Cuenca, la belle eau ! (J1)
« Quoi, déjà ? On est arrivé à Cuenca ? ». La nuit a été effectivement courte, pourtant, il est déjà presque 9h00 du matin lorsque nous débarquons dans la troisième ville Équateur. La troisième, c’est en termes de population. En termes architecturaux, c’est sans aucun doute la première. Comme un bon diaporama vaut mieux que quelques phrases (qui ne seront, en plus, probablement jamais lues), je vous laisse admirer le travail.
Alors, ça vous a plu ? A nous aussi, beaucoup ! Pour l’anecdote, mes compagnons connaissaient déjà Cuenca, mais à voir Jérémy la numériser une nouvelle fois avec son appareil photo, s’extasiant devant la moindre pierre, le moindre marbre, les clochers, les dômes, les pavés et tout ce que peut contenir une ville, pendant qu’Anna s’impatiente, je constate, une fois de plus, leur parfaite immaturité ! Heureusement que je suis là pour les rappeler à l’ordre. « He, les amis, vous vous souvenez pourquoi on est ici ? ». Aussitôt dit, aussitôt fait, nous repartons sur les chapeaux - des panamas évidement puisque nous sommes dans la capitale mondiale de ce chapeau de paille – de roues et réussissons in extremis à nous dégoter deux rendez-vous qui devraient nous permettre d’éclairer nos lanternes sur la tant attendue « marche pour l’eau » programmée pour le lendemain.
Le premier entretien nous amène à rencontrer un des leaders du mouvement de contestation. Ce dernier, avocat de formation, originaire des régions où l’eau est gérée par des organisations communautaires, les juntas de agua (juntes de l’eau) est particulièrement remonté contre le gouvernement. Ces accusations portent sur deux points. Premièrement, sur le fait que la nouvelle loi de l’eau place les juntas de agua sous la tutelle d’une Autorité unique de l’eau, directement sous les ordres du Président de la république. Les communautés, et notamment les communautés indigènes, ne sont pas d’accord et souhaitent que l’autorité ne soit pas unique et que les systèmes traditionnels de gestion de l’eau s’intègrent dans les autonomies indigènes promises par la nouvelle Constitution. Deuxièmement, au centre de la contestation, encore et toujours, des projets miniers. Les paysans de la région s’opposent à l’ouverture d’une (ou plusieurs ?) grande(s) mine(s) à ciel ouvert, située(s) en amont de leur canaux d’irrigation, qui se retrouveraient fatalement pollués par l’activité minière !
Dans les campagnes, alors qu’on avait voté majoritairement pour Rafael Correa et qu’on avait soutenu le processus qui a conduit à l’approbation d’une nouvelle Constitution, on s’estime trahis. Et pour cause, « l’agenda environnemental » d’Alianza país, le mouvement politique présidentiel, établissait des objectifs bien différents de ce qui a l’air d’être à l’œuvre aujourd’hui. On y parlait notamment d’un « sévère contrôle environnemental de toutes les activités d’extraction » et de « la récupération définitive des zones dégradées par l’activité pétrolière et minière ».
Cela dit, le sentiment d’avoir été trahi semble prendre le dessus sur les raisons objectives de l’événement qui se prépare. Ce n’est évidemment qu’une interprétation personnelle, mais il y a comme un relent de « coup politique » derrière cette marche de l’eau. Durant notre premier entretien, les oreilles du Président équatorien ont dû siffler une fois de plus. En voici un exemple caricaturé. Question : « Donc c’est pour manifester votre désapprobation face aux projets d’exploitation minière que vous manifesterez demain ». Réponse : « Oui, ce gouvernement raciste ne respecte pas les indigènes. On a clairement à faire à une dérive fascisante néolibérale… »
Un peu plus tard, notre second entretien, qui se fera en deux parties - une première autour d’une caipirinha (mes compagnons sont des assoiffées), et une seconde autour d’un verre de vin (c’est bien ce que je vous dis) -, nous apporte quelques informations un peu plus objectives. Notre interlocutrice, une texane-mexicaine qui ponctue sa conversation par des « chuta » bien équatoriens, nous explique : « Il y a vraiment une base populaire aux mouvements anti-miniers dans les campagnes. Les gens ont des parents qui ont travaillé dans les mines illégales ou artisanales du pays et qui ont témoigné des impacts de ces activités sur l’environnement». Kri kri, nous voilà rassurés, nous n’allons pas seulement participer à un des épisodes du combat qui se livre entre les différents acteurs politiques du pays.
Alors que nous nous apprêtons à rentrer à pied l’hôtel dans lequel nous nichons, le gérant du restaurant où mes compagnons avaient étanché leur soif, marié avec une française et qui connait donc la France, nous ramène à la réalité latino-américaine « Vous comptiez rentrer à pied ? Ce n’est pas possible, c’est trop dangereux, va falloir prendre un taxi ». Bon, on s’exécute, même si, à l’arrivée au bon port, le poste de police mobile qui se situe à quelques mètres de notre hôtel nous fait douter un instant de la réalité du danger. « Aurions-nous été complices d’une crise du sentiment d’insécurité ? » Quoiqu’il en soit, après la tranquille Bolivie et un Pérou où on ne s’est pas sentis en danger, cela fait tout drôle de s’entendre dire que le simple fait de marcher dans la rue comporte un risque !
Cuenca, la marche de l’eau ! (J2)
La police s’arme, les marcheurs s’organisent, la presse s’affaire autour des leaders : une manifestation semble se préparer de la même façon à Cuenca que sur la place de la République à Paris. Une fois toutes les troupes débarquées des montagnes des alentours, on organise le cortège. Évidement, il ne s’agit pas de tirer à pile ou face pour savoir qui marchera en tête. Ici, à Cuenca, ce 3 mars 2010, la mise en scène doit être parfaite. Alors, on positionne en tête les femmes de l’eau, belles, évidement, vêtues de bleue et de blanc – dont les vêtements ont quelque ressemblance avec ceux des femmes ayamaras -, puis suivent toutes les huiles de la manif - leaders indigènes et politiciens locaux pour la plupart -, et, enfin, le gros du cortège ! A vue de museau, quelques 1000 personnes présentent ce jour là.
Enfin, hygiaphone à la main, le flutiste du jour, notre ami avocat de la veille lance la marche. C’est parti pour quelques heures de spectacle. Bouteille à la main, banderole à bout de bras, devancée par un bataillon de police qui ouvre la route, entourée d’un nuage de journalistes frénétiques, la colonne avance sous un soleil brulant comme il peut l’être en montagne. Puis, coup de théâtre, la marche, suivant ses leaders, bifurque pour aller à la rencontre des autorités de la région…qui, à ce qu’on nous dit, ne sont pas là: « Vous voyez comment on traite les Indios en Equateur », - hurle à la foule notre ami avocat en ressortant du bâtiment officiel. Le face à face avec le pouvoir s’arrêtera là.
La marche repart, policiers couverts de crème solaire toujours en tête, journalistes butinant avec leurs flashs toujours présents à l’appel. Anna - qui porte le fameux panama de la ville - a droit à son demi-millier de clichés. Deux effrontés de la presse locale tenteront même de nous faire parler … avec très peu de succès ! Finalement, sans encombre, à pas de course, nous débarquons dans le centre ville. Certains commerçants se bouchent le nez au passage de la marche. Racisme, quand tu nous tiens. D’autres regardent les indigènes avec sympathie. A leur sujet, d’ailleurs, je vous l’ai déjà dit, les femmes indigènes des alentours de Cuenca ressemblent aux Ayamaras de Bolivie. Historiquement, des communautés originaires des alentours du lac Titicaca à l’époque de la conquête Inca de la région de Cuenca auraient été déplacées ou seraient venues de leur plein gré – au choix, selon les versions – pour que la région soit peuplée de « peuples amis ». Ce qui est particulièrement impressionnant dans cette histoire, c’est que 500 ans plus tard, les femmes avec qui nous marchons ce jour-là se vêtissent toujours de la même façon que leurs lointaines parentes de la Paz. Et pourtant, marcher sous cette chaleur et à cette vitesse, j’en ai les pattes douloureuses et je suis bien contente de pouvoir me refugier dans ma poche-nid, lorsqu’après presque 3 heures de marche, nous nous posons enfin sur la place centrale de Cuenca, celle de la belle église aux trois dômes bleus que nous avions admirée la veille.
Les festivités ne sont pas terminées pour autant. Une cérémonie – à la fois catholique, marxiste, indigéniste et tout simplement politique - s’ensuit. Adeptes des longs et sonores discours, c’est-celui-qui-crie-le-plus-fort-qui-a-le-plus-raison, les dirigeants de la tête du cortège passent un par un par sur le podium. Un représentant de l’Eglise catholique donne une messe en l’honneur de l’eau. Les ave-agua succèdent au « no a la mina ». On lève la bouteille (d’eau) à chaque fois que l’occasion se présente. On crie aussi à la lutte des classes. On crie à l’injustice et à la trahison du gouvernement et du Président, sans pour autant citer son nom une seule fois. Probablement qu’on sait déjà que la presse du lendemain ne fera pas de cadeaux. Si on sent dans la foule un clair ressentiment face aux projets miniers, sur le podium, on perçoit un petit quelque chose de revanchisme politique…
Petit à petit, au grès des discours fleuves, la foule se clairseme jusqu’à ce que nous ne soyons que très peu. Evidement, les quelques personnes avec qui nous devions discuter de tout cela se volatilisent. Avant que nous ne reprenions le bus de nuit dans l’autre sens, c'est-à-dire Cuenca-Quito, Jérémy finit de se démoraliser totalement au musée du Panama en essayant des chapeaux dont la valeur correspond à la moitié d’un salaire minimum en France. Je vous laisse imaginer ce que cela représente pour l’Equateur. A l’entendre s’extasier sur le fait qu’aucune goutte d’eau ne peut passer au travers d’un tissage si fin même si par la suite on on nous dira que ce n’est pas vrai, je mesure la distance – dans le sens de la hauteur, à quoi bon la fausse modestie ! - qui me sépare des Humains. Lorsque je m’endors dans le bus qui nous ramène à Quito quelques heures plus tard, je me pose encore la même question : comment est-ce qu’un nid fait de paille un peu aménagé a-t-il pu autant impressionner mes compagnons ?
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Kri kri
Irkita