oui, oui, tout ça, et beaucoup plus !


41 districts ? Nous en avons visité quelques-uns. A côté du Cercado, se trouve Barrios altos et en face, de l’autre côté du fleuve Rimac, le quartier du même nom. Rimac, c’est l’autre quartier colonial, pas encore retapé, pour sa part. Il reste à l’image de ce qu’était le centre avant. Un endroit où le guide du routard déconseille d’aller, sauf en groupe. Question : est-on un groupe à deux humains et une souris ? En descendant vers la côte, on trouve ensuite les quartiers populaires de la Victoria, de Breña, de Lince, de Santa Beatriz.
Plus proche du littoral et plus « classes moyennes », il y a Pueblo libre et Jesus-Maria. Oui, oui, c’est le nom d’une ville !


Directement sur le bord de mer, Callao est le port et l’aéroport de Lima : quartier peu sur et sentant le poison en raison de la présence d’usines de farine de poisson. Beurk ! En prenant la direction du sud, on trouve la Magdalena, San Isidro, qui est le quartier le plus riche et le plus prestigieux de la ville. Puis vient Miraflores, lui aussi riche, avec de grands immeubles à l’occidentale et des plages. C’est le quartier dans lequel la majorité des touristes résident lorsqu’ils sont à Lima. On y joue aux échecs dans la rue et on y mange des « sandwichs Miguel ». On y passera aussi trois nuits en couchant chez mon copain Magno.


Et enfin, dans la continuité de Miraflores, Barranco, le quartier des bars, des concerts, des plages et des surfeurs. Si ce terme signifié quelque chose pour le Pérou (au dela de « barranca », ravin), ce serait le quartier bobo de la ville.


Finalement, en revenant au centre de la ville et en prenant le « route centrale » pour sortir de Lima, on traverse l’immense et populaire, voire pauvre, Ate, suivi de Chosica, plus riche. C’est par là que nous passons, en bus de nuit, cela va de soit, pour nous enfoncer littéralement dans les entrailles du pays, à la découverte de deux des endroits les plus pollués sur terre situés respectivement à 4500 et à 3900 mètre d’altitude : le Cerro de Pasco et la Oroya.

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Kri kri
Irkita



PS : Si quelqu’un cherche l’article El perro del hortelano, étrangement plus accessible sur le site d’El Comercio, je peux le leur faire parvenir.

2 commentaires:

  1. Quel bonheur votre site ! Merci pour ces explications passionnantes. C’est sympa aussi de voir vos petites bouilles.
    Bisous la bande des 3. Virginie

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  2. Coucou Virignie,

    On tous les trois contents d'avoir de tes nouvelles.

    Bisous à toi aussi.

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    Kri kri
    Irkita

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