mercredi 2 juin 2010

16-02-2010 : Tambogrande, berceau de « la consulta popular »

1 – De Piura à Tambogrande

Lorsqu’on se réveille, ce matin du 16 février 2010, à Piura, on est un peu nerveux. Déjà parce qu’il est tard (7h de matin !) et qu’il faut qu’on se dépêche pour ne pas rater le bus qui nous mènera à notre première destination de la journée où nous ne pouvons rester que la matinée. Et pour cause, le soir même nous voulons être à Ayabaca. On a décidé d’accélérer un peu. Après les vacances (studieuses) à Mancora et quasiment 6 semaines au Pérou, soit deux semaines de « trop » par rapport à notre programme initial, le temps presse. Ensuite, parce que notre première étape, Tambogrande, est un lieu symbolique, où s’est déroulé, il y a quelques années déjà, un combat victorieux contre l’industrie minière, l’exemple à suivre et qui a été suivi, dont la stratégie de lutte (l’organisation d’une consultation populaire) a inspiré bon nombre d’autres résistances, notamment celle d’Ayabaca - Huncabamba, mais pas seulement.

Alors, c’est un peu la course. On finit notre nuit dans le bus, où les conversations entre nos voisins vont … bon train (facile !). Exemple : « Les gens veulent des trains lents parce que les trains rapides sont stressants et comme ça on peut admirer le paysage et parler de la nature avec son voisin. Sinon, faudrait inventer des trains rapides qui ne secouent pas, mais bon, ça n’existe pas. » Sourire. C’est sûr que le bus secoue un peu et que le transport ferroviaire n’existe au Pérou que pour les marchandises, ou presque, mis à part l’arnaque hors de prix qui mène au Machu Picchu.

Enfin, on arrive sur les terres de la légende. Des coopératives, des manguiers partout, une statue de fermier la pelle au pied, Tambogrande annonce la couleur : ici, on cultive la mangue. Un peu surpris par la splendide du terminal terrestre (la gare des bus) qui contraste avec la pauvreté apparente de la ville, on file vers notre lieu de rendez-vous où un des anciens leaders de mouvement anti-mine nous attend. Nous sommes déjà en retard. Enfin, nous y voici, l’école privée Jean Piaget. Tiens, ça sonne français, non ?



2 - Tambogrande, mangues, meurtre, mine

Le leader en question, Pancho (Francisco) Ojeda, ancien maire de la ville et l’ancien second président du Front de défense de Tambogrande, on le connait déjà, en vidéo. Si Tambogrande a tant marqué les esprits, c’est aussi grâce à notre ami Tito Cabellos et à Stéphanie Boyd, qui ont filmé le conflit, et qui en ont fait un documentaire, «Tambogrande, mangues, meurtre, mine». Tito est le réalisateur péruvien de Guarango, qui, cela dit en passant, nous avait accueilli à Lima, il y a déjà presque trois mois, lorsque Jérémy débarquait en Amérique du sud et Anna et moi nous revenions du Mexique. Déjà trois mois, que le temps passe vite !

Tambogrande c’est l’histoire d’une ville dont les habitants ont préféré leurs mangues et leurs citrons à tout l’or du monde. Tout commence dans les années 1950, lorsque, sur l’impulsion du gouvernement péruvien (avec les financements états-uniens et de la Banque mondiale), les plaines arides de la région sont irriguées, et les terres agricoles gagnées sur le désert attribuées à des colons venus d’autres régions du pays.

S’y développe une agriculture vivrière (haricots, yuca, oranges, production de miel, etc.), couplée à une abondante production de mangues et de citrons pour l’exportation. Pendant quasiment un demi-siècle, Tambogrande vit au rythme des récoltes. On y vit, on y meurt. Et le temps s’y passe.

Comme partout en Amérique latine, où la crise de la dette a conduit à une reprimarisation des économies , dans les années 1990, le Pérou de Fujimori se lance dans la promotion de l’industrie minière, considérée alors comme la baguette magique qui allait permettre d’augmenter les portions de fromage, ou, en langage humain, comme un des principaux instruments du développement économique du pays. C’est la que Tambogrande ressort des placards. Une concession y fait surface, en plein milieu de la ville, vouée désormais à devenir une mine d’or.

3 – Communautés et mine, à chacun sa stratégie…

Les communautés, refusant de voir la moitié de la ville détruite et leur environnement pollué par l’activité minière, commencent à s’organiser. En 1999, l’archevêque du diocèse de Piura, Oscar Cantuarias, proche de la théologie de la libération comme nombre de ses frères péruviens de l’époque, donne l’impulsion en trouvant un avocat qui allait défendre ceux qui préfèrent mangues, citrons et ville à l’or qui se terre sous leurs pieds (et dont ils ne verront pas vraiment la couleur, de toutes façons). L’archevêque oriente aussi les paysans de Tambogrande vers une organisation travaillant sur les problématiques minières et qui vient d’être créée, la CONACAMI, qu’on a déjà rencontré à Lima, à Cerro de Pasco et à La Oroya  et qui à l’époque était ce que son sigle (Coordination Nationale des Communautés Affectés par les Mines)* laisse entendre. Impulsée par une ONG de Lima, CooperAccion, et les copains de Cerro de Pasco, la CONACAMI donne à l’ex-futur maire de Tambogrande l’opportunité d’exposer sa situation. Suite à cette rencontre et une fois de plus avec l’aide de l’archevêque, se crée une « table technique ». Associée au front de résistance qui réunit 59 dirigeants paysans locaux (issus des syndicats, organisation de mères, coopératives, rondas, etc.) représentant les 35 districts de la province, la « table technique » est composée de 9 institutions environnementalistes et de défense de droits de l’homme. Son but : faire annuler le projet minier.  « [La table] nous  fournissait les conseils techniques pour les décisions que nous prenions. Pour la première fois au Pérou, à Tambogrande, les ONG s’unissaient malgré leurs points de vue différents ». « Manipulation » des ONG, crieront certains? Je ne pense pas. « Orientation » peut-être, par exemple, lorsqu’elles débloquent les fonds nécessaires au voyage des dirigeants du front anti-mine à Cerro de Pasco, pour aller voir de leurs propres yeux à quoi ressemble une mine à ciel ouvert. Ce voyage, de l’aveu de notre ami, fait office de vaccin. Mais après tout, pourquoi pas, on ne fait pas de gruyère sans lait : « lorsque nous sommes allés voir la richesse minière de Cerro de Pasco, nous avons vu le « développement » amené par la mine. Des créatures de 13 ans qui vendaient leur corps … », nous confie Pancho. Un bon dessin vaut mieux qu’on long discours…
Voici le dessin



Face à cette alliance campagne-ville, l’entreprise minière canadienne Manhattan Minerals Corporation qui a rachetée à l’établissement de recherche français, le Bureau de recherche géologique et minière (qui ne parle pas d’or mais de cuivre et de zinc), la concession de 60 000 hectares située en partie sous la ville de Tambogrande, avance à petits pas et se concentre sur la partie rurale de la province pour obtenir ce qu’elle cherche de maires des petites municipalités de la province : l’autorisation de prospecter.



4 – Résister c’est créer

Malgré le danger, le front de défense reste soudé. Sur sa plaza de armas, l’éternelle place centrale de tout centre peuplé du Pérou, où on se réunit tous les dimanches, Tambogrande vit aux heures de la démocratie populaire. Certains discours, notamment ceux du futur martyre de la résistance, qui avait déjà travaillé pour une entreprise minière, Godofredo Garcia Baca, enflamment les cœurs. «Les besoins de base de l'humanité sont manger, s'habiller et avoir un toit. Il n'y a aucune nécessité publique appelée «or». Il n'y a aucune nécessité publique appelée «cuivre». Personne ne se nourrit ni d'or, ni de cuivre. Les gens vivent en mangeant de la nourriture et c'est de cela dont l'humanité a besoin. »
Les décisions sont prises publiquement. Les marches des paysans suivent les contre-marches organisées par la mine jusqu’à ce que, en 2001, les événements s’accélèrent. Les paysans détruisent les campements de l’entreprise et Godofredo est assassiné. En juin 2002, le front de défense et la mairie organisent un référendum (une consultation populaire) sur l’avenir du projet minier. La population rejette la mine avec 98% de voix. La réplique à la bourse de Toronto est immédiate. L’action de la compagnie chute de 30%.

Le referendum de Tambogrande, qui aboutira au départ de l’entreprise minière, deviendra un cas d’école pour d’autres pays de la région et suscitera de l’espoir pour de nombreux mouvements d’opposition à l’industrie minière sur terre. La population de Tambogrande remporte une victoire décisive face à une multinationale minière qui n’aura pas réussi à transformer la moitié de la ville en gruyère français géant (si vous avez suivi, c’est le gruyère à trous) en extrayant l’or qui dort dessous.

5 – Et après ?

Que s’est-il passé depuis 2002 ? Alors qu’il nous balade dans sa moto-taxi, l’ancien maire de la ville nous fait un tableau peu élogieux. Ici, 90% de la production de mangue est chimique, la pauvreté est galopante et le chômage fait des ravages. La saleté, les rues poussiéreuses et les baraques croulantes qui les bordent n’évoquent pas vraiment la prospérité. Si on y ajoute l’insécurité, qu’un Crist perché comme à Rio ne suffit pas à faire disparaître, la situation n’est pas brillante. La faute en partie au successeur de Pancho à la mairie, dont les oreilles se mettent à siffler. Aujourd’hui, les mangues ne rapportent pas assez. Pancho, lui, avait impulsé la production bio et équitable, mais son successeur qu’il accuse de corruption n’a rien fait pour que son initiative se poursuive.

L’ancien maire et futur candidat, toujours aux commandes de sa moto-taxi, nous fait faire un tour des infrastructures dont s’est dotée la ville sous son mandat : un jardin bordant une rivière que l’on traverse sur des bouées pneumatiques poussées par des habitants de la ville qui gagnent ainsi leur vie, un pot de fleurs gigantesque un peu absurde chevauchant la route à l’entrée de la ville et nous demandant d’être souriants (en réalité une réplique d’un tambo, construction inca servant d’auberge et/ou de centre d’approvisionnement, symbole de la ville), ainsi que le fameux terminal terrestre dont la taille ferait presque pâlir celui de Lima (si, si, il y a un terminal terrestre à Lima). On apprend au passage qu’il a été baptisé du nom du héros du conflit minier, Terminal Godofredo Garcia Baca…


6 – En attendant la renaissance, le moyen âge ?

L’heure de gloire de la ville et de son mouvement de résistance, dont les acteurs ont fait le tour de l’Amérique latine (Equateur, Bolivie, Argentine…) pour raconter leur histoire, semble aujourd’hui faire  partie du passé, et tout cela nous laisse un peu désemparés. D’autant plus qu’on apprend que la concession existe toujours. « On s’est battus contre Fujimori, contre Toledo, contre Garcia, mais la concession est toujours là. Aujourd’hui, c’est la Buenaventura qui la possède ». Et la Buenaventura, première entreprise minière au Pérou, co-actionnaire de la Yanacocha à Cajamarca, impliquée dans divers scandales, n’est pas un enfant de cœur.

Sur notre demande, nous terminons quand même par aller voir les fameuses mangues. Sur le bord de la route reliant Piura à l’Equateur, des camions chargent et chargent des caisses remplies. Quelques vendeurs sont là aussi pour les acheteurs occasionnels. Ici, la caisse de 20 kilos se vend 2 soles (0,6 €), autant dire une misère. Certaines années cela monte à 60 soles (17 €). « On sait bien que les prix n’ont pas autant baissé, mais les grossistes font la pluie et le bon temps ». Conclusion ? « Nous sommes heureux que les mineurs nous aient laissés tranquilles, mais économiquement la situation n’a pas changé », nous confie l’ancien leader du front anti-mine de Tambogrande en guise de salut.



7 – De Tambogrande à Ayabaca

Après avoir avalé notre repas, nous poursuivons notre chemin vers notre dernière étape péruvienne. Peu à peu, les rizières remplacent les manguiers, puis la terre succède au bitume. Enfin, après 3 heures d’ascension sur une route au bord d’un précipice que la brume épaisse rend duveteux et presque accueillant, nous voici de nouveau dans les Andes, à Ayabaca, la capitale de la province du même nom, dont nous avons tant entendu parler à Piura, la veille.
Le village dans lequel nous arrivons de nuit a des allures d’un bourg alpin. L’air y est frais, les couvertures de l’hôtel épaisses et les plats du restaurant aussi délicieux que copieux. Je profite de la tranquillité de la soirée pour me consacrer à mon passe temps favori, rêver du fromage, et je m’imagine au coin d’un feu en train de déguster … une bonne fondue savoyarde…


* Note :  Aujourd’hui, la CONACAMI (Coordination Nationale des Communautés Affectés par les Mines) a réorienté sa stratégie et se définit, aussi, comme une organisation indigène, un peu comme l’équivalent andin de l’AIDESEP. Politiquement, c’est un virage stratégique, même si de nombreux « affectés par la mine » se considèrent plus comme paysans que comme indigènes …

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Kri kri 
Irkita 

1 commentaire:

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