mercredi 8 décembre 2010

Du 27-02-2010 au 01-03-2010 : Intag, vivre la légende…

- Bon Irkita, arrête un peu avec ta légende d’Intag ! Qu’est ce que ça a de légendaire d’abord ? Raconte-nous ! 
- Alors, Intag, c’est un cas d’école des mouvements socio-environnementaux …. 
- Oh, non ! Encore une histoire d’entreprises minières, de luttes paysannes, de défense de la terre, de protection des écosystèmes et d’alternatives, tant qu’on y est ?
- Bon d’accord, si vous savez déjà tout, je ne dirai plus rien. D’un autre côté, c’est un peu le but de notre voyage aussi. Alors kri-kri,  à la fin !
- … 
- … …
- Allez, c’est bon, dis-nous ce que tu as à raconter ?
- Non, je suis vexée, si ça vous intéresse, vous n’avez qu’à lire ça ou ça ou encore ça . En attendant, si ça ne vous gêne pas de rester ignorants, vous pouvez quand même admirer ce que ces gens-là ont souhaité défendre et ce qu’ils risquent de devoir encore défendre si l’histoire qu’on nous a racontée sur le contrat entre le Chili et la Chine se confirme.

S’il est (fort) probable que vous avez peu d’enthousiasme à entendre pour une nième fois une histoire de la lutte entre les habitants d’une vallée et des entreprises minières, nous, de notre côté, en arrivant ici, sommes contents de revoir quelques amis et – pour Jérémy et moi - de mettre des images sur des phrases lues, ici et là, de poser visages sur des noms et d’associer des paysages à des lieux. En couleur et en trois dimensions, son et lumière compris.

Si le processus de résistance et les alternatives concrètes qui en sont sorties en ont impressionné plus un et ont été beaucoup étudiés et donnés en exemple , du haut de la route menant à la paroisse de Peñaherrera, la vue du rio coulant au fond de sa vallée, brillant sous les rayons du soleil de matin, vaut mieux qu’un long discours. La pureté qui émane du tableau que j’ai devant les yeux rend encore plus évidente la nécessité qu’ont dû ressentir les véritables maitres des lieux, ceux qui vivent ici, à protéger leur vallée de l’inévitable cataclysme qu’aurait représenté l’installation d’une mine à ciel ouvert.



Le lendemain, arrivés à Apuela, la paroisse principale de la vallée, nous faisons le tour des connaissances. C’est le jour du marché et tout le monde est présent. Dans les locaux de l’association la DECOIN, on travaille dur sur l’amélioration du site Internet en discutant de l’avenir. Quelques mètres plus loin, le café Internet/bibliothèque communautaire, que les militants « anti-mine » souhaitaient mettre en place « parce que la culture c’est important », ne désemplit pas. Ici et là, on croise des bénévoles occidentaux venus prêter main forte à la myriade des projets en cours ou en chantier. Le « Periodico Intag » continue son travail d’information sur l’actualité aussi bien nationale, internationale que locale et la coopérative du café écologique et équitable (AACRI) est une affaire qui tourne, nous explique-t-on.

Un peu plus loin, faisant face à la place de l’Eglise, le marché du dimanche a des allures de Babel  : là une famille d’otavaleñiens en habits traditionnels qui vendent leurs fruits ; ici des afro-équatoriens fouillant parmi des dizaines de CD piratés à la recherche du tube du moment ; un peu plus loin, des métisses tiennent un stand de vêtements. C’est aussi ça, la richesse et l’originalité d’Intag, une zone de colonisation relativement récente, où cohabitent des populations d’origines différentes.


Alors que mon enthousiasme pour la vallée d’Intag ne cesse de grandir et que nous arrivons dans la maison d’un ami, je me rends compte que jusqu’alors, tout ce que j’avais vu n’était que la face émergée. Ici, je pense avoir trouvé le paradis terrestre. Et je pèse mes mots (si-si, les souris aussi, on a été chassées du paradis à cause d’un trognon de pomme qu’Adam avait jeté par terre!). Evidemment, la « cabane » où nous passerons la nuit, toute en bois, dotée d’une literie au confort quasi criminel, accompagnée de toilettes sèches et entourée d’une végétation tropicale humide luxuriante, n’y est pas pour rien. Mais l’enchantement ne s’arrête pas là. Derrière la maison, se trouve un pré dans lequel une vache et son veau – « qu’il est mignon » s’exclament mes compagnons en humains qu’ils sont-, ruminent, évidement, tranquillement. Derrière le pré, on découvre un sentier. Poursuivons le, nous voici dans la forêt : 500 hectares de bosque nublado (forêt brumeuse) dont une partie primario (primaire).  C’est la « réserve » des propriétaires du lieu, achetée il y a 20 ans, pour une poigné de dollars, à l’époque où le gouvernement équatorien motivait la colonisation des vallées « vierges » de cette partie du pays. Nous y passons la fin de l’après-midi, accompagnés par quatre compagnons canins et bruyants. Je préfère les chiens aux chats, forcément, mais pourquoi est-ce que le labrador qui nous suit est-il obligé de plonger bruyamment dans chaque point d’eau qu’il trouve ?
Le soir venu, après avoir diné - « véritable parmesan » au menu -, nous finissons la journée en conversant sur l’avenir de la lutte anti-mine sur le continent. Notre hôte nous présente à cette occasion le fruit de son dernier travail militant : un guide communautaire pour lutter contre les projets miniers. L’idée est d’y collecter un maximum d’information et de le compléter, un peu à la manière de wikipédia, au fur et à mesure… Un livre open source et collaboratif. Si ça vous intéresse, il est accessible à cette adresse (uniquement en espagnol pour l’instant).



Le lendemain matin, après une nuit à en rendre jalouse les loutres, et un petit déjeuner dans un cadre idyllique, nous poursuivons la promenade de santé en rejoignant Apuela à pied. Le paysage est spectaculaire. Des forêts d’agaves - « elles ont toutes fleuri lors de la sécheresse de l’été dernier, c’est pas bon », nous explique notre ami -, aux eaux cristallines du rio Intag, nous finissons par succomber définitivement aux charmes de la vallée et imaginons un instant comment pourrait être la vie ici. « S’il n’y avait pas cette épée de Damoclès, la menace de la mine de cuivre, rien n’empêcherait les gens d’ici d’être heureux, tout simplement … ».


Mais c’est déjà l’heure de partir. Demain matin, il faut qu’on soit à l’autre bout du pays, à Cuenca, dans le sud, pour y rencontrer les acteurs d’un autre mouvement d’opposition aux projets miniers. Adieu Intag, on espère te retrouver la prochaine fois encore plus foisonnante, de végétation, sans aucun doute, et d’idées, c’est certain.

Avant d’embarquer dans le bus qui nous ramènera à Otavalo, nous passons nos derniers instants en assistant à une réunion du Consorcio Toisán, une sorte de « parlement » qui regroupe 9 organisations sociales (associations, coopératives, etc.) de la vallée, qui se sont alliés afin de mettre en commun leurs efforts pour développer la vallée autrement (qu’en extrayant du cuivre).

On en profite également pour en apprendre plus sur les projets de construction de 9 petites et moyennes centrales hydroélectriques dont la capacité totale de génération d’électricité est estimée à 100 Mw. Ces projets ont été conçus avec l’aide d’une ONG cubaine (Cubasolar), d’un collectif d’ingénieurs équatoriens, de la CCAS (comité d’action sociale d’EDF) et d’Energie Sans Frontières (France). Les projets de petites centrales, à très faible impacts environnemental, ont été validés par tous les habitants concernés, après un long travail de concertation. L’ensemble de ces centrales devraient rapporter près de 30 millions de dollars de bénéfices annuels. La première centrale, pour laquelle le projet est fin prêt (c’est-à-dire qu’il ne reste qu’à passer au stade de la construction), devrait rapporter 2 millions de dollars, soit deux fois plus que le budget annuel du canton de Cotacachi dont la zone d’Intag fait partie (!), de quoi financer pas mal de projets. Pour sa construction, a été créée HidroIntag, une entreprise « publique communautaire » dont font partie les Juntas parroquiales de la vallée (Conseils paroissiaux, à rappeler que « Paroisse » est une division administrative équatorienne), la municipalité de Cotacachi (la capitale du canton) et le Consorcio Toisan. Tous les bénéfices obtenus doivent être réinvestis dans le développement de la zone, avec des objectifs de protection des forêts et des sources d’eau. Malheureusement, les gouvernements municipal et provincial bloquent le projet pour lequel le Consorcio Toisán a déjà trouvé 80% du financement nécessaire à sa réalisation. Ce manque de coopération a évidemment donné une occasion supplémentaire à Rafael Correa et ses alliés de l’Alianza Pais d’avoir les oreilles qui sifflent, et pas du côté où on parle en bien.


Savons et produits cosmétiques naturels, miel, pulpe de fruits et sucre artisanal bio. Artisanat tressé en fibre végétale. Café bio cultivé à l’ombre, dans des « systèmes agro-forestiers », vendu via le système de « commerce direct » (qui se veut plus équitable - dans les faits - que ledit commerce équitable), développement de « fermes intégrales ». Tourisme écologique et communautaire. Journal, bibliothèque et café Internet communautaires. Réserves –communautaires toujours ! - de protection des forêts et des sources d’eau, reforestation (30.000 arbres natifs de 39 espèces différentes), culture des plantes médicinales…  Et j’en oublie. Plus de 1700 familles de 60 communautés disséminées sur les 2000 km² de la vallée d’Intag tirent leurs revenus de ces nombreuses activités. Voici l’exemple d’un petit recoin dans lequel une poignée de personnes (la population de l’Equateur est de plus de 14 millions d’habitants) fournissent la preuve, que si, il est possible de trouver des alternatives pour se développer autrement, tout en respectant la nature et « en tirant profit » de son environnement sans le détruire. Alors, l’Intag serait-elle la potion magique de l’Equateur ? Car finalement, en tirant un peu sur les moustaches, on pourrait presque se dire qu’ici, il y a un peu d’Asterix et Obelix. Et qui a déjà pensé à plaindre les habitants du célèbre village gaulois, si ce n’est, éventuellement, d’être autant harcelés par ces fous de Romains ?

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