mercredi 15 septembre 2010

27-02-2010 : Otavalo, un autre mode de développement ?

En retournant à Otavalo, ville située à une heure de bus au nord de Quito, sac à dos à l’épaule - en transit en attendant notre bus pour la vallée de la rivière Intag appelée … « Intag » - , mes compagnons de route ont l’impression de retourner sur leurs pas. Et ils me racontent : « regarde, Irkita, cet hôtel, là, on y avait dormi, et dans celui-ci aussi, l’année dernière avant de partir rencontrer, pour la première fois, les amis de l’Intag ». « Ah ?! ». «Oui. Tu vois, Irkita, Otavalo, c’est le marché le plus typique de l’Equateur et probablement un des plus grands marchés indigènes du continent, ici, on vient de partout sur Terre pour acheter des vêtements, des tissus, des mantas ! Regarde toutes ces couleurs, tous ces motifs, tous ces gens, toutes ces échoppes de bijoux, de chapeaux, de sacs à dos, de pantalons, beau, n’est ce pas ? ».
Kri-kri. Vont-ils me laissaient admirer tranquillement ? Car, c’est vrai que c’est très beau, que la finesse et les coloris des tissus d’Otavalo ne font pas mentir leur réputation, mais, est-ce qu’on était obligés d’empailler des dizaines de mes consœurs, fausses de surcroît, et d’en faire des jouets pour touristes avides de sottiserie pas chère à ramener chez eux qu’un des vendeurs ambulants essaie de nous vendre !?


« Allons Irkita, ne fait pas ta mauvaise tête, il y a certains portemonnaies plutôt dégarnis qui sont heureux de pouvoir se vider du peu de leur contenu pour ramener quelque chose d’ici ! Tu comprends, on est à Otavalo, c’est un marché, alors on vient pour acheter et si on ne peut rien y acheter, on est un peu frustré ! ». L’explication que mes compagnons me fournissent valant ce qu’elle vaut (seraient-ils schizophrènes ?), je me détends un peu et admire le spectacle, qui s’avère ne pas en être un du tout. Les tenues traditionnelles noires et blanches des otavaleniennes (otavaleñas), les femmes, toutes plus magnifiques les unes que les autres, qui arborent fièrement leurs beaux bijoux, les hommes aux espadrilles blanches immaculées (mais comment font-ils ?) ne font pas partie d’une mise en scène orchestrée par on-ne-sait-qui, et nous ne sommes pas dans un parc d’attractions pour gringos, même si certains pourraient le croire un instant. L’exotisme d’Otavalo n’en est pas un. Ici, on fait des affaires. Et du marché aux légumes à celui des bestioles, des vêtements et des tapis aux panamas de Cuenca, des pantalons à rayures valant 5 dollars, « no-mas » (pas plus), toutes les techniques sont bonnes pour que l’acheteur - qu’il soit local ou qu’il vienne de loin - achète. « Première vente de la journée, amigo, achète-moi quelque chose, je te fais un prix ». Ici, on marchande dur, mais surtout, on gagne visiblement beaucoup d’argent comme en témoignent les nombreux distributeurs de billets plantés aux quatre coins de la place des Ponchos (la place du marché).

Certes, certains gagnent plus que d’autres et la richesse de la ville cache les demeures très modestes des campagnes, dans lesquelles on travaille dur, on tisse, on teint, pour fournir aux vendeurs ce qui sera acheté 10, 20, 50 dollars, voire plus, quelques kilomètres plus loin, par des touristes qui, bien souvent, ne soupçonnent pas l’existence de ceux qui fabriquent tous ces beaux produits vendus par les intermédiaires de la ville (tout autant Otavaleños, cela dit par ailleurs) qui en retirent une (bonne, paraît-il) partie des bénéfices. Bref, ne tombons pas dans le cliché du bon indigène-solidaire-envers-ses-pairs. Ceci dit, même en tenant compte de cette face cachée, on ne peut pas non plus parler de pauvreté ou de l’exploitation sauvage du plus grand nombre par quelques uns…

Dans la capitale des otavaleños, on vend, on achète, et les affaires tournent. En ville, devant les banques, les indigènes font la queue pour y déposer les gains de la semaine. Là bas, on aperçoit une famille de la région, la femme en habit traditionnel (ce sont surtout les femmes qui « gardent » la tradition), l’homme jeans-casquette, de longs cheveux d’ébène en queue de cheval – à en rendre jalouse plus d’une humaine -, en train d’acheter un frigo modèle états-unien … d’une contenance de 100 litres (au moins) ! Imaginez la quantité de gruyère qu’on peut y ranger…

Alors quel est le mystère qui fait que partout dans le monde, jusqu’au stand de la fête de l’Huma, on retrouve les otavaleniens en train de vendre leur vêtements ?  Les plus fervents (économistes) adeptes de la fameuse main invisible crieront « victoire » en y voyant un laboratoire à ciel ouvert (pour une fois que ce n’est pas une mine), où l’offre et la demande s’ajustent. Pourtant, pour l’instant, aucune échoppe d’Otavalo n’a encore été cotée en bourse ; aucun fond de pension n’a titrisé les possibles ventes de l’année prochaine en fonction du temps qu’il fera ou d’une improbable note fournie sur on-ne-sait-quel-critère par une agence de notation aux pouvoirs quasi divins ; aucun financier fou n’est venu ici pour transformer ce qui n’existe pas encore en argent virtuel. Quant au modèle extractiviste (oui, revenons à nos moutons !), prétendument indispensable – pour ceux qui le défendent - pour combattre la pauvreté, il n’y a aucune exploitation minière dans le coin, aucune fonderie, aucun puits pétrolier ? Pas à ce qu’on sache…

Alors, en parcourant le marché alimentaire situé un peu plus loin dans la ville, devant l’abondance des produits fournis par l’agriculture locale, on éprouve des sentiments contrastés. De la joie, d’abord, celle de voir qu’il est possible de vivre dans son temps, en pratiquant une activité économique rentable – « non, messieurs ! Ce ne sont pas des communistes, ni des « écologistes infantiles » et encore moins des indiens arriérés ! » – tout en conservant ses racines culturelles ; on a aussi de la peine alors que les souvenirs de la misère et de la pollution qui règnent à la Oroya ou à Cerro de Pasco au Pérou nous reviennent en tête ; donc de la colère, enfin, lorsqu’on se remémore les discours ventant l’activité minière  puisque nous sommes à la lisière de la vallée d’Intag, où, selon les rumeurs, le gouvernement souhaiterait réactiver l’exploitation du cuivre alors que les populations locales n’en veulent pas et qu’elles pensaient s’être débarrassées de la menace après 12 ans de lutte … La malédiction de l’abondance, diraient certains ?

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Kri kri
Irkita

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